La fiction fonctionne comme un jeu entre l’Émetteur (le scénariste, le romancier, le metteur en scène…) de l’œuvre et le Récepteur (le spectateur, le lecteur…). Le pivot central est le jugement de valeur.

L’Émetteur fait une proposition à l’adresse du Récepteur. Je souhaiterais ici mettre le doigt sur deux formes de relations entre eux :

  1. Un policier est coincé dans une banque et cherche un moyen pour régler leur compte aux terroristes qui ont monté la prise d’otage. Il utilise un leurre pour détourner l’attention de gardes pour s’infiltrer au deuxième étage, mais un des gardes le surprend, il court vers l’ascenseur et la porte se referme sur son fusil d’assaut piqué à un terroriste un peu plus tôt. Il coupe la sangle pour pouvoir s’enfuir, laissant derrière lui sa seule arme à feu.

  2. Un médecin militaire recueille un homme sur le champ de bataille, il s’agit d’un soldat ennemi. Il sait que s’il utilise son temps pour le soigner, il risque gros. Il aménage donc un espace sous sa tente où il le soigne secrètement. Un autre soldat est amené blessé et reconnaît le soldat ennemi qu’il accuse d’avoir tué son ami…

L’Émetteur (dont je joue le rôle présentement) fait deux propositions :

Dans la première, il présente une situation dans laquelle, le protagoniste (le flic) cherche à accomplir un objectif univoque. L’Émetteur demande au Récepteur d’être comme un supporter. Les enjeux sont tout ce qui menace son objectif, augmentent le coût du sacrifice que devra faire le protagoniste pour atteindre l’objectif.

Dans la deuxième proposition, l’Émetteur pose une situation ambigüe dans laquelle le Récepteur est libre de juger les actes du médecin et des autres personnages. Le médecin a-t-il commis une erreur ? Est-il trop bienveillant ? Ou se bat-il pour une cause juste ? Le soldat ennemi est-il un salopard ? Ou est-il une victime de la guerre ? Chaque nuance, chaque position est digne d’intérêt pour le Récepteur, car c’est le caractère équivoque de la situation qui titille le sens moral du Récepteur sans que le narrateur ne pose lui-même de jugement explicite ou implicite.

D’une certaine façon, c’est assez proche de la distinction que fait Aristote entre l’Épopée et le Drame.

En jeu de rôle, ces deux dynamiques sont la différence fondamentale entre la démarche créative narrativiste et les démarches créatives ludiste et simulationniste. Si vous créez des situations où les choix des personnages amènent prioritairement des jugements moraux, vous jouez dans une démarche narrativiste ; si l’objectif n’est jamais remis en question, si leurs choix cherchent à être prioritairement efficaces ou adaptés, vous jouez dans une des deux autres démarches.

Bien sûr, il faut garder à l’esprit que les postures d’Émetteur et de Récepteur en JDR sont extrêmement changeantes et surtout, que la part ludique/interactive de notre activité amène une troisième dimension permettant notamment de différencier plus avant les démarches simulationniste et ludiste.

 

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