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J’avais déjà écrit un court sujet pour parler de ce qu’est un JDR traditionnel, cette mystérieuse expression, tantôt péjorative, tantôt méliorative, souvent confuse. Je vous propose d’observer plus en détail ce qu’implique jouer de façon traditionnelle et jouer de façon non-traditionnelle.

Une partie de JDR traditionnelle (ou classique) est une partie pendant laquelle le MJ a le dernier mot sur tout ce qui a un rapport avec le jeu1. Par extension, j’appelle JDR traditionnel un texte de jeu dans lequel, implicitement ou explicitement, le MJ a le dernier mot sur tout ce qui a un rapport avec le jeu.

Si une partie de JDR ne donne pas le dernier mot sur tout au MJ, elle devient une partie de JDR à autorité partagée. Par extension, j’appelle JDR à partage d’autorité un texte de jeu qui répartit l’autorité du MJ entre les participants.

Précisions

Avoir le dernier mot sur tout signifie que le MJ décide ou juge tout ce qui concerne la partie : une règle doit-elle être utilisée, contournée ou jetée à la poubelle ? Ce que dit un joueur est-il acceptable ? Quelle forme doit prendre la préparation de la partie ? Notamment, le MJ peut souvent librement modifier et corriger toute intervention des joueurs et décider des actions des PJ (« Devant la créature qui se dresse devant toi, tu ne peux rien faire d’autre que prendre tes jambes à ton cou… »).

Partager l’autorité du MJ signifie que ce sur quoi le MJ a le dernier mot dans une partie traditionnelle peut être à présent décidé et jugé par d’autres joueurs et plus seulement par le MJ : ce que dit un joueur est-il acceptable ? Ai-je le dernier mot sur tout ou partie de ce qui concerne mon personnage ? Et parfois : qui décrit le décor ? Qui contrôle les PNJ ? Etc.

Avoir le dernier mot est parfois également appelé « avoir un véto », par exemple dans Zombie Cinéma d’Eero Tuovinen ou dans Monostatos de Fabien Hildwein.

Relation entre règles et MJ

JDR traditionnel

Quand le MJ a le dernier mot sur tout, il décide généralement du type de scénario ou autre préparation de l’histoire et du monde qui lui plaît, il décide avant ou pendant la partie quelle règle il utilise et quelle règle il modifie, voire s’il modifie l’intégralité des mécaniques de résolution, de la fiche de personnage etc.

Le MJ est au dessus des règles qui sont elles-mêmes au dessus des joueurs en terme d’autorité.

MJ → Règles → Joueurs

Chaque action, chaque choix induit par un joueur est soumis au jugement du MJ et à son approbation. Les joueurs doivent donc veiller à répondre à ses attentes, qui peuvent être plus ou moins souples ou précises en fonction des MJ et du cadre fictionnel de la partie.

Comme le MJ a le dernier mot sur tout, il peut partager ses espaces de narration et de contrôle de l’histoire avec les joueurs. À la différence des parties à autorité partagée, c’est lui qui décide et qui jugera si ce que les joueurs en font est acceptable. Après tout, il est le seul à connaître le scénario et/ou les secrets de l’univers et ce qui sera important pendant la partie. En revanche, il doit veiller à ne pas offrir aux joueurs des espaces de narration, de créativité ou de contrôle qui mettraient en péril sa préparation de partie, en particulier le déroulement du scénario.

Donc, avoir le dernier mot sur tout ne signifie pas être un despote jaloux et dirigiste qui monopolise le temps de parole de la partie. Ça signifie être en grande partie responsable de la qualité de la partie : de son arbitrage, de l’intrigue, du relationnel, etc. ou du moins en être le garant, car le MJ juge et corrige au besoin chaque aspect de la partie pour tenter de donner le plus de cohérence et de crédibilité possible à l’ensemble. Cela peut aller de pair avec un fort contrôle sur le déroulement de la partie et de son contenu, mais ce n’est pas obligatoire.

JDR à autorité partagée

Quand le MJ n’a pas le dernier mot sur tout, il se plie à un corpus de règles qu’il peut avoir choisi avec les joueurs, créées lui-même ou pris dans un JDR existant. Si les règles lui disent de préparer une situation initiale seulement, plutôt que tout le développement des moments clé de l’histoire de la partie, il s’y pliera. Si les règles lui disent de ne rien préparer, il s’y pliera. Tant que les règles ne posent pas de problème notable et que le jeu convient au goût de tous, il n’y a pas de raison de les modifier. Si modifications il doit y avoir, elles seront faites avec l’assentiment des autres participants.

Les règles étant connues des joueurs, l’assentiment du groupe les fait passer au dessus de l’autorité du MJ qui devient un joueur comme les autres.

Règles → MJ + Joueurs

Les joueurs peuvent avoir autant à dire sur le déroulement de la partie que le MJ et cela d’autant plus qu’un JDR a autorité partagée laisse généralement l’histoire avancer sans être pré-écrite, en fonction des choix des joueurs. Il peut impliquer un partage de narration, et ce jusqu’au point qu’aucun participant n’endosse l’intégralité de l’autorité et des responsabilités du MJ de façon permanente (ce qu’on appelle de manière abusive « JDR sans MJ », par exemple Polaris de Ben Lehman) sans pour autant que cela ne soit absolument nécessaire. Cependant, laisser une grande autorité aux joueurs sans les cadrer peut facilement conduire à parler dans le vide en roue libre et à produire des parasitages entre la créativité des joueurs et la préparation de la partie. Pour éviter cela, il faut un système de règles qui cadre les espaces de créativité de tous (y compris ce qui concerne la préparation de la partie par le MJ s’il y en a) afin de garantir une adéquation entre toutes les interactions qu’offre le système du jeu. De telles règles font autorité pour créer une structure solide pour encadrer et permettre de laisser interagir sans accro la créativité et la préparation de chacun. Modifier le moindre détail d’un tel système de règles est généralement délicat, tant l’équilibre entre les règles est parfois subtil.

Il n’est pas dit qu’un MJ ayant le dernier mot sur tout ne puisse pas arriver à d’intéressants partages de narration avec ses joueurs. Mais nous verrons plus loin en quoi cela peut devenir contreproductif.

Dans un jeu à autorité partagée, les habituelles tâches du MJ peuvent être majoritairement concentrées sur une personne (bien qu’elle contrôle généralement moins le déroulement de l’histoire et de la partie) ou réparties entre plusieurs personnes simultanément ou en alternance.

Implications de ces choix

Dernier mot du MJ sur tout :

  • Quand un MJ a préparé un scénario où rien n’est laissé au hasard, et qu’il cherche à surprendre les joueurs, avoir le dernier mot sur tout lui permettra de ménager au mieux ses effets et manipuler plus facilement les joueurs sans qu’ils s’en rendent nécessairement compte. Avoir le dernier mot sur tout est idéal pour les Techniques de maîtrise de type « illusionniste » ou « participationniste »2. L’illusionnisme consiste à dissimuler les véritables Techniques employées par le MJ, tandis que le participationnisme consiste pour les joueurs d’accepter de jouer une histoire majoritairement contrôlée par le MJ en connaissance de cause.

  • Les règles ne sont qu’un outil pour atteindre ce qu’il souhaite, un jet de dé truqué peut donner de fausses indications (voulues) aux joueurs. C’est le cas des dés lancés pour faire « du bruit derrière le paravent3 ». Conserver un contrôle sur le résultat des jets de dés permet d’éviter les mauvaises surprises au MJ qui risqueraient de faire dérailler son scénario.
  • Les joueurs n’ont pas à se préoccuper des règles, le MJ s’en charge. Du coup, ils peuvent se concentrer pleinement sur l’interprétation de leurs personnages et ne jamais regarder « derrière le voile4 », c’est à dire ne pas avoir à gérer tout ce qui est extérieur à la fiction et ne pas connaître les véritables rouages du jeu et de son système. On considère que cela risquerait de briser le sentiment de vivre un rêve éveillé.
  • Enfin, cela permet de donner le devant de la scène au MJ. Pour qu’il puisse mener la danse, amener les ingrédients de son choix et briller par la qualité et la cohérence de ses choix et de sa préparation, il ne doit pas être entravé par un système et un univers trop rigides.

Si vous jouez de cette manière, un ou plusieurs de ces points vous importent sûrement.

Ici, c’est la qualité et la subjectivité du MJ qui assurent de bonnes parties. Un système trop ficelé et trop rigide risquerait d’empêcher le MJ d’amener la partie où il le souhaite vraiment et donc de produire des intrigues et coups de théâtre forts, mais aussi de permettre aux joueurs d’explorer l’ensemble brique par brique et de reconstituer à la manière d’un puzzle, une fiction où chaque détail participe d’un tout vertigineux de par sa cohérence, sa richesse, son niveau de détail et/ou son esthétique.

Pour des joueurs qui aiment avoir un contrôle sur l’histoire, que les règles soient transparentes et qui aiment savoir que leurs choix ont une véritable importance pour la partie, ce mode de jeu risque de leur donner l’impression d’être dépossédés de tout cela et d’être menés en bateau par le MJ. Les joueurs découvrant ou sachant percevoir les techniques d’illusionnisme peuvent même sortir complètement du jeu de manière irrémédiable.

Autorité partagée :

  • Les joueurs peuvent conduire l’histoire plutôt que de participer à une histoire dont les moments clé sont prévus à l’avance par le MJ (ou par le ou les auteurs du jeu). Le MJ les suit et réagit à leurs impulsions. Il n’a plus le devant de la scène, c’est à présent les joueurs qui l’ont. Cela interdit toute préparation de scénarios prédéterminant le déroulement de l’histoire.

  • Les joueurs peuvent obtenir de grands espaces de créativité. La fiction se nourrira des idées et inspirations de chacun plutôt que du MJ ou du livre seulement.
  • Le système devient transparent, cela signifie que les Techniques utilisées sont celles qui sont annoncées et tout le monde doit participer à la gestion des règles. Cela interdit tout illusionnisme.
  • Il devient plus facile de jouer sans préparation du MJ (scénario ou autre) voire avec un MJ très discret ou tournant.
  • Les joueurs ont vraiment le dernier mot sur certains éléments du jeu et de la fiction. Cela signifie que le MJ n’a pas à trancher certaines décisions, ni à avoir un véto sur les éléments qu’elle concerne, puisque d’autres participants le font.

Si vous jouez de cette manière, un ou plusieurs de ces points vous importent sûrement.

Dès qu’on laisse plus de responsabilité et plus de créativité aux joueurs, l’ensemble du fonctionnement du jeu s’en trouve chamboulé. C’est pourquoi, un système de règles solide doit être utilisé pour éviter qu’improvisation et préparation ne se contredisent. C’est pourquoi le MJ doit accepter de se placer sous l’autorité des règles du jeu.

La qualité de tous les participants est catalysée par la qualité du système de règles.

Pour des MJ qui aiment garder le contrôle, les choix majeurs et le devant de la scène, ce mode de jeu risque d’entrer en conflit avec leurs habitudes et de leur donner le sentiment que les règles du jeu font beaucoup de choses à leur place et leur imposent une façon d’être MJ qui ne leur convient pas.

Implication dans les démarches créatives

Il est possible de jouer ludiste, narrativiste comme simulationniste de manière traditionnelle comme en partageant l’autorité du MJ.

Seulement pour les raisons suivantes, certaines démarches créatives sont facilitées par l’une ou l’autre façon de jouer :

  • Le ludisme est facilité par le partage d’autorité car les règles doivent être au dessus de tous les participants pour que la compétition soit juste. Si quelqu’un manipule les règles en douce, le jeu est truqué. Les victoires et les défaites doivent avoir une incidence sur l’histoire. Il devient ainsi légitime que les joueurs connaissent les règles autant que le MJ et que tout le monde soit sûr d’utiliser les mêmes.
  • Le narrativisme est également facilité par le partage d’autorité car les joueurs doivent sentir que leurs actes conduisent l’histoire. S’ils découvrent que c’est le MJ qui tire les ficelles, leurs actes n’auront plus d’importance. De plus, donner des espaces de créativité plus larges aux joueurs facilite le développement de l’histoire et de sa thématique avant le respect du canon esthétique5.
  • Le simulationnisme est quant à lui facilité par un jeu traditionnel car le MJ pourra assurer la gestion de toutes les mécaniques de jeu et donc empêcher les joueurs de devoir soulever le voile. L’illusionnisme et le participationnisme sont des formes de maîtrises adaptées au simulationnisme. Le canon esthétique6 de la fiction pourra être enrichi par un grand volume de préparation et la personne détenant ces informations pourra garder un contrôle suffisant sur le déroulement de l’histoire pour en garantir une intégrité et une cohérence exceptionnelles.

Autres possibilités :

  • Vous jouez ludiste et le MJ a le dernier mot sur tout : il doit être transparent quant aux Techniques qu’il utilise et s’y tenir. Les joueurs doivent avoir confiance en sa capacité d’arbitrage pour que le jeu fonctionne correctement.

  • Vous jouez narrativiste et le MJ a le dernier mot sur tout : le MJ laisse les choix majeurs aux joueurs concernant l’évolution de l’histoire. Le MJ cède de son autorité, mais juge si les joueurs l’exploitent correctement. Il reste arbitre et garde également le contrôle sur les règles et leur application, mais il doit être transparent quant aux Techniques qu’il utilise et s’y tenir. Les espaces de créativité des joueurs devraient rester limités7.
  • Vous jouez simulationniste et l’autorité du MJ est partagée entre tous les participants : cela signifie que vous jouez selon cette démarche créative sans utiliser de Techniques d’illusionnisme ni de participationnisme. Les joueurs auront une autorité plus importante et éventuellement des espaces de créativité plus larges8.

Où ces deux pratiques entrent en conflit

Là où la pratique traditionnelle et le partage d’autorité se heurtent, c’est sur Le truc impossible avant le petit dèj’9. On entend souvent définir le JDR de cette manière : le MJ a le contrôle sur l’histoire et les joueurs sur les personnages principaux de cette histoire. Sachez que c’est impossible.

Si le MJ a le contrôle sur l’histoire, soit les joueurs contrôlent des personnages secondaires, soit ils ne contrôlent pas vraiment leurs personnages. C’est une manière de jouer fortement soutenue par les JDR traditionnels (mais ce n’est pas la seule).

Si les joueurs contrôlent les personnages principaux de l’histoire, le MJ ne peut pas avoir le contrôle sur l’histoire. Il ne fait qu’accompagner les personnages principaux, réagir à leurs initiatives, leur donner du grain à moudre. C’est une manière de jouer fortement soutenue par les JDR à autorité partagée (mais ce n’est pas la seule manière de faire).

Si le MJ veut véritablement avoir le contrôle sur l’histoire, il doit avoir un système de règles qui se plie à ses envies et il doit éventuellement pouvoir truquer le jeu.

Si les joueurs veulent véritablement conduire l’histoire, le système de règles doit être transparent et le MJ doit accepter de les accompagner plutôt que d’être le chef d’orchestre, on dit qu’il est le bassiste d’un groupe de rock (c’est ainsi que Ron Edwards présente le rôle du MJ dans Sorcerer).

Vos questions sont bienvenues, comme d’habitude.

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1J’emprunte cette définition à Vincent Baker, si vous souhaitez en lire plus, suivez ce lien (en anglais) : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=55

2Voir les explications concernant l’illusionnisme et le participationnisme de l’article La résistance asymétrique

3Selon la célèbre formule attribuée à Gary Gygax

6Ibidem

7Voir Vanilla narrativism dans le Provisional glossary

8C’est de cette manière que fonctionne Prosopopée

 

Il existe autant de façon de mener que de MJ. Bien souvent, le fait de jouer au même jeu n’uniformise pas les façons dont on les mène. Entre le MJ qui prévoit à l’avance les scènes qui vont se dérouler (scène 3 = combat contre les forces de l’empereur) ainsi que la façon dont elles vont se dérouler et le MJ qui fait de la figuration devant ses joueurs en gérant surtout l’adversité, les expériences de jeu diffèrent grandement.

Il y a un certain nombre de choses que l’on laisse traditionnellement au MJ :

  1. Qui décide de ce qui compose le monde ?

  2. Qui révèle l’intrigue?

  3. Qui compose les situations ? De quelle manière ?

  4. Qui détermine si une action échoue ou réussit ?

  5. Qui raconte le résultat des actions ?

  6. Quelles parties des PJ, des PNJ ou du monde les autres ont-ils le droit de modifier ?

On parle de responsabilités1 pour les points 1 à 5 et de propriétés pour le point 6.
Les responsabilités sont partagées dans la plupart des parties de JDR, comme nous allons le voir.

1. Qui décide de ce qui compose le monde ?

Ou responsabilité de contenu.

Exemple A :

MJ : « Après plusieurs jours de traque, vous vous retrouvez dans une grande forêt. »

Joueur : « Est-ce que je peux grimper à une arbre pour observer les alentours ? »

MJ : « Oui, les arbres sont hauts, mais faciles à escalader. »

Ici, le MJ a une responsabilité de contenu intégrale : le joueur ne peut se contenter que de suggestions et de questions au MJ, c’est ce dernier qui décidera si les arbres existent (après tout, ça pourrait être une forêt d’autre chose) et s’ils peuvent être escaladés.

Exemple B :

MJ : « Après plusieurs jours de traque, vous vous retrouvez dans une grande forêt. »

Joueur : « Je grimpe à une arbre pour observer les alentours. »

Ici, le joueur exploite ce qui paraît logique pour planter des arbres accessibles et qu’il estime pouvoir escalader.

Exemple C :

Joueur : « J’appelle Gregor et je lui dis de passer chez moi. Je laisse la porte ouverte et je me cache derrière l’armoire pour le surprendre. »

Dans cet exemple, le joueur a décidé que son personnage possédait un appartement, mais il a également décidé du contenu de cet appartement (cela arrive sans qu’on l’ait définit à l’avance, tant que tout le monde trouve ça cohérent). Ici, le MJ n’est plus du tout le seul responsable du contenu de l’univers. Dans certains cas, on acceptera que le joueur crée ce type de contenu s’il appartient à son personnage (son équipement, son domicile…). Dans d’autres cas, le joueur sera libre d’inventer du contenu à sa guise, quel qu’il soit. Dans ce cas, il sera utile de bien définir les spécificités du rôle de MJ.

2. Qui révèle l’intrigue ?

Ou responsabilité de révélation.

Exemple A :

MJ : « L’homme à la cicatrice choit à terre. »

Joueur : « Alors, qui a tué le témoin ?« 

MJ : « C’est D’Agostino… Il est impliqué dans l’affaire de drogue…« 

Ici, c’est le MJ qui lève le voile sur les secrets et mystères de l’histoire ou du monde.

Exemple B :

MJ : « L’homme à la cicatrice choit à terre. »

Joueur : « Je lui demande qui a tué le témoin et il me répond que c’est Conor, qu’il est mandaté par le sénateur Williams… »

Dans cet exemple, c’est le joueur lui-même qui décide des réponses aux mystères et aux secrets de l’histoire ou du monde. Dans ce cas, le MJ devra garder un contrôle fort sur d’autres éléments de la fiction. Cette manière de faire est particulièrement indiquée pour les jeux où le rôle de MJ est réparti entre plusieurs participants (voire tous), mais certains jeux (Inspectres ou Lady Blackbird par exemple) l’utilisent malgré la présence d’un seul MJ.

Donner aux joueurs la responsabilité de révélation fonctionne car les autres participants ne savent pas à l’avance ce que leur partenaire va inventer. Cela vise généralement à laisser l’histoire évoluer au gré des choix et de l’envie des joueurs plutôt que de les contraindre à suivre le plan du MJ.

3. Qui compose les situations ? De quelle manière ?

Ou responsabilité de situation.

Une situation est une rencontre entre les personnages et l’univers. Généralement, les éléments en place vont amener les joueurs à agir ou réagir, car sans action, pas d’histoire. La situation est le cœur du JDR.

Exemple A :

MJ : « Alors que vous marchez dans la rue, vous entendez une voix crier « au voleur » et vous voyez un homme courir dans votre direction, une besace à la main. »

Ici le MJ a planté seul une situation. Il peut avoir décrit sa situation dans un scénario, ou en avoir prévu la base (Un voleur à la tire tente de s’enfuir, la personne volée crie) et improviser la mise en scène, voire créer la situation au pied levé. Dans le jeu Dogs in the vineyard3, les joueurs commencent chacun une scène d’initiation en disant au MJ ce qu’ils veulent accomplir. Le MJ invente au pied levé une situation qui amènera le PJ à rencontrer des problèmes liés à l’accomplissement qu’il souhaite. Mais ensuite, les situations se créent d’une manière tout à fait différente.

Exemple B :

Joueur : « Je prends un raccourcis pour me rendre chez l’apothicaire à travers les rues mal famées. »

MJ : « Soudain tu entends une voix crier « Au voleur ! ».

Joueur : « Je me cache. »

MJ : « Tu vois un homme courir dans la direction où tu te trouvais, une besace à la main ».

Ici, le MJ a composé avec les décisions du joueur pour créer la situation à deux. Si le joueur n’avait pas décidé de faire passer son PJ par les rues mal famées, la scène n’aurait peut-être jamais eu lieu.

Exemple C :

Joueur : « Je prends un raccourcis pour me rendre chez l’apothicaire à travers les rues mal famées. »

MJ : « Soudain tu entends une voix crier « Au voleur ! ».

Joueur : « Je me retourne et là je vois un homme courir dans ma direction, je brandis mon épée et je lui crie : « arrête-toi si tu ne veux pas finir en pièce. »

Ici le joueur a carrément exploité la petite intervention du MJ pour enrichir de lui-même la situation. Le joueur aurait même pu composer la situation entière tout seul. Pour que ces techniques fonctionnent, il faut éviter au maximum de prévoir à l’avance ce qu’il va se passer, sous peine de parasiter sans cesse le scénario et la créativité des joueurs.

4. Qui détermine si une action échoue ou réussit ?

Ou responsabilité d’exécution.

J’ai pris la liberté d’ajouter cette responsabilité à la théorie qui vient à l’origine de The Forge4.

Dans de nombreux cas, le MJ décide des échecs et succès : dans les conflits sociaux, les actions anodines ou celles qui lui paraissent irréalisables. Le reste est souvent déterminé par les dés ou par une opposition de scores. Mais il est possible de faire bien autrement : par exemple dans les règles du « JDR sans règles5 », le joueur décide de la réussite ou de l’échec de tout ce qui relève des actions intimes, banales ou quotidiennes de son personnage, le MJ de tout ce qui relève du particulier et de l’héroïsme. Dans Karma, un jeu développé par un des membres du studio Gobz’ink6 les joueurs décident si leur PJ réussit ou échoue : une réussite coûte des jetons, un échec en rapporte donc, si on réussit trop au début, on ne pourra plus qu’échouer à la fin de la partie. Et bien souvent on passe par les dés, car un arbitrage aveugle et neutre est souvent plus satisfaisant que l’arbitraire d’une personne pour décider des réussites/victoires et des échecs/défaites car il crée de l’imprévu.

5. Qui raconte le résultat des actions ?

Ou responsabilité d’issues.

Résultat : une fois qu’on a lancé les dés, qui raconte le résultat ? D’ordinaire, c’est le MJ, mais c’est un exercice qui à long terme peut s’avérer éprouvant au bout du énième coup d’épée raté. Dans Dogs in the vineyard, le joueur en position défensive raconte les effets des coups physiques ou psychologiques que reçoit son personnage. Le joueur (ou MJ) vainqueur raconte la fin du conflit avec l’autorisation exceptionnelle de prendre le contrôle des personnages des autres (PNJ comme PJ). Mais cela fonctionne d’autant mieux que le jeu ne cherche pas à résoudre des tâches, mais des enjeux. On appelle cela « résolution de conflit » par opposition à la « résolution de tâche ». Au lieu de statuer sur la réussite d’un coup d’épée, on ne statue que sur des évènements qui font avancer l’histoire, comme par exemple la victoire d’un combat, l’humiliation d’un personnage, ou réussir à persuader quelqu’un. Vous trouverez un exemple simple de règles de résolution de conflit et de responsabilité d’issue alternative dans Le Pool7.

6. Quelles parties des PJ, des PNJ ou du monde, les autres ont-ils le droit de modifier ?

Ou propriétés.

Dans certains jeux, il est interdit de toucher aux personnages des autres, dans d’autres il est possible d’en faire ce qu’on veut ou de faire des propositions soumises à l’examen du joueur qui est responsable du personnage. Dans de nombreuses pratiques, les joueurs semblent avoir une emprise totale sur leur personnage.

Mais ça ne veut pas dire grand chose de manière générale, par exemple si les dés décident des blessures, le joueur ne décide pas de l’état corporel de son personnage. Une propriété facile à appréhender, c’est : les joueurs décident des paroles, actes et pensées de leurs personnages. Du coup, le MJ peut donner leurs perceptions, puisque cela est directement relié au monde. Dans certains jeux, on dira : aucun autre joueur ne peut dire ce que mon PJ dit, fait ou pense. Dans d’autres jeux, c’est plus souple. On parle « d’avoir le dernier mot » : tout le monde peut faire des propositions, mais le joueur propriétaire du personnage a le dernier mot pour garder ce qu’il veut et rejeter ce qui le gêne ou lui déplait.
Il est généralement délicat de tracer une ligne entre personnage et univers : si le joueur contrôle son personnage et le MJ le monde et les PNJ, quand un PNJ blesse un PJ, il y a transgression. Mais ce sont justement ces transgressions qui apportent du piment aux parties. Quand le joueur dit : « je brandis mon épée et je le frappe au visage », l’épée fait-elle partie de son personnage ? Fait-elle partie du monde dès qu’il la lâche ? le visage de l’adversaire ne lui appartient pas non plus. S’il n’a fait qu’exprimer une intention, ça passe encore, mais s’il décide que ça réussit, il a pris possession de quelque chose d’étranger à son personnage…

Conclusion

Ces responsabilités et propriétés peuvent être triturées dans tous les sens. Des choses qu’on laisse habituellement au MJ peuvent être attribuées aux joueurs, c’est de cette façon qu’on est arrivés à des JDR « sans MJ8 » qui fonctionnent vraiment9. Enfin, il faut penser que tout cela affecte considérablement la préparation des parties : ce qui préexiste : scénario, description de l’univers etc. Plus les joueurs ont de possibilités de créer l’histoire et le monde au pied levé, moins la préparation doit être rigide, plus elle doit être conçue comme « faisceaux de potentialités » (matériau malléable, mais fécond d’un point de vue de l’exploration, soit, de la génération de la fiction par le groupe).

1Christoph Boeckle a donné une définition des responsabilités et des propriétés ici : http://www.silentdrift.net/articles/nancy_resume003.pdf

3Un jeu Lumpley games : http://www.lumpley.com/dogsources.html

6Studio Gobz’Ink : http://www.shamzam.net/blog/

7Le Pool de James V. West : http://froudounich.free.fr/PDF/lepool_fr.pdf

8Par « JDR sans MJ », on entend généralement que tout le monde est plus ou moins MJ, ou plutôt que toutes les responsabilités habituellement dévolues au MJ sont réparties entre tous les joueurs.

9Cf. Zombie Cinema, un jeu Arkenstone Publishing : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

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Mise à jour de l’article : 30/09/2012. Correction du chapitre dédié à la responsabilité de révélation.

 

“Mode Auteur” et “Plaider pour son personnage” : j’ai commencé à aborder ces deux concepts lors d’un podcast de la Cellule et sur le forum des Ateliers Imaginaires, notamment dans le glossaire1.

Ce qui a initié le besoin de distinguer ces deux modes de jeu, c’est de mettre en avant des approches ou pratiques difficiles à conjuguer. Leur distinction permet de les mettre en valeur. D’abord parce qu’il s’agit souvent, d’après mon expérience, d’un élément déterminant dans le choix d’un jeu et dans le plaisir qui est retiré de la partie. Ensuite, parce que cela permet de les articuler et d’explorer des jeux et pratiques nouvelles.

Définitions

Plaider pour son personnage2 consiste à jouer en défendant prioritairement les intérêts de son personnage, c’est-à-dire ce qui est censé avoir de l’importance pour lui : remplir ses devoirs, défendre ses causes, ses relations, ses valeurs, rester en vie, préserver son intégrité, etc.

Le mode Auteur3 consiste à jouer à distance du personnage ou en se focalisant sur autre chose que ce que le personnage est censé vouloir et souhaiter.

Ces définitions sont mes définitions actuelles, si elles diffèrent sensiblement d’autres, privilégiez les plus récentes.

Mode Auteur : les fondamentaux

Light aime sacrifier ses PJ pour la beauté du geste.

Le mode Auteur (aussi appelé joueur-auteur) diffère de la “posture d’auteur” décrite par Ron Edwards4 : en premier lieu car les postures (acteur, auteur et metteur en scène) peuvent être explorées sur des temps courts et s’articulent durant toute partie de JdR, alors que le mode Auteur peut s’étendre sur la durée d’une partie. Ensuite, car les objectifs derrière ces concepts diffèrent : derrière la distinction entre mode Auteur et Plaider pour son personnage, il y a des modes de jeux irréductibles qui sont le résultat de systèmes entiers, là où les postures de Ron Edwards décrivent des techniques de jeu.

J’ai choisi d’appeler ce mode de jeu ainsi car il permet de souligner la distance prise avec le ou les personnages joués et l’importance donnée à la construction improvisée de l’histoire, de la mise en scène, de la situation, de l’esthétique de la fiction jouée, avec un focus surplombant ou externe. J’insiste sur l’absence de connotation péjorative que l’on y prête parfois.

L’implication d’un joueur peut être plus facilement orientée vers la qualité des descriptions, la beauté de l’histoire, les éléments de surprise, les décisions tactiques, la compétition créative ou l’approche performative, que vers une implication émotionnelle, affective, empathique, combative ou en absorption avec son personnage.

La particularité de ce mode est que contrairement à la pratique probablement la plus répandue du JdR, le joueur ne plaide pas pour son personnage, c’est-à-dire qu’il ne joue pas en se conformant à la volonté5 du PJ, en défendant ses intérêts. Les enjeux de la partie sont d’un autre ordre. Il existe différentes façons d’orienter un jeu de rôle, une partie ou un instant de jeu vers le mode Auteur :

  • Proposer un partage de Responsabilités qui se focalise sur tout ce qui se situe au-delà des actes, paroles, pensées d’un personnage, en confiant au joueur le contrôle sur le décor et/ou les PNJ. Par exemple : Dans Prosopopée, un jeu de ma création, le joueur est encouragé à décrire ce que son personnage perçoit et les conséquences de ses actions.
  • Déconnecter la mécanique des enjeux que la volonté des personnages est censée pouvoir appréhender. Par exemple : faire lancer les dés pour un désaccord sur un élément descriptif ou sur des événements de trop grande ou trop petite ampleur pour qu’ils puissent être appréhendés par les PJ. La mécanique de résolution d’Inflorenza de Thomas Munier peut être utilisée pour départager deux joueurs lorsque l’un d’eux souhaite qu’un événement se déroule dans un marécage alors qu’un autre préférerait qu’il s’agisse de ruines d’un ancien temple. Une fois les dés lancés, les deux participants doivent accepter le résultat obtenu et jouer dans le même sens.
  • Rompre la causalité d’action dans la mécanique du jeu. Par exemple : lancer les dés pour déterminer des événements sans lien avec les actes ou la volonté du PJ. Polaris, Chivalric Tragedy at the Utmost North de P.H.Lee possède une mécanique de résolution par phrases clefs dans laquelle un joueur peut opposer, entre autres, “Seulement si” + une contrepartie à la proposition de son adversaire. Il peut arriver qu’un joueur choisisse comme contrepartie quelque chose sans lien avec les actes de son personnage. Comme par exemple :

– mon personnage t’embroche avec son épée !

Seulement si ton frère meurt d’une crise cardiaque !

À moins que le deuxième personnage ne possède le pouvoir de déclencher des crises cardiaques à distance, l’effet est entièrement décorrélé de ses actions. Pour certains joueurs, une telle proposition n’est pas recevable, mais pour d’autres, elle ne pose aucun souci (bien qu’elle change considérablement le jeu).

  • Jouer quelque chose de très éloigné d’un personnage humain. Par exemple : tout un peuple, comme dans Chronicles of Skin de Sebastian Hickey, un insecte ou un être dont la conscience est très différente de celle d’un humain, comme un dieu, par exemple. Le plus souvent, un tel être sera anthropomorphisé volontairement ou non, comme jouer un “sétentra” dans Sens Néant de Romaric Briand, qui sont des créatures constituées d’éléments et possédant des sens différents des humains. Mais si l’on veut jouer un être non-anthropomorphisé, alors le mode Auteur peut y aider.
  • Agir pour des raisons externes à la fiction. Par exemple : celui qui convainc le moins le MJ par la qualité de ses prestations devra faire la vaisselle après la partie.
  • Orienter le jeu vers une compétition créative de production de fiction. Par exemple : j’ai participé à des groupes où celui qui effectue la description la plus remarquable est félicité par le reste de la tablée.
  • Mécaniser des décisions du personnage. Par exemple : dans Capes de Tony Lower-Basch, le joueur choisit son objectif et le résout de façon mécanique avant de raconter comment ça se passe dans la fiction dans une narration partagée avec les autres joueurs impliqués.
  • Inféoder la fiction à la mécanique et non l’inverse. Par exemple : dans Capes toujours, la phase de narration doit illustrer la façon dont le conflit mécanique a été résolu. De nombreux jeux utilisent ce principe, mais la spécificité de Capes, c’est que le jeu repose intégralement sur une répétition de boucles Mécanique → Fiction.
  • Scripter dans des scènes directives le déroulement de l’histoire et le type d’actions que le personnage doit faire6. Par exemple : dans Perfect Unrevised d’Avery Alder, une série de scènes définissent à l’avance la structure de l’histoire. Le PJ doit commettre un crime, puis le représentant de l’ordre doit trouver un indice sur ce crime, puis une scène de conflit peut avoir lieu entre eux et se solder par la capture du criminel, etc. Quand la structure pré-établie de l’histoire prend le pas sur la capacité des joueurs à l’impacter, cela tend à placer les joueurs en mode Auteur7, dans la mesure où le partage de Responsabilités reste suffisamment large. D’autres jeux intègrent des phases scriptées, comme l’introduction de The Dreaming Crucible de Joel P. Shempert, un JdR s’inspirant de Narnia et Peter Pan. Au début de la partie, les joueurs doivent mettre en scène le trauma du PJ, puis son atout, puis raconter sa rencontre avec les PNJ importants et enfin comment il découvre le passage vers le monde fantastique… Ensuite le jeu devient moins scripté, mais cette phase préliminaire tend à favoriser le mode Auteur pour des raisons similaires à Perfect Unrevised.
  • Lorsqu’un jeu ou une pratique priorise des éléments extérieurs au personnage,plutôt que défendre ses intérêts. Par exemple : l’adéquation à un genre particulier, le symbolisme de ce qui s’y déroule, la compétition créative, etc.
  • Placer des inspirations pour les joueurs qui sont décorrélées de la causalité fictionnelle. Par exemple : piocher une carte ou des Story Cubes quand on est à court d’idée, ou faire en sorte que l’histoire racontée illustre le titre qui lui a été donné précédemment… et souvent, l’effort d’incorporer l’événement ou l’objet aléatoire de façon cohérente dans l’histoire est en soi une approche externe à la volonté de son personnage. New Heaven, de Footbridge utilise des cartes à piocher pour relancer l’inspiration des participants en cours de partie. Il y a néanmoins une variable importante à prendre en compte : à quel point les éléments fictionnels à intégrer s’insèrent facilement et de façon cohérente dans la situation du jeu (des monstres errants s’insèrent facilement dans un donjon, là où il est plus difficile d’intégrer des êtres de neige dans un désert brûlant). L’effort d’intégration de l’inspiration compte donc dans le fait de valoriser ou non le mode Auteur.
  • Supprimer le Positionnement fictionnel8. Souvent, cela se fait en formalisant le partage de narration en une succession de monologues. Le découpage de la narration en monologues tend à placer le joueur en position de surplomb par rapport à son personnage en lui donnant le contrôle sur son environnement et sur les conséquences de ses actes, pouvant rompre la sensation de séparation entre le personnage et le monde dans lequel il évolue et supprimant la possibilité de faire l’expérience de l’altérité9. Ce principe est parfois utilisé pour raconter des successions de flashbacks, auquel cas il peut devenir une fenêtre sur l’intériorité du personnage (Shades de Victor Gijsbers).
  • et bien d’autres, cette liste n’est bien sûr pas exhaustive…

Il est important de noter qu’un ou plusieurs de ces partis pris dans un jeu ne suffisent pas à garantir qu’il fonctionne en mode Auteur. C’est la façon dont l’ensemble du système impacte le Positionnement des joueurs pendant un certain temps qui va déterminer si le jeu est bel et bien orienté vers le mode Auteur.

Remarque : j’emploie parfois des tournures négatives (déconnecter, rompre…) mais cela ne doit pas être pris comme une dépréciation : je compare tous ces fonctionnements au “JdR classique” qui s’en démarquent presque systématiquement, ce dernier faisant donc office de référent simple et efficace, radicalement différent, voire contraire à mes exemples.

Le mode Auteur peut aussi être mis en œuvre volontairement dans une partie par un ou plusieurs participants, en se détachant volontairement des intérêts et de la volonté de son personnage. Par exemple en choisissant de faire subir à son personnage des choses négatives qu’il n’aurait pas décidées et sans contrepartie, en racontant des scènes pour impressionner ses partenaires de jeu, en utilisant son personnage pour produire des situations ou des enjeux intéressants pour les autres joueurs, etc.

Élargir les Responsabilités

Les Responsabilités10 sont le partage de la fiction entre les différents participants d’une partie de JdR. Les approches en mode Auteur utilisent le plus souvent des partages larges :

  • Décrire le monde autour du personnage.
  • Contrôler les PNJ.
  • Créer de l’adversité (parfois pour son propre personnage).
  • Contrôler les conséquences de ses propres actions.
  • Inventer des éléments de l’intrigue.
  • Justifier un acte ou une situation a posteriori11.

Élargir les Responsabilités sur la fiction possède plusieurs avantages : cela permet d’offrir des espaces de créativité aux joueurs, un pouvoir sur la fiction, de leur proposer des enjeux créatifs forts, et de ne plus faire reposer la qualité de la partie sur un seul participant, mais sur toute la table. Les cerveaux conjugués de plusieurs joueurs peuvent être plus performants qu’un seul et produire de nouvelles formes d’émergence.

Élargir les Responsabilités ne suffit pas à garantir qu’un jeu fonctionne en mode Auteur. Innommable de Christoph Boeckle demande à ses joueurs de faire des monologues dans lesquels ils décrivent des apparitions et autres phénomènes surnaturels, mais cela ne constitue qu’une petite partie du jeu et le reste du temps, on plaide pour nos personnages en essayant de les faire survivre.

Des Responsabilités larges peuvent être parfaitement cohérentes avec le fait de Plaider pour son personnage, notamment quand elles facilitent la mise au point d’actions visant à défendre les intérêts du PJ. Par exemple, je précise dans le texte de Démiurges (jeu de ma création qui comporte un MJ et qui se focalise sur le fait de Plaider pour son personnage) que les joueurs peuvent décrire des éléments du décor quand ça facilite la mise en œuvre de leurs actions :

La joueuse de Maât raconte qu’elle touche le sol de marbre pour le transmuter afin d’envelopper les pieds de son adversaire et l’immobiliser. Ici la joueuse décide que le sol est en marbre car elle est capable de transmuter un tel matériau grâce à son pouvoir. Elle peut aussi bien décider qu’un lustre est attaché au plafond pour le faire tomber sur son adversaire, ou qu’un escalier de secours lui permet de s’enfuir par la fenêtre.

Cela dispense les joueurs de demander au MJ des précisions sur le décor, au risque d’invalider leurs projets de façon arbitraire (puisque la préparation de partie ne détaille pas l’environnement au point de devoir à tout prix laisser ces décisions aux mains du MJ). De plus, le jeu ne se focalise pas sur des enjeux tactiques exigeant de la part du joueur qu’il utilise avec intelligence des éléments de décor prédéfinis par le MJ, mais sur la production de scènes intenses et dramatiques. Ergoter sur de tels détails pendant la partie serait contre-productif (contrairement à d’autres jeux où c’est tout à fait adapté et où ça fait partie du plaisir recherché).

Note : Le mode Auteur est plus courant dans des jeux ou pratiques à partage de Responsabilités large, mais son équivalent “le personnage-pion12” existe aussi en partage de Responsabilités serré.

Explorer autre chose que les intérêts des personnages

Le mode Auteur tire parti des Responsabilités du MJ et les répartit entre les joueurs afin d’explorer tout un nouveau potentiel de jeu.

Voici quelques exemples de jeux proposant selon moi des expériences innovantes et probablement impossibles en plaidant à 100% pour son personnage :

SandBucket de Guillaume Jentey et Matthieu Braboszcz

Ce jeu se présente comme un exercice d’improvisation qui nous amène à créer des situations rocambolesques. Le jeu utilise un chronomètre pour faire monter la pression et nous pousser à raconter des rebondissements funs. Le chronomètre permet de poser un enjeu sur la narration qui la rend échevelée et survitaminée, mais le jeu ne se contente pas de cela : il utilise des techniques de cadrage, une structure en scène et des tables pour générer de l’imprévu.

Shades de Victor Gijsbers

Shades place les joueurs en position de raconter les souvenirs de la vie passée de fantômes, sous forme de monologues, et les met en perspective avec leur situation présente dans l’au-delà. À noter que ce jeu crée une passerelle entre le mode Auteur et Plaider pour son personnage en utilisant l’incomplétude et l’incompatibilité des souvenirs des fantômes comme point de conflit entre les joueurs. J’y reviendrai dans un prochain article.

Chronicles of Skin, de Sebastian Hickey

Dans ce jeu, nous ne défendons pas l’intérêt d’un personnage, mais celui d’un peuple. Le joueur se trouve donc majoritairement en surplomb, dans une position plus proche d’un auteur de roman ou d’un enfant jouant à la guerre avec des figurines.

Microscope de Ben Robbins

Microscope fonctionne très différemment de Chronicles of Skin, mais propose également de jouer l’histoire d’un peuple, de sa naissance à sa chute, en explorant sa chronologie dans le désordre. Le fait de changer souvent de personnage au cours de la partie et de devoir concevoir chaque nouvelle scène dans la logique des événements passés et futurs tend à nous détacher des intérêts actuels de chaque personnage joué.

________________

Dans le prochain article de la série, je parlerai de Plaider pour son personnage.

Questions et commentaires bienvenus !

1Cf. “joueur-auteur” sur le Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/joueur-auteur?DokuWiki=qpnbuoh97dcbs8f2am48modnk2 et “défendre les intérêts d’un personnage” : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/d%C3%A9fendre_les_int%C3%A9r%C3%AAts_d_un_personnage?DokuWiki=qpnbuoh97dcbs8f2am48modnk2

2Ce concept est emprunté à Eero Tuovinen, il l’emploie sous le terme d’“advocacy”, notamment dans son jeu Zombie Cinema (2006) : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema

3Ce concept est inspiré de la notion d’auteur (author) développée dans l’article de Eero Tuovinen The pitfalls of narrative techniques sur son blog Game design is about structure : http://isabout.wordpress.com/2010/02/16/the-pitfalls-of-narrative-technique-in-rpg-play/

4“Dans la Posture de l’Auteur, un joueur détermine les décisions et actions du personnage selon ses propres priorités, puis rétroactivement « motive » le personnage pour les accomplir. (Sans cette deuxième étape rétroactive, l’on appelle cela la Posture du Marionnettiste.)” Ron Edwards, Le LNS et d’autres sujets de théorie rôliste, chapitre 3 – traduction française : http://ptgptb.fr/le-lns-chapitre-3

5J’emploie volonté dans le sens d’une séparation entre l’être et son environnement, tel que je le développe dans l’article La volonté et le monde :
La volonté et le monde

6Dans certains cas, le mode Auteur survient dans des jeux formalisés à l’extrême, n’offrant que très peu de prise aux joueurs sur la fiction. Lire L’analogie du jeu d’échec : L’analogie du jeu d’échec

et The pitfalls of narrative techniques par Eero Tuovinen sur le blog Game Design is about Structure :The pitfalls of narrative technique in rpg play

7À noter que structurer un jeu par scènes ne suffit pas à placer le joueur en mode Auteur : Bliss Stage de P.H.Lee propose des types de scènes en rapport avec les activités quotidiennes des PJ, en laissant suffisamment de liberté d’action aux joueurs pour qu’ils puissent plaider pour leurs personnages. La contrainte de la scène épouse les contraintes que les personnages ont dans la fiction : partir en mission contre les aliens, passer du temps avec nos camarades dans notre base, etc. Là où dans Perfect Unrevised, commettre un crime est censé être un acte délibéré, mais il est rendu obligatoire par les règles et dans le déroulement de la partie.

8Il s’agit des interactions fiction → fiction décris dans l’article Le Positionnement, qu’est-ce que c’est ? https://www.limbicsystemsjdr.com/le-positionnement-quest-ce-que-cest/ Pour être qualifiables d’interactions libres, les propositions fictionnelles des participants ne doivent pas être structurées ou formalisées et elles doivent constituer un échange entre deux participants ou plus sans recours aux mécaniques.

9À ce sujet, lire La volonté et le monde : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-volonte-et-le-monde/

10Lire Responsabilité et propriété, dans lequel je développe le concept d’Authority de Ron Edwards : https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

11La justification a posteriori exprime le fait d’expliquer les causes et raisons d’un événement après que l’événement a lieu. Par exemple, dans Prosopopée, les PJ possèdent un grand savoir sur les phénomènes surnaturels, mais plutôt que de demander aux joueurs d’apprendre une encyclopédie du surnaturel, ceux-ci racontent après leur succès aux dés que leur hypothèse était bonne et expliquent pourquoi et comment.

D’autres jeux permettent de justifier a posteriori en quoi le PJ s’est montré intelligent ou perspicace, comme Inspectres de Jared Sorensen.

12Le personnage pion est le pendant du mode Auteur avec un partage de Responsabilités serré, notamment quand le joueur utilise son PJ pour des objectifs tactiques ou de bon fonctionnement de la partie (contredire les intérêts de son PJ pour suivre le bon déroulement du scénario, par exemple) en dépit de ce que son personnage est censé savoir ou vouloir. Voir le schéma de la tomate mûre que d’un côté : Podcast “Tout jeu de rôle partage la narration”

Cet article boucle huit années de réflexions à propos de la conception de jeux. Tout ce que j’ai écrit jusque-là sur la conception de jeux de rôle visait directement ou indirectement ce sujet. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’assimiler et réussir à le formuler. Je vous encourage à me laisser des commentaires si vous souhaitez approfondir la question ou pour de plus amples explications.

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la base d’une mécanique incitative se conçoit comme : “faire A → recevoir récompense B”. Ou “pour recevoir récompense B → il faut faire A”.

L’incitation peut parfois sembler forcée, directive, trop évidente, artificielle, trop externe aux intérêts du personnage, alors que par définition, une incitation est toujours censée laisser le choix au joueur de la suivre ou de ne pas la suivre.

Pour éviter ce biais et affiner les incitations lors de la conception d’un jeu, on peut créer des conditions, des risques ou des conséquences secondaires, par exemple :

  • je peux relancer les dés pour tenter de gagner un conflit que je suis en train de perdre, mais ça augmentera le côté sombre de mon personnage ;
  • je peux gagner un bonus si je commets une action cruelle ;
  • je peux gonfler ma réserve de dés si je gagne des combats, mais un combat est une importante prise de risque ;
  • si je veux gagner un bonus, je dois agir conformément à mes valeurs, ce qui risque de créer des complications dans certaines situations ;
  • etc.

De cette manière, chaque avantage se doublant d’un prix à payer ou d’une contrepartie, la mécanique ne se contente plus de donner une directive, mais un véritable choix à soupeser. La mécanique n’est plus univoque, elle devient une tentation, un quitte ou double, une gestion de ressources à double tranchant, etc.

C’est le premier pas pour concevoir des incitations qui ne soient pas artificielles.

Les idées de récompense et d’encouragement à agir dans un sens donné doivent s’inscrire dans un tout. La carotte ne suffit jamais à obtenir un comportement donné1, elle se contente de le valoriser et donc de donner un signal clair sur l’orientation voulue pour la partie, dans la mesure où cette récompense est cohérente avec le reste du jeu.

Le bâton est généralement contre-productif dans un loisir tel que le jeu de rôle, qui est une activité nécessitant des relations apaisées entre participants et un consentement global pour bien fonctionner. Personne n’est obligé de jouer, les sanctions peuvent donc nuire à la qualité de la partie, dès lors qu’elles semblent injustes.

Une partie de jeu de rôle fonctionne sur une intrication complexe d’éléments en apparence dissociables, mais tout à fait interdépendants, par exemple :

  • Le partage des Responsabilités (sur le monde, les personnages, l’intrigue, c’est-à-dire : qui a le droit de parler à propos de quoi)
  • La présence d’un scénario ou d’une préparation du MJ (et sa structure).
  • La préparation des personnages-joueurs.
  • Les techniques de MJ (si MJ il y a).
  • Le contrat social (comment se met-on d’accord sur ce à quoi on va jouer, les relations entre vraies personnes autour de la table, mais aussi comment on va jouer et comment on résout les éventuels problèmes autour de la table).
  • L’Économie2 du jeu (les paramètres d’évolution des personnages, l’interaction entre toutes les règles, incluant les mécaniques de résolution).

Exemples d’incitations non directives

Ayant joué et mené un bon nombre de scénarios, dans différents jeux, qui visaient à piéger les joueurs et à les mettre au défi de se montrer suffisamment méfiants, préparés et perspicaces pour doubler le MJ afin d’éviter de faire mourir leurs personnages, je me suis rendu à l’évidence que cela tendait à encourager les joueurs à se comporter avec discernement, à prévoir différentes issues possibles avant toute action, à avancer à tâtons et à essayer d’anticiper les pièges du scénario et prendre le MJ à son propre jeu.

Bien sûr, tous les joueurs ne joueront pas forcément le jeu, quelles qu’en soient les raisons, mais cela crée une tendance, souvent d’autant plus forte que cela constitue une pratique prisée par les participants.

Ce comportement m’a sauté aux yeux quand j’ai commencé à jouer différemment : quand ma préparation et mes techniques de MJ ne visent pas à piéger les joueurs et qu’ils en sont conscients, ils ont tendance à agir avec bien plus d’audace, de spontanéité et ce d’autant plus que l’on joue avec des règles transparentes, qui donnent au joueur du contrôle sur la mort de son personnage, par exemple : dans Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, la mort est toujours évitable et découle toujours d’une prise de risque volontaire et calculable de la part du joueur, un PJ ne meurt jamais bêtement, sa mort est toujours un sacrifice. Dans Apocalypse World du même auteur, on peut toujours subir un handicap pour retarder sa mort. Dans Polaris, Chivalric Tragedy at the Utmost North de Ben Lehman, un personnage-joueur ne peut mourir qu’une fois qu’il est devenu vétéran, c’est-à-dire dans le dernier tiers de la campagne, le joueur n’est pour autant pas hors-jeu, puisqu’il peut encore jouer les PNJ.

Les enjeux ne sont plus les mêmes, il ne s’agit plus de déjouer les plans du MJ, mais de jouer des scènes vivantes et extraordinaires parce qu’elles découlent de leurs propres décisions. On joue pour voir où ça va nous mener, quels choix on peut faire et quelles conséquences ils vont avoir.

Les deux façons de jouer valent leur pesant d’or, ce qui m’intéresse, c’est de mettre en lumière à quel point la préparation et les techniques du MJ peuvent avoir une forte influence sur notre façon de jouer.

Bien entendu, tous les joueurs n’adopteront pas le comportement décrit, quelles qu’en soient les raisons, peut-être leur faudra-t-il un temps d’adaptation si ça ne correspond pas à leurs habitudes, ou peut-être ne prendront-ils aucun plaisir dans l’une de ces pratiques (il en existe bien d’autres que celles que je présente ici).

Qu’est-ce que le Vide Fertile ?

En jeu de rôle comme ailleurs, le tout est plus que la somme des parties.

Chaque élément d’un jeu ou d’une pratique crée des incitations, parfois invisibles, ou subtiles et les moindres détails d’une pratique ou de la conception d’un jeu peut modifier en profondeur une expérience, comme nous le montrent les deux exemples ci-dessus. Le Vide Fertile3 est au carrefour de toutes les incitations que produit un système au sens bakerien4, celles qui sont plus ou moins évidentes (les mécaniques, notamment) et celles qui sont invisibles.

Je le résumerais par : “la manière dont l’ensemble des règles, techniques de jeu et de l’éventuelle préparation influent sur la part de liberté de mouvement, de créativité et d’interaction laissée aux participants pendant le jeu”. Autrement dit, les blancs laissés aux participants par le système.

Le but de cet article est d’aborder la façon dont l’ensemble des composantes d’un jeu ou d’une pratique peuvent créer des incitations complexes, qui ne soient pas bêtement directives, mais qui incitent les joueurs à agir ou créer dans une direction commune sans en faire une prescription didactique.

Exemples de Vides Fertiles

Il n’est pas évident de dessiner du vide, il faut généralement se contenter d’esquisser ce qui l’entoure. C’est l’exercice auquel je me suis prêté et pour lequel j’ai choisi deux jeux que j’ai eu le temps d’analyser en profondeur afin d’en comprendre leurs dynamiques et subtilités respectives : j’ai choisi Dogs in the Vineyard et Prosopopée. Le premier parce que son Vide Fertile est remarquable et que j’ai pris le temps de l’analyser sous toutes les coutures (ou presque) et le deuxième étant ma création, je le connais comme ma poche et j’ai pu observer longuement les conséquences de mes choix de conception.

Dogs in the Vineyard de Vincent Baker

Mécaniques de résolution

Dans Dogs in the Vineyard, la mécanique de résolution est un réseau d’incitations complexes :

Au premier niveau, le joueur doit choisir les dés qu’il va avancer pour tenter d’infliger des coups à son adversaire, l’affaiblir, mais aussi économiser ses dés restants. Le jeu l’encourage, à cette étape de jeu, à se montrer efficace et à jouer au mieux pour obtenir gain de cause.

Au deuxième niveau, le joueur a la possibilité d’escalader, c’est à dire de changer de mode d’action pour augmenter le nombre de dés à lancer (passer par exemple du dialogue au combat), ou d’impliquer de nouveaux Traits dans le jeu pour obtenir également des dés supplémentaires. Que le joueur cherche à inverser le rapport de force en sa faveur ou à consolider sa position dominante,

L’escalade tend à aggraver les conséquences du conflit sur l’adversaire, qui peut lui-même escalader en retour. Ainsi, le joueur peut décider de ne pas optimiser ses chances de succès car il ne veut pas faire de mal à son adversaire (qui dans le jeu peut-être un membre de sa famille, une personne appréciable ou respectable, ou un coéquipier) ou parce qu’il ne souhaite pas voir le conflit gagner en violence, car ce serait également une prise de risque pour lui.

Au troisième niveau, le joueur a toujours la possibilité d’abandonner pour limiter les conséquences négatives du conflit. Quand le conflit se termine, on applique les règles pour établir quelles conséquences tout cela aura sur les fiches des participants. Créer ou modifier des Traits, diminuer ou augmenter une Caractéristique, mais aussi à quel point les blessures du personnage sont graves, et quel est le risque de le voir mourir ?

Alors que le premier et le deuxième niveau incitent le joueur à prendre des décisions pour résoudre des enjeux à court terme (je ne veux pas subir ce que l’autre tente de m’infliger immédiatement), le troisième niveau demande de prendre du recul sur les événements5.

Les joueurs ressentent souvent une tension entre leurs objectifs et les conséquences possibles. Leurs décisions parlent de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas et de toute l’ambiguïté entre ces deux valeurs. Le troisième niveau permet de prendre du recul sur ce qui s’est passé et d’en établir les conséquences. C’est le moment où le joueur peut être juge de ses propres actes. Les enjeux immédiats des niveaux 1 et 2 se heurtent à cette prise de recul et les joueurs expriment parfois des regrets, voire de la culpabilité.

C’est une des particularités de la mécanique de résolution de Dogs in the Vineyard, elle est capable de nous faire prendre des décisions déraisonnables, c’est-à-dire de nous amener à faire des choix que l’on peut regretter par la suite, dont les conséquences nous échappent et que l’on n’aurait jamais fait sans le concours de ces mécaniques. Le télescopage de différents enjeux situés à différents niveaux nous met en position de prendre de telles décisions. Et ce phénomène est une source d’émotions intenses et donc de plaisir, pour les amateurs du jeu.

Mais bien sûr, la mécanique seule ne suffit pas, l’ensemble de la structure du jeu est nécessaire pour obtenir un tel résultat et une problématique forte autour des questions de violence et de morale religieuse.

Le rôle des PJ

Les personnages des joueurs ont la responsabilité de guérir les communautés pieuses de leurs péchés et ils ont toute autorité pour appliquer la sentence, par le dialogue, avec leurs poings ou leurs armes à feu. Ils devront d’ailleurs faire face à l’autorité de leur ordre s’ils échouent ou si les choses empirent dans les villages après leur départ.

Cette responsabilité fictionnelle joue un rôle prépondérant : elle place les joueurs en position de juge et de police des mœurs et place sur leurs épaules un lourd fardeau, celui de régler à peu près tous les problèmes sociaux, psychologiques, relationnels et religieux, qui les mettent souvent dans des positions impossibles, comme devoir châtier une personne pour laquelle les joueurs ont de l’affection, par exemple ou stopper des villageois qui pensent être dans leur bon droit de pendre un voleur.

Les hacks de ce jeu peuvent perdre ce qui en fait le sel, dès lors qu’ils omettent de placer les joueurs dans le rôle de police des mœurs, et ce, d’autant plus que les communautés pieuses de l’Utah du 19e siècle n’ont pas du tout le même sens de ce qui est moral que nous et où des choses qui peuvent paraître anodines pour le joueur peuvent mettre un village à feu et à sang. L’intensité des enjeux des mécaniques de résolution dépend en très grande partie de cette position dans laquelle sont mis les personnages des joueurs.

La méthode de préparation de village pour le MJ

Cette méthode propose de créer les problèmes du village par ordre croissant de gravité : de quelle manière les problèmes mineurs, voire anodins ont engendré des problèmes plus importants, allant jusqu’au crime, à la sorcellerie rendant la situation épouvantable.

Les joueurs découvriront petit à petit tout ce qui se trame, ce que les PNJ ont fait et leurs raisons d’agir.

Les thèmes moraux forts sont donc plantés durant cette préparation de village, le rôle de police des mœurs des PJ n’est jamais simple, car chaque PNJ pense être dans son bon droit ou agit par la force du désespoir. Et celui qui pèche n’est pas forcément une mauvaise personne. Tout est en nuances de gris et cette ambiguïté est une force pour le jeu.

De plus, cette méthode de préparation étant parfaitement ouverte, le MJ connaît les problèmes, mais ne sait pas ce que les joueurs vont en faire. Cela permet de se recentrer sur ce qui compte vraiment : explorer les conséquences des actes des personnages. Ainsi, cela permet de se concentrer sur le sens de leurs actes, sur leur justice, leurs excès et leurs entorses aux lois divines.

Les villageois sont toujours là pour rappeler aux joueurs leur rôle et ce que la morale est censée leur dicter (avec toute la subjectivité que cela comporte). Ainsi les conflits s’enchaînent et l’histoire continue de se dérouler, quels que soient les choix des PJs et même grâce aux choix des PJs.

Comment mener le jeu ?

L’un des derniers chapitres du livre donne au MJ les moyens pour renforcer la grande dynamique du jeu, notamment : mener les joueurs au conflit, révéler le village activement, suivre les joueurs à propos de ce qui compte et n’ayez pas de solution en tête.

Ces techniques ne sont pas en soi révolutionnaires, mais mises ensemble, elles catalysent le reste du jeu, elles mettent au premier plan tous les autres enjeux cités plus haut en évitant d’employer des techniques contre-productives.

Le Vide Fertile dans Dogs in the Vineyard

…est le point de convergence de toutes ces incitations :

→ Le jeu place les joueurs en position de juges face à des villageois qui font au mieux face à leurs problèmes quotidiens

→ C’est aux PJ d’exécuter la sentence, ils ont toute l’autorité pour ça

→ Ils devront rendre des comptes si ça tourne mal (le jeu demande au MJ de prévoir ce qui arrive au village si les PJs n’interviennent pas)

→ Les problèmes sont toujours moralement ambivalents

→ Les PJ ont une mission qui peut s’opposer parfois à leurs valeurs, ou à ce qui compte pour le joueur

→ Les joueurs ont une liberté de conscience totale

→ L’histoire n’est que le produit des conséquences de leurs actes et de ceux des PNJ → Ils sont donc entièrement responsables des conséquences de leurs actes

→ Les techniques de MJ servent à appuyer dans ce sens et à le mettre en situation de faire du chantage6 aux joueurs par l’intermédiaire de ses PNJ

→ Lors des conflits, les différents degrés d’enjeux se brouillent pour pousser les joueurs à la faute ou à prendre des décisions regrettables

Les joueurs sont donc pris dans cette spirale, toutes leurs décisions y prennent part et d’intenses problématiques morales émergent pendant les parties. J’ai pu voir des joueurs terrorisés face à un dilemme, de jeunes joueurs qui appréhendaient le jeu sous un angle bourrin et optimisateur, comme une pure question de défi, abandonner un conflit, penauds, pour ne pas faire de mal à un PNJ qu’ils affectionnaient, voire finir par tenter de tout résoudre sans violence.

Il faut comprendre le Vide Fertile comme l’idée qu’une technique ou une règle seule n’est rien, qu’elle ne se définit que dans un tout cohérent7. Si vous prenez n’importe quel bout de Dogs in the Vineyard sans le reste, vous perdrez son Vide Fertile.

Prosopopée, un jeu de ma création

La structure

Prosopopée possède une structure narrative organique : quand le jeu commence, les participants ne savent pas encore de quoi l’histoire et le monde, seront faits. Les personnages doivent découvrir, en même temps que les joueurs, les problèmes du lieu qu’ils visitent, puis les régler. Ces problèmes concernent toujours la relation des communautés humaines avec la nature et le surnaturel.

Deux éléments permettent de donner une dynamique et une direction à l’histoire : les dés d’Offrande et les dés de Problèmes.

Un joueur donne un dé d’Offrande à un autre quand ce qu’il dit lui a plu. Les joueurs amassent donc des dés d’Offrande au fil de la partie. Ils leur serviront à résoudre les Problèmes. Ces dons de dés sont le rythme de la partie. Tant qu’un joueur ne possède pas suffisamment de dés pour résoudre un problème, il devra continuer à mener l’investigation, à dévoiler les lieux, rencontrer leurs habitants et creuser leur histoire. Cela crée un rythme lent, tout à fait adapté à un jeu contemplatif, car il permet que le principal enjeu soit de décrire de belles choses.

C’est rendu possible parce que les joueurs ne sont jamais amenés à résoudre des enjeux par réaction immédiate à des agressions. Le temps long du jeu fonctionne parce qu’il faut du temps pour amasser des dés afin de résoudre ce qui compte vraiment au niveau du macrocosme. Les enjeux sont le “Déséquilibre” du monde, pas les problèmes personnels des personnages. Les joueurs pouvant se concentrer sur les problèmes globaux, plutôt que sur ceux de leurs personnages, il peuvent donc agir avec altruisme et désintéressement.

Les joueurs placent également des dés de Problèmes sur une feuille (appelée Cercle des Couleurs), en les décrivant, ce qui permet d’identifier les problèmes qui comptent vraiment et ceux qui s’avèrent anodins. Le score de ces dés indique leur difficulté.

Les problèmes sont émergeants, personne ne sait au début de la partie de quoi il va retourner. Une fois que les joueurs possèdent suffisamment de dés d’Offrande, ils peuvent résoudre le dé de Problème de leur choix.

Cela donne un caractère imprévisible à la partie :

  • quels seront les problèmes (l’évolution de la partie peut conduire à la création de problèmes inattendus, puisque dépendants de ce que chacun dit) ?
  • dans quel ordre seront-ils résolus (et du coup cela joue sur la compréhension des causes et des conséquences de l’ensemble des problèmes) ?
  • qui va résoudre quel problème et comment ?

De plus, en cas d’échec, certains problèmes sont amenés à changer et notre compréhension de la situation avec.

Voilà pourquoi cette structure est organique et non linéaire : même quand la partie est bien avancée, les choses peuvent changer, échapper aux joueurs. Cela brise le sentiment de toute puissance et la possibilité du consensus quant à la résolution de l’histoire.

Enfin, l’une des spécificités du jeu est que l’on ne peut jamais vraiment échouer (sauf si les joueurs abandonnent d’un commun accord, si la tâche s’avérait trop difficile). La partie s’arrête généralement quand tous les problèmes ont été résolus. Cela inhibe tout défi, toute compétition quant à la réussite ou non des objectifs des joueurs. Le jeu évite tout sentiment de linéarité grâce au caractère organique et imprévisible de l’histoire et de la création commune du monde au pied levé.

Le partage de Responsabilités

Dans Prosopopée, le partage des Responsabilités narratives est très large8, c’est-à-dire que les joueurs ont la liberté de décrire le décor, l’intrigue et les personnages secondaires à loisir. Comme il n’y a pas de préparation préalable, cela permet de ne pas faire reposer la création au pied levé sur une seule personne, la conjugaison des cerveaux produit une synergie créative et le suspense naît de l’impossibilité de prévoir les apports des autres9.

Ce partage large des Responsabilités est ce qui donne aux joueurs un grand espace dans lequel ils peuvent éprouver toute l’amplitude de leur créativité. Ils sont encouragés à se montrer créatifs et le moindre ajout de détail anecdotique peut revêtir une très grande importance pour la suite de l’histoire, ce qui est la plus grande récompense que le jeu offre aux joueurs : que leurs apports à la fiction puissent prendre une grande importance pour la suite de l’histoire, simplement en réincorporant (et éventuellement en développant) ce qui a été dit avant.

De plus, ce partage large des Responsabilités sur la fiction permet également aux joueurs de pouvoir inventer pendant le jeu les solutions et les explications relatives aux problèmes et de conférer à leurs personnages toute la culture et toute la sagesse nécessaire à leur rôle, sans avoir à ingurgiter des encyclopédies avant la partie10.

La création de contenu fictionnel brut et son appréciation (ce que Ron Edwards appelle l’Exploration) sont mises au premier plan, car les enjeux de type “défi” sont inhibés et le positionnement des joueurs par rapport aux notions de bien et de mal est déjà tranché (il faut rétablir l’équilibre entre nature, surnaturel et humains).

Mécaniques de jeu

Pendant le jeu, le renforcement de l’esthétique de la fiction est central. La mécanique de récompense via les dés d’Offrande n’est pas ce qui conduit le joueur à respecter le canon commun11, c’est le fait de devoir construire sur ce qui a été dit avant sans planifier ce que l’histoire devrait devenir.

Le don de dés d’Offrande permet seulement de renforcer l’importance de cet enjeu. Il valide le fait de jouer dans ce sens et il met tout le monde d’accord à ce sujet. Il permet également de communiquer sur ce que les joueurs préfèrent sans interrompre la fiction, donner des pistes quant à la direction que le groupe privilégie pour l’histoire et le monde que l’on crée. Il donne un coup de pouce à une dynamique déjà présente dans le jeu, la valide, la récompense et augmente le plaisir de jouer dans la bonne direction.

Les dés de Problèmes jouent également un rôle important à ce sujet, puisqu’ils permettent aux joueurs de décider quels seront les enjeux principaux de la partie et donc de mettre en valeur les idées et créations des autres, en leur donnant un rôle central dans l’histoire. Quand un joueur place un dé de Problème, il verrouille un élément de la fiction et en fait un élément clef de la partie.

Les joueurs peuvent modifier ce qu’ils veulent comme ils le veulent dans la fiction. Verrouiller un élément de la fiction signifie qu’il n’est plus malléable. Les joueurs le notent sur une fiche, il résiste désormais à la volonté des participants. Le seul moyen de le faire céder est de lancer les dés d’Offrande amassés au cours de la partie. Les dés d’Offrande et les dés de Problèmes participent d’une même boucle, toutes les composantes du jeu interagissent et stimulent la création et les interactions sociales des participants autour de la table dans une direction commune, la fiction et les mécaniques s’alimentent mutuellement, la boucle est bouclée.

Les Médiations (les Caractéristiques du jeu) orientent la manière de résoudre des Problèmes en proposant au joueur d’employer des moyens créatifs, sages, intellectuels, etc. Techniquement, ils ne suffisent pas à inciter les joueurs à limiter la violence, et certaines formes de violence peuvent parfois se révéler justifiées. Mais conjuguées à l’incitation à l’altruisme, au fait que les Médiums ne sont pas affectés eux-mêmes par les Problèmes et qu’ils doivent rétablir l’équilibre entre humains et nature/surnaturel encourage les joueurs à agir à la façon de sages érudits, et donc sans utiliser de méthodes guerrières.

La limite des hacks du jeu tient au fait que les Médiums sont intouchables, que la résolution ne fonctionne pas par action/réaction, mais sur la découverte progressive des problèmes et des moyens de les résoudre, et que les problèmes et les Médiations les poussent à se comporter comme des médiateurs.

Enfin, un petit nombre de conseils permet de faciliter l’appréhension du jeu dans le sens de sa démarche globale, comme par exemple : “Ne nommez pas, décrivez”, “Prenez le temps d’apprécier les silences”, “Personne ne doit planifier l’histoire”, etc.

Le Vide Fertile dans Prosopopée

L’ensemble des éléments du jeu que je viens de décrire (et d’autres encore) créent les conditions et incitent à la contemplation, à la poésie. Les parties ressemblent souvent à un rêve éveillé collectif. C’est le Vide Fertile, qui est le produit de l’ensemble des composantes du jeu et de son impact sur les processus créatifs et sociaux.

→ Les Médiums doivent découvrir les Problèmes entre humains et la nature/le surnaturel

→ Personne ne sait rien de ce que l’on va trouver, ni de l’histoire (il ne faut pas planifier l’histoire)

→ Les dés d’Offrande et de Problèmes donnent un temps de jeu lent et contemplatif, ainsi qu’une structure organique à l’histoire : ils créent de l’incertitude quant à l’évolution de l’histoire, à l’émergence des Problèmes et de comment elle va se résoudre, et en cas d’échec, les Problèmes peuvent changer et échapper aux joueurs

→ On ne peut jamais échouer (sauf abandon collectif) ce qui inhibe les enjeux de défi et de compétition

→ Les dés d’Offrande permettent de communiquer silencieusement sur la direction qui plaît au groupe, ce qui facilite la constitution d’un canon commun

→ Ce qui incite à respecter le canon, c’est le fait de construire sur ce que les autres ont dit

→ Les dés de Problèmes permettent d’établir ce qui compte vraiment pour l’intrigue et de valoriser les apports des autres

→ Ils créent également une résistance sur des éléments de la fiction, qui ne peut être rompue qu’en lançant les dés (ce qui fait boucler l’Économie du jeu)

→ Les Problèmes n’affectent pas les Médiums, ils sont centrés sur les communautés humaines et sur la nature/le surnaturel, les joueurs peuvent donc se montrer altruistes

→ Les Médiations orientent les résolutions de Problèmes dans des directions autres que le combat ou la violence

→ Le large partage de Responsabilités permet de conjuguer la créativité des participants et d’ouvrir de grands espaces de créativité

→ Les joueurs ont toute latitude pour inventer la culture de leurs Médiums et les rendre “sages” de toutes les manière qu’ils désirent

→ Les enjeux de défi et de se positionner par rapport au bien et au mal sont inhibés, l’Exploration au sens de Ron Edwards peut être la priorité des parties

→ Les conseils facilitent une manière de jouer en accord avec le reste

Voilà donc toutes les incitations à l’œuvre dans le jeu (j’ai omis les mineures). Elles convergent toutes pour construire une démarche solide.

Si l’on voulait produire le même effet par une incitation directe, il faudrait donner une injonction au joueur de type : si vous dites quelque chose de poétique/contemplatif/qui contribue au rêve éveillé, vous gagnez un bonus ! Or, les dés d’Offrande ne font pas une telle chose, ils guident le jeu et permettent de valoriser les joueurs qui séduisent le plus les autres (ce qui est déjà la démarche du jeu, même si on enlève les dés d’Offrande, ils ne font que la renforcer), sans influencer le contenu de leurs contributions.

Du coup, les joueurs se trouveraient dans un effort créatif OuLiPien, mais une telle approche met le joueur en situation de performance et cela tend à rompre toute causalité avec les enjeux fictionnels et les intérêts de son personnage (ce que Prosopopée préserve au contraire). Typiquement, ce type d’incitations est inapproprié pour de l’incitation directe si l’on veut obtenir un minimum de nuance, de spontanéité et de fraîcheur. Mieux vaut créer les bonnes conditions, faciliter et renforcer une certaine forme de jeu que donner des injonctions.

Le Vide Fertile consiste à réinsérer les incitations dans une structure organique et en symbiose avec les enjeux de la fiction, en faire une dynamique plutôt que des panneaux indicateurs.

Conclusions

Le Vide Fertile est le contraire de forcer les joueurs à aller dans un sens donné. Il tire partie des potentialités du jeu en matière de choix et de créativité. Le jeu fournit un terreau dans lequel les joueurs puisent, le cadre dans lequel ils peuvent éprouver pleinement leur liberté et ils sont encouragés à créer dans des directions bénéfiques pour le jeu et pour la fiction.

Les éléments du système doivent être conçus en convergence et pour le groupe de joueurs (MJ compris). Tous les jeux possèdent des espaces blancs laissés aux joueurs et au MJ, mais beaucoup ne les transforment pas en une dynamique créative et sociale.

C’est quand le jeu vous fait faire des choses qui vous surprennent vous-mêmes, quand vous avez le sentiment qu’il se produit plus que ce que chacun pourrait apporter individuellement (la conjugaison des cerveaux et du système) que l’on peut parler de Vide Fertile fort.

VAMPIRES, a postmodern roleplaying game, de Victor Gijsbers, donne un exemple d’injonction tuant le Vide Fertile. Un joueur est exhorté à agir avec cruauté dans des scènes prévues à cet effet et les autres jugent le niveau de sa performance (d’autres scènes mettent en jeu des conflits entre vampires). D’une part, l’effort se dissocie des intérêts fictionnels du personnage, les joueurs se trouvent en situation de performance pure pour mettre les autres joueurs mal à l’aise.

Les descriptions peuvent être intenses, mais la motivation des joueurs et la raison pour laquelle on va commettre des actes de cruauté est externe à la fiction : c’est la mécanique qui nous le demande et la qualité de la performance est le fait du joueur et non du jeu, qui se contente de renforcer sa créativité, sans donner le terreau et sans inscrire ces actes dans une causalité d’actions et de décisions qui permettraient de leur donner du sens en faisant de toute cette cruauté l’aboutissement des décisions du joueur. C’est un cas typique où le jeu cherche à créer une motivation, plutôt que de renforcer une motivation déjà existante. Sur la durée, ces scènes finissent par paraître forcées, artificielles, vides de sens.

Dans VAMPIRES, l’incitation devient purement mécanique et détachée des enjeux fictionnels. OK, la cruauté des vampires est leur façon de se nourrir (en gorgeant une réserve de dés) et le but du jeu est de nous pousser à l’inhumanité. Mais cette inhumanité demeure artificielle. Difficile de s’y engager si ce n’est pas le fruit d’un engrenage progressif ou une légitimation par des choix personnels, mais une pure contrainte mécanique. Si on ne le fait pas, notre personnage n’aura pas les moyens de rivaliser avec les autres vampires, donc la boucle de l’Économie du jeu existe et fonctionne, mais elle est mécanique et non organique et étouffe le Vide Fertile.

Certains jeux possèdent du contenu, des règles et des techniques qui s’éparpillent dans plusieurs directions (Cf. Vampire la mascarade, à ne pas confondre avec VAMPIRES, a postmodern roleplaying game dont je viens de parler), d’autres les mettent ensemble en les laissant flotter conjointement sans générer d’interactions fertiles entre elles (Cf. L’Appel de Cthulhu). Le Vide Fertile ne peut exister que si l’ensemble des composantes du jeu convergent et bouclent pour produire une spirale créative et sociale positive. De plus, quand un scénario prévoit trop l’histoire, il remplit le Vide Fertile à l’avance et ne permet pas aux joueurs de se l’approprier.

Dans le schéma de Vincent Baker, l’Économie est la roue et le Vide Fertile est la spirale en son centre, générée par son mouvement.

Tout se joue au niveau préalable au moment où les joueurs (MJ compris) prennent des décisions : l’ensemble des choses en jeu comptent dans ces moments particuliers, la façon dont ils pèsent, orientent, stimulent, créent des tensions, rendent certaines choses possibles, rendent intéressantes, éliminent les options parasites, facilitent, renforcent, créent une émulation, ouvrent et resserrent les possibilités…

Une fiction de faible intérêt (si on la retranscrivait fidèlement après la partie) peut être issue d’une partie de jeu de rôle formidable, car les faits fictionnels énoncés ne retranscrivent jamais la totalité de ce qu’il se passe dans le processus de décision d’un joueur et de l’influence que ses camarades et le système ont dessus, ce que Romaric Briand nomme le Maelstrom12.

Ni le Maelstrom, ni le Vide Fertile ne sont accessibles lorsqu’on assiste à une partie sans y prendre part ou lorsqu’on lit une retranscription de sa fiction. Et ce sont pourtant les deux choses les plus importantes de toute partie de jeu de rôle.

Le Vide Fertile est aussi la raison pour laquelle on ne peut pas juger correctement un jeu de rôle à la lecture de son manuel. Il est impossible de saisir la façon dont ses composantes mises ensemble produiront un Vide Fertile, ni s’il sera fort ou non.

Quand vous écrivez un jeu, le Vide Fertile est tout ce qui compte, la raison pour laquelle vous créez des règles, des techniques et du contenu. Il n’y a pas de recette pour construire un jeu produisant un Vide Fertile fort. Le but de cet article est de le mettre en évidence. Mon meilleur conseil à présent : jouez à des jeux à Vide Fertile fort. Réfléchissez à la façon dont ils le produisent et pourquoi certaines choses émergent fréquemment dans la pratique de certains jeux alors qu’aucune mécanique n’en porte le nom !

Le sujet est immense, et je vous invite à en discuter ici-même. Posez-moi des questions, parlez-nous de vos propres expériences de Vides Fertiles, approfondissons la question, aidons ceux que cela intéresse à consolider le Vide Fertile produit par leurs jeux.

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1 La motivation d’un individu à faire quelque chose dépend du sens qu’il y met, de ses relations avec les personnes avec qui il interagit et de nombreux autres paramètres sur lesquels on ne peut agir. Il est possible de renforcer une motivation déjà présente. Mais pas de créer de la motivation. Voir le concept de renforcement en psychologie sociale : http://fr.wikipedia.org/wiki/Motivation#Les_th.C3.A9ories_du_renforcement

2 L’Économie, “Currency” en anglais, est expliquée plus en détail dans cet article de Vincent Baker (en anglais) : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497 et sur le Provisional Glossary (en anglais) : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html
Vous trouverez à l’adresse suivante un schéma de l’Économie de
Poison’d de Vincent Baker (en anglais) : https://docs.google.com/drawings/pub?id=1AoKhvMN3Nz9rCsbwjzTukWFuavnu5b4b1D6F7oXI84&w=960&h=720

3 Ce concept est présenté par Vincent Baker sous la forme d’un schéma précédant une discussion passionnante (en anglais) : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/119

4 Le système, selon Vincent Baker, est la façon dont on se met d’accord pour prendre des décisions dans la fiction. Cela comprend l’ensemble des règles véritablement utilisées, les techniques habituelles du groupe et celles employées ad hoc. Ainsi, la présence d’un scénario, sa structure, le partage de la narration etc. font partie du système. Voir la définition du Provisional Glossary (en anglais) : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html

5 Dan Maruschak identifie ce phénomène comme une différence de “distance psychologique”, d’après les théories des psychologues Yaacov Trope et Nira Liberman (en anglais) : http://www.danmaruschak.com/blog/2013/06/28/foreststreesandrpgs/

6 Voir la résistance asymétrique Négociation/Chantage dans l’article suivant : http://www.limbicsystemsjdr.com/laresistanceasymetrique/

7 Toujours à propos de l’Économie : alors qu’une mécanique pourra sembler adaptée pour un jeu donné et renforcer sa dynamique, elle peut s’avérer un frein pour un autre, voire se trouver inadaptée. Le principe fondamental pour obtenir une Économie forte est de considérer l’influence de chaque mécanique sur les autres comme une roue qui tourne sous l’impulsion des joueurs et qui peut s’avérer un cercle vertueux et/ou vicieux, conduisant l’histoire et les personnages vers leur accomplissement ou vers leur perte ; avec dans certains jeux un grand dégradé de nuances entre ces deux issues possibles et dans d’autres un seul type de dénouement possible.

Voir l’article Les niveaux d’un système : http://www.limbicsystemsjdr.com/lesniveauxdunsysteme/

8 Pour plus d’explications sur la différence entre partage de Responsabilités serré ou large, écouter le podcast Responsabilités, Positionnement et Machines à saucisse : http://www.lacellule.net/2014/05/podcastjdrresponsabilite.html

ou lire son résumé : http://www.limbicsystemsjdr.com/podcasttoutjeuderolepartagelanarration/

9 Observation de Benoît “Yglirin” dans le fil [On mighty Thews] Narration partagée et prévisions sur le forum Silentdrift : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=19&t=2656#p21629

10 Pour un développement de ce point, lire Partage de narration, exemple : les sages de Prosopopée : http://www.limbicsystemsjdr.com/partagedenarrationexemplelessagesdeprosopopee/

11 Le canon d’une partie de jeu de rôle est le cadre selon lequel les participants définissent ce qui est acceptable dans les propositions des participants : ce qui correspond au genre (au sens large) de la fiction que l’on crée ensemble. Ce cadre n’est jamais parfaitement rigide et l’exploration de ses limites peut participer au plaisir de jeu. Pour plus d’explications, voir l’article Comprendre le simulationnisme à travers Prosopopée : http://www.limbicsystemsjdr.com/comprendrelesimulationnismeatraversprosopopee/

12 Romaric Briand, Le Maelstrom (2014), chapitre Le Maelstrom, p.239 à 289.

Bonjour à tous,

Qu’est-ce que la narration partagée ? Qu’est-ce qu’un JdR traditionnel ? Qu’est-ce que le narrativisme ? Cette semaine, je prends le micro à la Cellule pour essayer de remettre un peu d’ordre dans tout ça.

Suivez le lien

 

Différents-types-de-JdR-001

 

Une partie de ce podcast vient en complément de ma dernière série d’articles sur le Positionnement. Le schéma ci-dessus est un résumé de son contenu. Je l’interprète comme suit :

  • Je pars du principe que tout jeu de rôle partage la narration, mais de façon plus ou moins serrée et plus ou moins large.
  • Plutôt que de parler de partage d’autorité, je préfère parler de partage de Responsabilités.
  • Ce que j’appelle jeu de rôle traditionnel se définit simplement par la présence d’un scénario qui prédéfinit des événements qui auront lieu pendant la partie (plutôt que par le fait que le MJ a autorité sur tout). Les jeux de rôle non traditionnels englobent le reste.
  • Un aspect fondamental du jeu de rôle consiste à défendre les intérêts de son ou ses personnages.
  • De cette manière le joueur incarne la volonté de son personnage et le MJ le monde autour de lui.
  • Les pratiques et les jeux où l’on ne défend pas les intérêts de nos personnages se partagent en 2 catégories : le « personnage pion » où le joueur ne défend pas les intérêts de son personnage, avec un partage de responsabilités serré. Et le « joueur auteur » où le joueur ne défend pas les intérêts de son personnage, avec un partage de responsabilités large.

Plus d’explications dans le podcast.

Cet article fait suite à Des flèches et du Positionnement et à l’Analogie du jeu d’échec. Je vous conseille de les lire si ce n’est déjà fait avant d’attaquer ce qui suit.

Pour rappel, le fond de la théorie que j’utilise est d’Emily Care Boss et Vincent Baker, les interprétations, les prescriptions et les éventuelles erreurs sont de moi :

1) Le Positionnement fictionnel

Le Positionnement concerne la façon dont toute chose interagit avec la fiction.

On peut le définir par “Tous les choix possibles à un moment donné de la partie”.

Imaginons la situation fictive suivante :

Le MJ dit « Pendant un casse dans une banque, ton frère a pris ton coéquipier flic en otage. »

On peut imaginer un nombre de réponses gigantesques à cette situation. En partant du principe que le PJ est dans la banque à ce moment-là, voici quelques exemples de choix :

  • tuer ton frère

  • essayer de sauver le coéquipier sans tuer ton frère

  • décider de laisser ton frère partir avec son otage

  • décider d’aider ton frère à faire son casse

  • commencer par allumer une clope, pourquoi pas ?

Les choix possibles sont innombrables, ce qui est en soi la différence fondamentale entre un jeu de rôle d’une part, et d’autre part un livre dont vous êtes le héros ou un jeu vidéo.

D’autant plus que si par exemple tu choisis “d’essayer de sauver ton coéquipier sans tuer ton frère”, il y a encore une infinité de manières possibles de le faire :

  • lui tirer une balle dans la jambe pour le mettre hors d’état de nuire

  • essayer de l’émouvoir en évoquant vos histoires d’enfants

  • l’intimider en lui faisant comprendre que quoi qu’il fasse, il est cerné (ce qui est vrai)

  • bluffer en lui faisant croire qu’il est cerné (car c’est faux)

  • bluffer en lui faisant croire que ton coéquipier ne compte pas pour toi

  • donner le feu vert au sniper qui le vise depuis l’immeuble d’en face

Sans compter que quoi que l’on dise, le moindre mot peut avoir son importance.

Ça, c’est la base, mais creusons un peu.

Avant cette situation, il s’est forcément passé quelque chose. S’il n’y a aucun flic dehors, ce n’est pas légitime de dire que le preneur d’otage est cerné, sauf si tu essayes de bluffer.

Et qu’en est-il de la relation entre les deux frères ?

  1. On peut l’avoir déjà jouée un peu plus tôt dans la partie

  2. On peut simplement l’avoir notée sur la fiche de personnage

  3. On peut l’inventer au pied levé

Il existe plusieurs façons de légitimer une déclaration fictionnelle. En fonction des conventions, des règles ou des habitudes, chaque solution est envisageable.

  • S’il s’est passé 1. et qu’il est apparu que les deux frères s’adorent, ça facilite le fait d’essayer de l’émouvoir en évoquant les bons moments passés ensemble, notamment quand ils étaient enfants. Ça signifie que tout ce qu’il s’est passé avant cette scène crée de nouveaux choix, ou renforce leur intérêt.

  • S’il s’est passé 2. c’est ce que Vincent Baker appelle « cue mediation » : ça veut dire qu’on a décidé quelque chose hors fiction qui rend légitime le fait d’en tirer une conséquence durant une scène, par exemple : j’ai noté que j’avais un flingue sur ma fiche, ça signifie que je peux le dégainer à ce moment là et donc tirer dans la jambe de mon frère.

  • S’il s’est passé 3. ça signifie que le joueur peut inventer au pied levé le passé de son personnage avec le PNJ, ou le fait qu’il y a plein de flics dehors. Généralement on encadrera ce type de responsabilité en délimitant ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas et qui est en position de dire quoi à quel moment, soit a priori, soit a posteriori.

Tout ça, c’est l’interaction Fiction → Fiction – qui est en fait une simplification de Fiction → Interpersonnel → Fiction – car ça ne compte que si chaque action, chaque description offre de nouveaux choix aux autres participants.

Ce que dit cette interaction, c’est que les choix immédiats dans une situation doivent être produits par d’autres joueurs.

Il suffit de trouver ce type d’interaction dans une partie de jeu de rôle pour que le Positionnement fonctionne. C’est le cas du JdR freeform, que Brand appelle “système zéro” ou, que l’on appelle de façon abusive, “jeu de rôle sans règles”.

Note : Dans ce chapitre, j’ai volontairement pris l’exemple d’interactions tendue entre trois personnages, mais le Positionnement se joue jusque dans la moindre description en apparence anecdotique : si par exemple quelqu’un décide qu’il y a un guichet non loin de ton personnage, tu pourrais décider d’aller te planquer derrière. On pourrait également décider qu’un bouton d’alarme s’y trouve, permettant d’alerter le poste de police le plus proche pour obtenir des renforts. Le fait donc de décrire cet élément de décor crée de nouveaux choix possibles et la description d’un élément en apparence anodin peut aller jusqu’à changer l’issue de la partie.

2) Le Positionnement mécanique

À présent, quand l’action est choisie, il faut déterminer son résultat. Les moyens par lesquels on le décide, c’est l’Efficacité : si j’ai 8 en « viser » et 3 en « convaincre », je vais peut-être plutôt choisir de tirer dans la jambe de mon frère parce que ça a plus de chances de fonctionner. Ça, c’est du « Réel → Fiction ».

Ensuite, on lance les dés, on pioche des cartes ou on compare des scores, peu importe. Il faut déterminer le résultat. Pour simplifier, je vais considérer qu’on lance les dés dans mes exemples suivants.

Après avoir lancé le dé, on peut envisager un grand nombre de résultats possibles :

  • Je tire dans la jambe de mon frère, il est hors service le temps que mon coéquipier se mette hors de danger

  • Je tire dans la jambe de mon frère, il est hors service, du coup je sauve mon coéquipier et on se barre

  • Je tire dans la jambe de mon frère, mais merde, il pisse le sang, il tourne de l’œil, il faut que j’appelle les secours

  • Je rate la jambe de mon frère et je touche mon coéquipier, mais c’est superficiel (que va faire mon frère après ça?)

  • Je touche mon frère au ventre au lieu de la jambe…

  • Je tire dans le mur derrière, mon frère riposte et me blesse

  • Je touche mon frère, mais lui a le réflexe de tirer à son tour et tue mon coéquipier

  • Je touche mon coéquipier, c’est une blessure grave

(Bien entendu, cette liste est très loin d’être exhaustive).

Il faut déterminer le moyen de décider du résultat de l’action. Pourquoi serait-ce à l’avantage du PJ ou de son frère ? Quelqu’un est blessé ? Qui ? Comment réagissent les personnages en scène ? Etc.

Il est tout à fait possible de laisser le MJ décider par exemple, auquel cas la méthode de résolution s’inscrit dans une interaction Fiction → Interpersonnel → Fiction, “Interpersonnel” désignant l’instant où le MJ prend sa décision. Mais si l’on passe par un moyen mécanique, il y a un certain nombre de choses à prendre en compte si l’on veut préserver le Positionnement :

En premier lieu il faut établir sous quelles conditions fictionnelles on applique la règle. J’appelle ce type de mécanique “circonstancielle”, car elle n’est applicable que lorsqu’une ou plusieurs circonstances fictionnelles se présentent dans la situation que vous explorez.

Par exemple : “en cas de combat, lance autant de dés que ton score de Force + Agilité” ; “lorsque deux personnages sont en conflit, lancez 1d20 sous Caractéristique” ; ou “quand un personnage montre de la sympathie pour les démons, lancez un dé d’expérience.”

Une mécanique circonstancielle, c’est une procédure qui se borne à modifier un événement fictionnel par un moyen mécanique : dés, chiffres ou autres.

Elle se distingue des règles employées pour des causes externes à la fiction, par exemple : “à la fin de la scène, jouez un conflit et lancez les dés” ; “si vous voulez décrire un élément du monde, dépensez un point d’histoire” ; “si vous ne voulez pas que ce que dit l’autre joueur soit vrai, lancez un dé.” Dans ces exemples, “scène”, “élément du monde” ou “ce que dit l’autre joueur” sont externes à la situation fictionnelle.

Les mécaniques non circonstancielles tendent à briser la causalité nécessaire à l’intégrité de la fiction. Prenons l’exemple dans lequel on joue systématiquement un conflit quand la scène se termine : cette règle impose aux joueurs de créer artificiellement un conflit à la fin d’une scène, y compris si les actions des participants n’étaient pas antagonistes et ne supposaient aucune confrontation. Le joueur va donc être amené à intégrer un conflit “tombé de nulle part” à la situation, seulement parce que les règles l’exigent. Il y a rupture de la causalité fictionnelle – c’est-à-dire avec le fait qu’une décision d’un joueur dans la fiction soit prise en conséquence de la situation, des actes des autres personnages mais aussi en regard de ses propres décisions passées. Pour cette raison les mécaniques non circonstancielles affaiblissent le Positionnement fictionnel.

Une mécanique circonstancielle a pour but de préserver la causalité interne de la fiction en s’inscrivant dans la continuité d’une action, d’un événement (voir le principe de l’IIEE : Intention, Initiation, Exécution, Effet sur le Provisional Glossary). C’est la flèche “Fiction → Réel” qui la représente et elle s’insère généralement à court ou à long terme dans un schéma “Fiction → Réel → Fiction” car la procédure mécanique est employée en cause de la fiction pour produire des conséquences dans la fiction.

Chose importante : le moindre détail dans la description de l’action précédente doit pouvoir avoir une incidence sur le résultat. Une mécanique qui restreint les issues possibles indépendamment des choix des joueurs avant de lancer les dés, ou une mécanique qui fait lancer les dés avant d’établir l’intention ou l’initiation de l’action à résoudre, brident le Positionnement fictionnel.

Ça signifie que la décision avant de lancer les dés a créé de nouvelles potentialités pour le résultat et que ce que le dé a donné comme score aussi.

Le résultat de l’action et du jet de dés est une nouvelle situation, donc une nouvelle création de potentialités.

3) Le Positionnement interpersonnel

À présent reprenons la situation de départ de prise d’otage.

Au lieu de tout ce que j’ai décrit plus haut, tu préfères dire : Je saute sur le guichet, je m’accroche au lustre et je donne un double coup de pied au visage de mon frère.

Là, il y a plusieurs options :

  • les participants trouvent ça dans le ton du jeu, on continue

  • quelqu’un tique : euh, attends, le type il a le pistolet sur la tempe de ton coéquipier, s’il te voit monter sur le guichet, il met une balle dans la tête de ton coéquipier et avant que t’aies fini, tu t’en prends une aussi

  • ça peut aussi être “attends, tu peux faire de tels trucs ? T’as combien en Agilité ?”

  • voire : Pffff, c’est naze, on n’est pas dans James Bond !

Et ça, c’est un élément fondamental du Positionnement : une chose n’est vraie que si tous les participants y ont consenti (tacitement ou explicitement). Dès qu’il y a remise en question, la prise de position est invalidée. Le Positionnement, c’est donc créer des potentialités dans le jeu, celles-ci étant innombrables, on ne peut pas définir à l’avance celles qui seront légitimes et celles qui ne le seront pas, donc on vérifie chaque chose dite afin d’invalider celles que l’on jurera illégitimes.

Ça signifie que les exigences de toute la table doivent être satisfaites et pas seulement celles du MJ, car un joueur à qui l’on refuse ce droit de remettre en cause une déclaration peut ne plus croire à ce qu’il se passe dans la fiction, la trouver crédible. Ça veut dire également qu’en réalité personne n’a autorité sur rien (contrairement à ce que je dis dans cet article) mais plutôt que chacun est responsable de quelque chose dans la fiction.

Être responsable d’un personnage, ça signifie que l’on peut dire des choses sur ce personnage, ce qu’il fait et ce qu’il dit notamment. Mais ça signifie aussi que l’on est responsable devant les autres participants de la crédibilité de ce que ce personnage fait et dit. On a un privilège sur un élément de la fiction, mais aussi un devoir d’essayer de respecter les exigences du groupe. Parce que tant que tout le monde n’a pas consenti, la partie ne peut pas se poursuivre convenablement.

C’est l’un des fondements du Positionnement interpersonnel.

À noter que j’ai déjà abordé une partie du Positionnement interpersonnel au sujet de la fiction, car générer de la fiction est en soi un processus interpersonnel en jeu de rôle.

Note : J’ai volontairement pris un exemple d’action un peu caricaturale, mais il faut savoir que ce processus a lieu tout le temps : est-ce que j’ai le droit d’avoir un flingue ? Est-ce que je peux inventer le passé commun de mon PJ et du PNJ ? Est-ce que je peux le frapper avant qu’il tue mon coéquipier ? Est-ce que c’est plausible que j’allume une clope dans cette situation ? Est-ce que je suis plutôt en uniforme ou en civil ? Est-ce que j’habite un studio ou un F3 ?

Commentaires et questions bienvenues !

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Selon le principe de Lumpley1 que je vous rabache souvent, le système (incluant les règles mais ne s’y limitant pas) est l’ensemble des moyens par lesquels le groupe se met d’accord à propos des événements fictifs.

Ok , voyons cela de plus près.

 Faire du jeu de rôle, c’est dire des choses à propos de personnages dans une fiction.

Il ne suffit pas de dire des choses, on a besoin d’établir qui peut dire quoi ; il y a des choses que j’ai le droit de dire et pas toi et vice versa.

Quand je dis quelque chose, c’est dans le but de réagir à ce que quelqu’un a dit et d’obtenir une réaction de quelqu’un d’autre.

Quand ce que je dis s’oppose à ce que tu dis et que chacun campe sur ses positions ou que l’on endure un risque que l’on veut éviter, on parle de résistance.

Quand on décide qui surmonte l’opposition, on parle de résolution.

 Ça, c’est la base d’une partie de jeu de rôle.

C’est quoi le système là-dedans ?

Qui dit quoi ?

Souvent en jeu de rôle, j’ai le droit de dire ce que fait un personnage particulier mais pas les autres. Le MJ décrit le décor et ce que font les personnages, sauf ceux des joueurs…

 Il s’agit du fondement du système : établir qui a le droit de dire quoi.

 Souvent, les groupes ayant une pratique traditionnelle mettent en place des procédures de manière tacite quant à qui a le droit de dire quoi : à certaines tables traditionnelles, les joueurs ont le droit de décrire les lieux qui appartiennent à leurs personnages, mais ce n’est pas toujours le cas ; certaines fois les joueurs doivent questionner le MJ pour savoir si quelque chose existe, d’autre fois, le MJ les laisse décider eux-mêmes ; il arrive que les joueurs enrichissent eux-mêmes le monde du jeu, parfois c’est le MJ qui gère cela seul ; le MJ peut parfois prendre temporairement le contrôle des PJ, parfois il s’en abstient, etc.

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît conditionne fortement qui a le droit de décrire ce qui le compose.

 Dans les jeux à partage d’autorité, souvent ces procédures sont formalisées et l’on voit les joueurs narrer le résultat de leurs jets de dés ; décrire le décor ; jouer les PNJs ; développer l’intrigue au fil de l’histoire etc.

 Décider qui a le droit de dire quoi, c’est répartir les Responsabilités narratives2. C’est la première pierre du système.

 Les Responsabilités narratives permettent l’altérité, autrement dit, le sentiment d’être la volonté d’un personnage3 qui ne peut faire tout ce qu’il veut dans le monde fictif et qui se heurte aux volontés des autres personnages qu’il rencontre sans pouvoir prédire leurs intentions. Un simulacre d’existence humaine en quelque sorte.

Qui est décisionnaire ?

Une fois qu’on a décidé qui peut dire quoi, il faut savoir qu’en jeu de rôle rien ne peut se produire dans la fiction si tous les participants n’y ont pas consenti.

Ce consentement est généralement tacite et l’absence de consentement signifie remettre en cause ce qui a été dit.

 De plus, les Responsabilités sont toujours plus ou moins perméables entre les participants, et pour renforcer le sentiment que certains éléments de la fiction nous appartiennent, on donne le dernier mot ou un droit de véto4 à une ou plusieurs personnes concernant certains éléments de la fiction. Ce qui s’apparente à focaliser l’attention des participants sur certains éléments de la fiction afin de leur demander de juger plus scrupuleusement de ce qui mérite leur consentement. Et leur permettre de rejeter une proposition qui ne leur convient pas.

 Dans un JDR traditionnel, c’est généralement le MJ qui a le dernier mot sur tout : tous les participants acceptent qu’il puisse remettre en cause n’importe quel élément fictionnel ou des règles. Dans un JDR à partage d’autorité, certains participants ont le dernier mot sur certaines choses (par exemple le passé de son personnage, l’intrigue etc.)

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît induit fortement qu’il ait le dernier mot sur cet univers.

 Donner le dernier mot à quelqu’un fait partie de la répartition de l’autorité. C’est la deuxième pierre du système.

Réagir et faire réagir

Tout ce qu’on dit dans la fiction s’adresse toujours aux autres participants. La plupart du temps, cela pousse d’autres participants à dire quelque chose en retour. Les narrations fictionnelles qui ne s’inscrivent pas dans cette dynamique sont de la Couleur5 pure.

 Exemple : « le MJ dit aux joueurs que des voitures aux vitres teintées roulent pied au plancher dans leur direction et qu’ils voient les vitres se baisser et des flingues pointer vers eux. »

Cette narration incite les joueurs à réagir en manifestant un danger à l’encontre de leurs personnages.

 Si joueur A dit : « je prends mon flingue et je vise les roues des voitures. »

Il réagit à ce qu’a dit le MJ. Mais il sait peut-être qu’un autre joueur réagira (positivement ou négativement) à ce qu’il vient de dire.

 Joueur B dit à joueur A : « je te fais baisser ton arme et t’entraîne dans une ruelle sombre. Ils sont bien trop nombreux, planquons-nous ! »

Il a réagi à ce qu’ont dit respectivement joueur A et le MJ.

 Mais le MJ n’a pas dit son dernier mot : « vous entendez les voitures freiner en haut de la ruelle et quatre ou cinq personnes en sortir et vous prendre en chasse ».

Le MJ réagit à ce que joueur A et joueur B ont dit et les pousse de nouveau à réagir sous réserve de passer un sale quart d’heure.

 Ça marche aussi avec des obstacles inertes : Le MJ dit : « Soit vous passez par le chemin et vous arriverez en retard au rendez-vous, soit vous tentez d’escalader la falaise escarpée. »

Que fait-il ? Il propose un choix6 aux joueurs.

 C’est ce qu’on fait continuellement en JDR, on propose des choix aux autres. Le MJ dresse une situation → un joueur réagit en premier → un autre joueur réagit à ce que le joueur a dit → le MJ réagit à leurs actes et ainsi de suite.

 Notez que ce n’est pas toujours aussi flagrant : on propose des choix aux autres participants chaque fois qu’on ajoute quelque chose dans la fiction, qu’on décrit les actes de son personnage, etc. parce qu’à chaque fois cela change la situation fictive et donc les possibilités des autres participants.

 Parfois, on obtient une réaction sans l’avoir volontairement provoquée. Par exemple, on pensait qu’un autre joueur nous suivrait et en réalité il s’oppose à notre proposition.

 Tout cela, c’est ce qu’on appelle le Positionnement fictif7, autrement dit, la manière dont chaque participation alimente une situation fictive en créant un ensemble de choix nouveaux aux autres participants.

 Il s’agit là du point de convergence de l’ensemble du système de jeu. Le but de toute procédure, de toute règle et de toute Technique, c’est de produire du Positionnement et d’en renforcer la qualité.

La structure dramaturgique

Dans les pratiques traditionnelles, la structure de l’histoire est prévue à l’avance par l’intermédiaire d’un scénario plus ou moins directif.

Dans d’autres pratiques, ce sont des mécaniques de jeu qui constituent la structure de l’histoire de la partie8.

Parfois, la préparation des personnages est un apport très consistant à la structure de l’histoire9, voire en constitue le principal moteur.

Il arrive enfin que l’on formalise le découpage des scènes10 pour structurer l’histoire.

Il est rare qu’un jeu de rôle n’ait aucune préparation visant à alimenter la structure de l’histoire.

La structure dramaturgique est la colonne vertébrale d’un système et d’une partie de jeu de rôle.

La résistance

Il y a certains faits fictifs que l’on ne peut dépasser que sous certaines conditions. Ils sont généralement associés à l’idée d’obstacle, de conflit, d’épreuve, de danger, de combat…

Le joueur fait de sa volonté celle de son personnage par le principe de synesthésie11. Il y a deux types de faits qui génèrent de la résistance fictive : les autres volontés et les obstacles. Quand mon personnage ne veut pas que le tien obtienne ce qu’il désire ou quand un élément du décor se dresse entre ton personnage et son objectif.

La résistance12 est toujours un moment du jeu où l’on fait appel à des procédures réelles (les mécaniques de jeu) pour faire des éléments fictifs des obstacles à la volonté du personnage.

Il s’agit d’un des fondements du jeu de rôle. Si vous retirez toute résistance d’une partie, tout sera calme, personne ne s’opposera à personne, rien ne sera vivant dans votre histoire. Il n’y aura d’ailleurs pas d’histoire.

Résoudre la résistance

Chaque jeu ou chaque groupe définit différemment ce qui mérite de la résistance. On ne peut dépasser la résistance fictive que si l’on remplit une condition pré-établie, par exemple :

  • obtenir un score supérieur à 3 sur un d6 ;
  • avoir pioché du cœur parmi les cartes ;
  • que le MJ donne son aval ;
  • posséder un score de Caractéristique plus élevé que son adversaire ;
  • avoir misé secrètement plus de jetons que son adversaire ;
  • d’obtenir un score supérieur à celui de l’adversaire sur un d10 ;
  • etc.

Les mécaniques de résolution13 permettent donc de résoudre et donc de dépasser la résistance rencontrée dans la fiction. C’est une manière pour la volonté de prendre le dessus sur le monde ou sur d’autres volontés afin d’atteindre son but.

La résolution et la résistance sont interdépendantes.

La monnaie d’échange

La monnaie d’échange14, ce sont les interactions entre les différentes mécaniques du jeu, notamment celles qui concernent les personnages. L’un des principaux intérêts de la monnaie d’échange, c’est de créer des interactions bénéfiques ou néfastes en fonction des choix du joueur et donc d’encourager certains comportements pendant les parties15.

Voici un bel exemple de monnaie d’échange : dans Dogs in the Vineyard, pendant un Conflit, si l’on change de mode d’action (entre quatre possibilités : non-physique, physique, combat et armes à feu), on peut ajouter à notre main des dés de Caractéristiques supplémentaires. Cela a pour effet d’augmenter nos chances de succès quand il ne nous est pas acquis, mais tend à nous faire causer plus de Retombées et à envenimer la situation (principalement quand on passe d’un mode de Conflit non-violent à un mode violent). Les Retombées apportent des modifications (négatives et/ou positives) aux personnages (dans leurs Traits et leurs Caractéristiques) et mettent éventuellement leur vie en danger.

Pour conclure

Le système, c’est tout cela. Beaucoup de choses que l’on fait par habitude sans y réfléchir et qui sont, au fond, rarement expliquées dans les livres de JDR. Et quand on en prend conscience, cela ouvre un champ de possibilités insoupçonnées.

__________________

1Voir le principe de Lumpley sur le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

2Au sujet des Responsabilités narratives : https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

3Voir La volonté et le monde : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-volonte-et-le-monde/

4Voir JDR traditionnel et JDR à autorité partagée : https://www.limbicsystemsjdr.com/jdr-traditionnel-et-jdr-a-autorite-partagee/

5Couleur : tout détail, illustration ou nuance qui produit une ambiance (Définition de Ron Edwards). http://ptgptb.free.fr/index.php/le-lns-chapitre-1/

6Pour en lire plus sur les choix : https://www.limbicsystemsjdr.com/question-de-choix/

7Lire l’article synthétique de Vincent Baker (en anglais) sur le Positionnement : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=702

8Voir Zombie Cinema de Eero Tuovinen : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

9Par exemple Lady Blackbird : http://ladyblackbird.ecuries-augias.com/

10Voir Bliss Stage : http://swingpad.com/dustyboots/wordpress/?page_id=244

11Synesthésie : la corrélation entre les enjeux fictifs et ludiques, voir https://www.limbicsystemsjdr.com/retour-sur-la-synesthesie/

12Pour en savoir plus, lire la Résistance asymétrique : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

13Voir les articles À propos des mécaniques de résolution : https://www.limbicsystemsjdr.com/a-propos-des-mecaniques-de-resolution/ et Pourquoi nous lançons des dés : https://www.limbicsystemsjdr.com/pourquoi-nous-lancons-des-des/

14Voir Currency dans le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

15Voir Les niveaux d’un système : https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

Bonjour, voici un index de tous les articles postés depuis le début de ce blog.
Un grand merci à Fabien pour son travail de relecture et de conseil depuis fin 2012.

Création de jeux

Réflexions de fond

Pratique

Parler de JDR

 

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Je propose ma propre démarche pour créer un jeu. Peut-être vous conviendra-t-elle, peut-être que non. Je constate que fasse à l’étendue des possibilités de game design émergeant des théories forgiennes, il n’est pas toujours facile de savoir comment s’y prendre ; si vous êtes dans ce cas, j’espère que cette petite méthodologie pourra vous aider.

En général, j’aime bien commencer un jeu par n’importe quel bout, ce qui me vient à l’esprit : comment on définit les personnages, le système de Conflit, puis je fais un plan de tous les chapitres qui me sembleraient importants pour un tel jeu et je les développe. En général, le jeu changera tellement que tout ceci devra être pris comme un premier jet.

La structure ci-dessous doit être prise comme un guide pour brosser les grandes questions, au cœur d’un game design. Ne cherchez pas à y répondre point par point, mais ayez-là en tête ou référez-vous-y quand vous ne savez pas quoi faire et reportez-vous aux articles qui y sont rattachés.

  • La thématique du jeu : de quoi parle votre jeu ? Réfléchissez aux éléments de fiction qui vont le composer et surtout quel est son sujet central ? S’agit-il d’une question à laquelle les joueurs répondront en jouant ? Ou le jeu se présentera-t-il comme un exposé de la part du MJ sur un sujet ? Ou s’agit-il simplement de mettre à l’épreuve vos joueurs ? De leur procurer une expérience précise ? De célébrer une fiction en la revivant en JDR ? … TOUTES LES AUTRES QUESTIONS CI-DESSOUS DEVRONT TOUJOURS SE RÉFÉRER À VOTRE THÉMATIQUE, CE SONT DES ÉTAPES À SA MISE EN ŒUVRE.

    • Une scène type : imaginez une scène type que l’on pourrait rencontrer dans votre jeu. Qui sont le ou les protagonistes ?

  • La pratique de votre jeu1 : quels éléments de votre système confèrent sa spécificité à votre jeu lorsque pratiqué par des personnes réelles ?2 Quel est votre parti pris, votre vision sur la manière dont il doit être pratiqué ?

    • Éléments en tension : que veulent/doivent atteindre les personnages, pourquoi agissent-ils ?3 Quelle est l’adversité ?4 Que risquent-ils ?5

    • Enjeux ludiques : quels sont les enjeux des joueurs (et non des personnages) ? Sur quel aspect du jeu devront-ils porter leur attention, leurs efforts et faire des choix difficiles ?

      • Quels sont les espaces de créativité des joueurs ?6 Sur quoi ont ils un contrôle en dehors de leur personnage ?7 comment permettez-vous aux participants de diriger, d’unifier, d’exploiter ou de développer la Couleur ? S’agit-il d’éléments préparés ou d’incitation ?

      • Quelles sont les ressources à la disposition de vos joueurs pour obtenir ce qu’ils veulent ? Quelles sont les limites ou les contraintes ? Par quels moyens peuvent-ils faire en sorte de se rapprocher du résultat escompté ?

    • Récompenses : quelle est la principale récompense mécanique fournie par le système ? Quels comportements des joueurs voulez-vous encourager ? Quels comportements voulez-vous décourager ?

    • MJ : y a-t-il un seul MJ ou ses responsabilités sont-elles partagées ?8 Les joueurs ont-ils un contrôle large sur les éléments du contexte et sur l’intrigue ? Comment adaptez-vous son (ses) rôle(s) de manière à répondre à la thématique ? L’adversité se joue-t-elle entre les PJ ou contre des PNJ ? Les PNJ sont-ils importants et centraux ou sont-ils juste des faire-valoir ?

    • Contexte : quel rôle joue le contexte ? Mérite-t-il d’être développé ?

    • Préparation : une préparation préalable à la partie est-elle nécessaire ? Que permet-elle de faire qui soit difficile à faire en improvisant ? Quelle tâche des participants permet-elle de libérer pendant la partie ?9 Concevez-vous une fiche de personnage ? En quoi interagit-elle avec les éléments en tension, les enjeux ludiques et les récompenses ?

    • La synergie : comment assurez-vous aux participants de pouvoir s’accorder, s’harmoniser sur la manière de jouer au jeu, le plaisir qu’ils peuvent en tirer, les limites à ne pas franchir, comment préserver la crédibilité de la fiction ?10

  • Votre point de vue : Il s’agit d’intégrer dans le fonctionnement de votre jeu votre regard sur l’Homme ou sur le Monde, que ce soit inspiré de vos observations de la vraie vie ou de fictions existantes11. Cela doit être inscrit dans le système.12

Chaque point mériterait un article à lui tout seul, donc n’hésitez pas à laisser des commentaires si vous voulez qu’on les développe un peu.

La structure de cet article est inspirée d’un article de Vincent Baker, Your three insights : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=490

Certains développements sont inspirés du Power 19 de Troy Costisick : http://socratesrpg.blogspot.com/2006/01/what-are-power-19-pt-1.html

1Voir Faire des ricochets sur l’eau : http://froudounich.free.fr/?p=1017

2Voir Le JDR est potentialité : http://froudounich.free.fr/?p=829

3Voir Organisation des obkectifs des personnages : http://froudounich.free.fr/?p=937

4Voir Les situations de crise :http://froudounich.free.fr/?p=863

5Voir En cause et conséquence de la fiction : http://froudounich.free.fr/?p=1021

6Voir Responsabilité et propriété : http://froudounich.free.fr/?p=846

7Voir La volonté et le monde : http://froudounich.free.fr/?p=982

8Voir Qu’est-ce qu’un Maître du jeu ? http://froudounich.free.fr/?p=870

9Voir Les trente-six travaux (d’Hercule) du MJ : http://froudounich.free.fr/?p=991

10Voir Émetteur – récepteur : une histoire de jugement : http://froudounich.free.fr/?p=956

11Voir Le réalisme est une chimère : http://froudounich.free.fr/?p=755

12Voir Le GNS est un outil : http://froudounich.free.fr/?p=533