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Mon jeu Démiurges a accompagné mes réflexions théoriques, en a bénéficié et les a souvent nourries. Ce portrait théorique illustre concrètement ces développements théoriques tels qu’ils ont influencé le développement du jeu. Je publierai environ un article par semaine sur le sujet.

Voici les 18 billets réunis. Questions et commentaires bienvenus !

 

#1: La Préparation de partie

Démiurges comporte une méthode de préparation de partie, dite en Canevas.

Le MJ ne prépare qu’une situation initiale, les PNJ qui la composent, les enjeux qui les opposent et relie tout cela aux PJ. Les conflits sont latents et n’attendent que d’éclater.

L’avantage de cette préparation est que la liberté d’action des joueurs ne contredit pas la préparation du MJ. Les joueurs peuvent résoudre les choses comme ils l’entendent. Le MJ jette de l’huile sur le feu et regarde comment les choses évoluent. Une fois les enjeux résolus, il clôt la partie.

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Pour plus d’information, voir ces deux articles :

https://www.limbicsystemsjdr.com/comment-ecrire-un-scenario-non-dirigiste/

https://www.limbicsystemsjdr.com/article-se-liberer-des-paradoxes-du-scenario-sur-le-maraudeur/

La méthode de Canevas de Démiurges est également présentée ici :

https://www.limbicsystemsjdr.com/demiurges-preparation-de-parties/

 

#2: schéma d’évolutivité narrative

L’évolutivité narrative est une façon d’évaluer la liberté d’action et la prise qu’ont les joueurs sur l’histoire au cours d’une partie ou dans un jeu de rôle.

Les schémas d’évolutivité narrative reposent sur trois points : le départ, l’arrivée et le corps, qui correspondent à la capacité qu’ont les joueurs d’influer sur ces moments dans la partie.

La méthode de préparation de parties en Canevas repose sur une situation initiale centrée sur une poignée de PNJ.

  • Départ : À quel point le départ est-il prévu par le MJ ou le scénario avant de jouer ? Dans le cas de Démiurges, le MJ prépare une Situation Initiale, donc le point de départ est prévu. Mais il peut être influencé par les relations des PJ, car le début d’une partie de Démiurges commence généralement par des scènes dans lesquelles ces relations sont explorées avant que la situation initiale soit lancée.
  • Arrivée : La fin est-elle prévue à l’avance ? Dans Démiurges, la fin n’est pas prévue à l’avance, tout est possible. Le MJ joue pour voir ce qu’il va se passer, les actions des PJ ont un rôle crucial dans la construction de la fin de la partie. Si un PNJ principal meurt, la partie peut se poursuivre.
  • Corps : Le corps de la partie englobe tout ce qu’il y a entre le départ et l’arrivée ; à quel point les actions des joueurs sont encadrées ou libres et dans quelle mesure les joueurs peuvent ajouter des enjeux périphériques. Dans Démiurges, les joueurs peuvent faire évoluer l’histoire de façon libre et imprévue et y apporter des enjeux périphériques à la préparation du MJ.

Une partie de Démiurges correspond aux schémas en Semi-Arène ou en Cône, selon les cas de figure. Les joueurs ont une très grande liberté de Positionnement dans une partie dont les enjeux initiaux sont conditionnés par la préparation du MJ.

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Pour plus d’informations (les exemples concernant Démiurges dans l’article suivant parlent d’une ancienne version du jeu très différente de l’actuelle) :

https://www.limbicsystemsjdr.com/schemas-d-evolutivite-narrative/

 

#3: Synesthésie

Les Traits sont des mots ou courtes phrases que le joueur invente, définissant le PJ et ce qui compte pour lui. Quand un joueur agit conformément à un de ses Traits durant une Confrontation, il gagne des dés pour l’aider.
Les Traits donnent du sens aux pouvoirs utilisés et créent un lien entre le vécu, les convictions, les liens du personnage, et ses actes et la manifestation de son pouvoir.

Par exemple : pour soigner son frère, Ilona utilise sa Caractéristique Intellect (2) son Trait de médecine (1), sa relation avec son frère (2), son Trait reflétant sa conviction que toute vie est précieuse (3) et son pouvoir d’alchimie (2). Elle lance 10 dés.

A l’issue d’une Confrontation, un joueur peut imposer un Trait à un autre personnage, qui représente comment la situation peut l’avoir fait changer d’avis et peut avoir instillé le doute en lui. Le joueur est toujours libre de ne pas utiliser ces Traits contraires à ses valeurs initiales. Mais l’avantage qu’ils confèrent pendant un conflit peut être décisif et il peut être fortement tenté de les utiliser. Cette tension est un élément important de la synesthésie du jeu. Il met le joueur dans une position de tension interne et de doute qui reflète les contradictions psychologiques du personnage.

Par exemple : Bachir considère que la liberté est ce qu’il y a de plus important. Au cours d’un conflit contre un adversaire dangereux, il se rend compte qu’il ne parviendra jamais à le faire changer et refuse de l’emprisonner. S’il ne le tue pas, il mourra. À l’issue du conflit, le MJ écrit sur la fiche de Bachir un nouveau Trait : “Parfois la mort est la seule solution.”

Plus tard dans la campagne, alors que jusqu’ici il s’abstenait d’utiliser ce nouveau Trait, Bachir finit par s’en servir en donnant la mort à un criminel (sans l’aide de ce Trait, il n’aurait pas pu emporter la Confrontation). Il ressemble de plus en plus à ceux qu’il combat.

Autre exemple : Maât tente de dissuader Friedrich de modifier l’esprit d’un criminel. L’argumentation de Maât porte sur le fait que changer l’esprit d’une personne contre son gré est une violation de son intégrité. Maât est victorieuse, elle ajoute le Trait suivant sur la fiche de Friedrich : “Je n’ai pas le droit de changer les autres selon mon bon vouloir.”

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Le concept de Synesthésie tel que je l’emploie en JdR est développé ici :

https://www.limbicsystemsjdr.com/retour-sur-la-synesthesie/

 

#4: le Partage des Responsabilités

Les Responsabilités sont ce qu’un participant peut raconter dans la fiction et son droit de valider ou invalider les propositions des autres. On appelle souvent le partage des Responsabilités “partage de narration”. Voici celui de Démiurges :

  • Les joueurs interprètent leurs personnages, leurs actes, paroles et pensées.
  • Le MJ joue les PNJ, il les fait agir vers leurs objectifs, décrit le décor et révèle son Canevas (sa préparation de partie).
  • Les joueurs ont un droit de veto sur ce qui définit leurs personnages : Le joueur décide à quoi ressemble son personnage, comment il s’habille, comment il s’exprime, etc. Si un PJ possède un appartement, il peut décider à quoi il ressemble et ce qu’il contient, dans la mesure où cela reste crédible avec le niveau social du personnage. S’il laisse le MJ le décrire, il peut redéfinir ce qui ne lui convient pas.
  • Le MJ a un droit de veto sur tout ce qui concerne son Canevas (si des éléments de son Canevas concernent le passé des PJ il a un droit de veto dessus).
  • Quand les joueurs posent des questions au MJ sur le décor et sur leurs moyens d’agir, le MJ répond toujours oui ou leur retourne la question. Ce qui revient pour les joueurs à pouvoir décrire des éléments de décor à condition qu’ils s’inscrivent dans les besoins d’un action et qu’ils ne contredisent pas ce qui a été dit avant.
  • Chaque participant (MJ et joueur) garde le contrôle sur son personnage pendant les narrations de résultat des conflits, mais ils doivent se soumettre au résultat des dés (victoire ou défaite). C’est donc le joueur lui-même qui décrit les blessures reçues par son personnage, mais il est contraint par la narration d’action de son adversaire (si l’adversaire raconte qu’il tire dans la jambe de mon personnage, je dois raconter une blessure par balle à cet endroit).
  • Celui qui gagne l’enjeu d’un conflit (joueur ou MJ) raconte comment il l’obtient.
  • La crédibilité des propositions est garantie par le niveau d’exigence du groupe. Le MJ a le dernier mot, mais il doit prêter attention à l’avis du joueur le plus exigeant.

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Pour en savoir plus sur le concept de Responsabilités, lire l’article suivant :

https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

 

#5: Le Truc Impossible Avant Le Petit Dèj

Ce sont les joueurs qui conduisent l’histoire : le MJ prépare des PNJ, plante la situation initiale, agit dans le sens des intérêts des PNJ, mais suit les décisions des joueurs et joue pour voir ce qui va se passer. Le MJ est en retrait, il crée des difficultés et donne le change aux joueurs, mais ne dirige pas l’histoire et n’a aucun plan de ce qu’il doit se passer.

Ainsi, on évite des règles paradoxales dans lesquelles les PJ sont prétendument les protagonistes de l’histoire, mais où le déroulement prévu à l’avance du scénario contraint leurs actions et dépossède les joueurs de la possibilité d’impacter l’évolution de la partie. Contrairement à d’autres jeux de rôles, le MJ ne dirige pas l’histoire dans Démiurges, il ne fait que poser un cadre et jouer les PNJ en fonction de leurs objectifs.

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Le truc impossible avant le petit dèj est un concept de Ron Edwards développé sur cet article de M.J.Young traduit en VF sur PTGPTB :

http://ptgptb.fr/theorie-101-2eme-partie-le-truc-impossible-avant-le-petit-dej

 

#6: Faire des ricochets sur l’eau

Du fait d’une préparation en situation initiale, il est important d’avoir de quoi rebondir et créer des péripéties afin d’éviter l’essoufflement de la tension en cours de partie.

D’où la métaphore des ricochets sur l’eau qui illustre l’idée que dans un jeu sans scénario, il faut un moyen de relancer la tension de la partie après le coup d’envoi et faire rebondir le galet pour ne pas le laisser couler.

Le premier élément du jeu qui permet de dynamiser la partie, c’est la mécanique de résolution : à chaque fois qu’on lance les dés pour résoudre une confrontation, la situation s’en trouve transformée. On ne reste pas bloqué devant une porte qui ne veut pas s’ouvrir, face à un PNJ qui fait de la rétention d’information ou parce que les joueurs ont raté un indice. Quand une confrontation est jouée, la situation change, mais aussi les personnages qui l’ont disputée, en recevant une blessure ou un nouveau Trait reflétant le point de vue adverse. De nouvelles Confrontations découlent des conséquences des choix (qu’un PNJ peut toujours remettre en question) faits par les joueurs.

Le deuxième élément, c’est le fait que ce sont les PNJ qui portent le gros des enjeux de la préparation. Ils permettent de créer une adversité et une intrigue dynamiques et d’aller trouver les PJ si les PJ ne viennent pas à eux.

Le troisième, ce sont les révélations contenues dans la préparation du MJ qui permettent de compliquer une situation, changer l’angle de compréhension d’un problème, donner plusieurs couches d’épaisseur aux PNJ et rythmer la partie.

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La métaphore des ricochets est développée dans cet article :

https://www.limbicsystemsjdr.com/faire-des-ricochets-sur-leau/

 

#7: La résistance asymétrique

Le MJ incarne la principale résistance du jeu. Cette résistance s’articule, avec le soutien des règles du jeu autour de trois points :

  • Confrontation : lorsque deux personnages sont en désaccord, les règles permettent de les départager, moyennant quelques conséquences négatives. Le MJ incarne les PNJ qui cherchent à atteindre des objectifs parfois à la frontière de la monstruosité et de la folie. Les PJ peuvent s’opposer ou s’allier selon leurs envies. Les PJ peuvent également s’opposer entre eux en cas de désaccord.
  • Négociation/chantage : Cependant, côté PNJ comme PJ, tout n’est pas blanc ou noir, mais en nuances de gris. Les mauvais actes ont souvent de bonnes motivations et les bons actes peuvent en avoir de mauvaises. Les joueurs peuvent faire face à des dilemmes.
  • Sympathie/antipathie : le capital sympathie ou antipathie d’un personnage joue un rôle important dans le crédit et le pardon que les joueurs peuvent lui accorder. De plus, les circonstances atténuantes sont souvent brouillées ou enfouies sous une histoire complexe. Il est fondamental d’apprendre qui est vraiment autrui et les véritables raisons qui l’ont poussées à devenir celui qu’il est.

Éventuellement par des découvertes et des descriptions, le MJ peut produire une certaine fascination, mais sans rétention d’informations. Le but est de comprendre rapidement les raisons d’agir des PNJ et de déclencher des conflits qui vont s’envenimer jusqu’à résoudre les situations, pas de jouer à mener l’enquête.

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Pour plus d’informations sur les résistances asymétriques :

https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

 

#8: Personne ne sera blessé ou Je ne vous abandonnerai pas ?

Personne ne sera blessé est une démarche sociale excluant l’idée d’aborder des thèmes sensibles ou difficiles, de manière à éviter toute forme de malaise ; cette démarche met une limite franche, parfois explicite, les participants doivent s’y conformer.

Je ne vous abandonnerai pas signifie que l’on souhaite aborder des thèmes sensibles ou difficiles et que l’on compte réunir les conditions adéquates à ce que cela se passe bien, y compris en faisant attention les uns aux autres.

Démiurges est particulièrement efficace sous l’angle Je ne vous abandonnerai pas. Les thématiques se révèlent souvent complexes dans un monde en nuances de gris. Il n’y a pas de frontière clairement délimitée entre le bien et le mal. Ce sont les actes qui définissent les personnages et ainsi les joueurs peuvent faire face à des situations graves, moralement violentes ou dérangeantes.

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Plus d’informations sur ces concepts de Meguey Baker :

https://www.limbicsystemsjdr.com/un-contrat-social-sain/

 

#9: Espaces de créativité

En plus d’avoir le contrôle sur les actes, les paroles et les pensées de son personnage, le joueur définit la nature de ses relations, ce qu’il crée (via ses pouvoirs ou non) et les choses et lieux qui lui appartiennent. 

Il invente la forme et l’effet de ses pouvoirs (dans le cadre défini par les règles). Ce qui constitue une part importante du fun du jeu.

Voici quelques exemple tirés de parties réelles :

  • Une alchimiste aveugle transmute un pistolet équipé d’une caméra qu’elle connecte à son système nerveux pour viser et tirer avec.
  • Une alchimiste prend possession d’un homme politique en faisant de son corps un golem pour changer la société de l’intérieur.
  • Un alchimiste du corps soigne des animaux errants qui deviennent ses compagnons.
  • Un arithmancien contrôle les influx électriques circulant dans un ordinateur pour le pirater et en modifier les données.
  • Un comédien arithmancien améliore l’impact émotionnel de sa voix et produit des effets pyrotechniques pour pousser son public à se révolter contre un gouvernement corrompu.
  • Une antiquaire psychomètre collectionne les objets anciens pour apprendre des arts martiaux oubliés et apprendre à parler toutes les langues de l’Humanité.
  • Un psychomètre lit les pensées d’un criminel pour comprendre les raisons de son acte, puis les efface de sa mémoire pour l’empêcher de recommencer.

Enfin, le joueur raconte le résultat des conflits qu’il remporte et les mauvais coups qu’il subit.

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Plus d’infos sur les espaces de créativité :

https://www.limbicsystemsjdr.com/espaces-de-creativite/

 

#10: Question dramatique

J’identifie trois principales questions dramatiques dans tous types de fictions (interactives ou non):

  1. Le protagoniste atteindra-t-il son objectif ?
  2. Quel prix devra payer le protagoniste pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ?
  3. On sait que le protagoniste atteindra – ou non – son objectif, comment cela se produira-t-il ?

Dans Démiurges, le principe de victoire ou de défaite est relatif, car les pertes en chemin se bornent rarement à un affaiblissement technique du PJ (perte de ressources, de matériel, etc.). Ce sont ses convictions, ses relations et tout ce qui compte pour lui qui est mis en danger.

Chaque perte fait partie du prix à payer pour atteindre son objectif et quand un joueur renonce ou change de camp, c’est tout à fait acceptable dans le jeu. Le sacrifice est le climax d’une partie ou d’une campagne. Le but du MJ est de tenter le joueur de sacrifier quelque chose qui compte pour son personnage et pour lui.

La question dramatique à laquelle on répond au cours d’une partie de Démiurges est “Quel prix le protagoniste devra-t-il payer pour atteindre son objectif ?

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Pour aller plus loin :

https://www.limbicsystemsjdr.com/3-questions-dramatiques/

 

#11: L’influence des joueurs sur la fiction

Concernant le partage des Responsabilités, les joueurs peuvent contrôler un peu plus que leur personnage: ils peuvent inventer des éléments du décor à partir du moment où ils servent les actions qu’ils entreprennent et ils gardent le contrôle sur ce que subissent leurs personnages.

Pour ce qui est de l’influence sur l’histoire :

  1. Le choix des moyens : les joueurs inventent eux-mêmes les solutions aux problèmes qu’ils rencontrent.
  2. Conséquences immédiates : les décisions des joueurs impactent l’évolution des situations ; l’évolution de l’histoire n’est pas prévue dans un scénario.
  3. Victoire ou défaite : les décisions des joueurs ne conduisent pas l’histoire vers une victoire ou une défaite stricte.
  4. Fin ouverte : la fin n’est pas de prévue et chaque micro-décision des joueurs peut radicalement modifier le dénouement de la partie.
  5. Liberté de prise de parti : le camp que défend le joueur au début de la partie n’est pas prévu ni fixé : il peut changer en cours de route.

Dans le schéma ci-dessous, j’ai placé Démiurges un peu plus à droite que Dogs in the Vineyard ou Apocalypse World pour exprimer le fait que les joueurs décrivent les résultats des Confrontations pour leurs personnages, et qu’ils peuvent enrichir le décor pour les besoins de leurs actions. J’ai tendance à jouer comme ça à DitV, mais ce n’est pas vraiment formalisé dans le texte du jeu.

Un point particulier du game design du jeu particulièrement important concernant l’influence des joueurs sur l’histoire, mais qui n’est pas visible sur ce graphique : à l’issue de chaque partie, les joueurs peuvent choisir comment commence la partie suivante, voire ce qu’ils souhaitent y faire. Ce qui leur offre un pouvoir important sur l’évolution d’une campagne.

 

 

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Pour plus d’informations sur ces concepts, voir les articles suivants :

https://www.limbicsystemsjdr.com/differents-degres-dimpact-des-joueurs-sur-lhistoire/

https://www.limbicsystemsjdr.com/linfluence-des-joueurs-sur-la-fiction/

 

#12: Combativité et Absorption

Dans Démiurges, les PJ se retrouvent au milieu d’une situation conflictuelle dans laquelle ils prennent position. La mécanique de résolution leur permet de prendre le contrôle des enjeux importants en cas de victoire.

De plus, la mécanique de résolution repose sur des choix : subir des conséquences psychologiques/physiques, ou bien obtenir l’enjeu du conflit (voire sacrifier quelque chose qui compte pour le personnage afin de sauver l’Enjeu du conflit). Ceci renforce efficacement la Combativité, car le joueur a la possibilité de modifier l’issue d’un jet de dés et ses choix impactent l’évolution de la situation.

L’Absorption n’est pas en reste, car entre les moments de conflit il y a tout l’espace pour investir son personnage, exprimer sa personnalité, son quotidien et ses relations.

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Pour creuser les concepts de Combativité et Absorption, lire l’article suivant :

https://www.limbicsystemsjdr.com/combativite-absorption/

 

#13: Les choix

  • Choix prévu : un choix est “prévu” quand le MJ ou le scénario ont déterminé quelle était la bonne solution à l’avance. Dans Démiurges, les enjeux initiaux sont prévus, mais évoluent rapidement en une situation imprévue. Les joueurs décident eux-mêmes comment ils résolvent les situations. Aucune solution n’est prévue à l’avance.
  • Choix adapté : un choix est “adapté” quand le MJ juge si une décision d’un joueur fonctionne ou non. Dans Démiurges, le MJ ne juge pas quelles solutions sont suffisamment bonnes ou pas pour réussir. Toute solution est bonne par défaut. Tous les participants estiment quelles propositions manquent de crédibilité et encouragent le joueur à corriger le tir.
  • Choix optimisé : un choix est optimisé quand le joueur cherche les conditions les plus propices à sa réussite. Dans Démiurges, les joueurs peuvent tenter d’optimiser l’utilisation de leurs ressources (Caractéristique, Traits et pouvoir) dans le but de gagner. Néanmoins le véritable enjeu de l’utilisation de ces ressources concerne les conséquences des choix et prises de parti du personnage dans une situation donnée et sa responsabilité dans les problèmes qu’il a provoqués, que sur une quelconque dimension tactique. En effet : utiliser un Trait lié à la violence dans un conflit contre quelqu’un de proche peut être avantageux, mais c’est prendre le risque d’affecter durablement la relation.
  • Choix formel : un choix est “formel” quand il est conforme aux attentes du MJ, du scénario, de l’univers ou du genre établi. Il n’en est pas moins créatif. Dans Démiurges, les joueurs ont toute latitude de décrire leurs personnages, leur comportement, leur apparence, mais aussi ce qui leur appartient, ce qu’ils créent ou encore leurs pouvoirs. Néanmoins, l’esthétique est inféodée aux exigences dramatiques des situations (là où d’autres jeux ou pratiques privilégient un rapport inversé).
  • Choix ouvert : un choix est “ouvert” quand les situations et enjeux posés par le MJ n’ont pas de “bonne solution”. Dans Démiurges, les joueurs sont libres d’aborder et de résoudre les situations et les enjeux qui les composent comme ils l’entendent. Mais assumeront-ils les conséquences de leurs choix jusqu’au bout ?

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Pour approfondir le sujet: https://www.limbicsystemsjdr.com/question-de-choix/

Les choix portés par la mécanique du jeu sont développés dans le billet suivant: https://www.limbicsystemsjdr.com/demiurges-mecaniques-de-resolution/

 

#14: les trois dimensions

Action : les joueurs sont-ils libres de suivre les objectifs et de défendre les causes de leur choix, ou bien sont-ils contraints par le jeu ou par le scénario ? Dans Démiurges, le MJ prépare les enjeux initiaux de la partie, sans prévoir comment les événements vont les faire évoluer. Cependant, en campagne, les joueurs choisissent le fil conducteur sous la forme d’un “but commun” et décident de la transition entre chaque parties, ce qui leur donne une prise importante sur l’évolution de l’histoire. Une fois les enjeux du Canevas révélés, les joueurs sont parfaitement libres : les PJ peuvent prendre le parti de n’importe quel PNJ et s’opposer entre-eux jusqu’à éventuellement devenir antagonistes.

Focus : la répartition de la parole entre les participants est elle contrainte ou formalisée ? Dans Démiurges, les joueurs peuvent prendre la parole et intervenir n’importe quand dès lors que leur personnage est présent dans la scène. Si un PJ n’est pas présent, son joueur peut l’y intégrer. Il n’y a pas de répartition formalisée du temps de parole par un découpage de scènes ni de “coups de projecteurs” sur un PJ à la fois, par exemple.

Espace : les PJ sont-ils contraints dans leurs déplacements, de façon avouée ou non ? Les huis-clos ou les points de passage obligés sont une forme de contrainte spatiale. Dans Démiurges, les joueurs ne sont pas contraints dans leurs déplacements. Les enjeux et révélations importantes préparées par le MJ sont entre les mains des PNJ. Ainsi, si un PJ s’enfuit et quitte la ville, les PNJ ont des raisons de le retrouver et de le maintenir au cœur des conflits. Cela dit, les PNJ en question gravitent autour d’un lieu principal, si un PJ le quitte, les autres lieux devront être créés au pied levé par le MJ.

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Voir cette article pour aller plus loin :

https://www.limbicsystemsjdr.com/les-trois-dimensions/

 

#15: Le jeu nécessite-t-il une forme de compensation ?

Compenser signifie prendre plaisir à une partie pour des raisons qui ne sont pas induites par le jeu.

Démiurges est entièrement bâti autour d’une proposition créative claire et les comportements et techniques adaptées sont indiquées dans le manuel. La proposition créative du jeu est révélée lorsqu’on y joue en lâcher prise, c’est-à-dire sans y incorporer d’habitudes de jeu venant d’autres types de pratiques.

Hans sait jouer en lâcher prise.

C’est donc un jeu qui ne demande pas aux joueurs de compenser, dans la mesure où ils épousent la proposition du jeu (j’appelle parfois cette approche “catalyser”).

Côté MJ, le jeu propose toutes les techniques de maîtrise et de préparation pour garantir une cohérence optimale entre toutes les composantes du système. Le but de cette cohérence est de permettre au MJ de se focaliser sur le cœur de la pratique proposée : jouer l’adversité, suivre les initiatives des joueurs, placer les révélations de sa préparation au meilleur moment (sans avoir à tordre, réécrire ou remiser en cours de partie ce qu’il a préparé, pour pouvoir suivre les joueurs), faire monter la tension et appliquer les règles (sans avoir à les changer, les adapter ou les bricoler en cours de partie).

Bien entendu, si le groupe souhaite modifier l’approche initiale du jeu, rien ne l’en empêche. Cependant je ne peux garantir que la qualité de l’expérience que j’ai travaillée à consolider longuement et c’est celle qui est prescrite dans le livre du jeu.

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Plus d’infos sur la compensation :

http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/compenser

 

#16: l’économie du jeu

Adam Smith est pour l’autorégulation des systèmes de jeu qui, grâce à la main invisible du MJ, garantit l’harmonie à la table de jeu de rôle.

J’appelle “Économie” d’un jeu la façon dont l’ensemble de ses mécaniques s’articulent. Voici, dans les grandes lignes, le fonctionnement de l’économie de Démiurges :

  • Les Confrontations permettent de résoudre les conflits et désaccords entre deux personnages ou plus en lançant des dés.
  • Pour augmenter ses chances de gagner une Confrontation, le joueur mobilise ses Ressources en fonction de la situation, des personnages concernés, de ses actions et par choix (Caractéristiques, Traits et Pouvoirs).
  • À l’issue de la Confrontation, le joueur peut gagner ou perdre l’enjeu de la Confrontation et infliger ou subir des Retombées. Selon les dés qu’il joue, le joueur peut choisir de privilégier l’enjeu ou les Retombées au détriment de l’autre.
  • Il peut également sauver l’enjeu en sacrifiant quelque chose qui lui est cher.
  • Donc le joueur a toujours la possibilité de gagner l’Enjeu s’il le souhaite vraiment, mais si les dés sont contre lui, il devra en payer le prix.
    • Les dés servent surtout à faire monter les enchères pour gagner l’enjeu du conflit et éviter les Retombées.
  • Infliger des Retombées signifie changer quelque chose sur la fiche du personnage qui les subit. Les Ressources du joueur s’en trouvent modifiées :
    • En cas de blessure, une Caractéristique est cochée (avec risque de mort si la blessure est très grave) et inutilisable jusqu’à ce qu’un soin soit prodigué.
    • En cas de Retombée psychologique, l’adversaire crée un nouveau Trait sur la fiche du personnage (qui peut refléter un point de vue différent ou antagoniste par rapport à ce que le PJ défendait jusque-là) ou modifie un des Traits existants.
    • L’Expérience permet au joueur de faire évoluer ses Caractéristiques, Traits ou pouvoirs dans le sens qu’il entend (contrairement aux Retombées).
  • Le participant qui gagne l’Enjeu raconte de quelle façon la situation évolue.
  • Le participant qui inflige des Retombées à un autre personnage modifie ses Ressources. Lorsqu’une nouvelle Confrontation a lieu, le joueur ayant reçu des Retombées peut choisir d’utiliser ou non le nouveau Trait qui lui a été créé ou un Trait qui a été modifié et donc d’éventuellement trahir ses anciennes positions.

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Pour approfondir le sujet :

https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

 

#17: La Prémisse

Francis Bacon, Autoportrait

La prémisse est la problématique d’un JdR, autrement dit, la question qu’il pose. Les joueurs, de par leurs décisions, répondront via les actes de leurs personnages à cette question (qui ne peut donc pas être résolue par le jeu, l’univers ou un scénario, la question est ouverte et chaque acte des PJ sera une bribe de réponse de la part joueurs).

La prémisse de Démiurges est : “Dépasser la condition humaine fait-il de nous des monstres ?”

En effet, les pouvoirs des PJ leur permettent d’échapper aux limites du corps, de l’esprit et de la société. Au cours du jeu, ils sont amenés à faire face à des personnages tourmentés, parfois monstrueux et pour accomplir leur rêve, ils peuvent être amenés à commettre des actes proches de leurs adversaires et évoluer vers une perte d’humanité.

Les Traits des personnages reflètent leur évolution psychologique et l’impact qu’ont leurs adversaires sur leur éthique. L’ensemble de leurs Traits esquisse leurs tensions internes et contradictions, leurs idéaux et tout ce qui compte pour eux. Et tout cela peut être altéré, voire remodelé par les événements de la partie.

La phrase de Nietzsche “Qui trop combat le dragon devient dragon lui-même.” exprime sans doute formidablement ce principe au cœur de Démiurges.

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Le concept de Prémisse est expliqué par Ron Edwards dans l’essai Narrativism: Story Now, au chapitre Premise :

http://www.indie-rpgs.com/_articles/narr_essay.html

Il s’inspire du concept de « Premise » décrit par Lajos Egri dans The Art of Dramatic Writing.

 

#18: Vide fertile

Parfois la vie naît dans des endroits inattendus – Cowboy Bebop, Toys in the Attic

Le Vide Fertile dans Démiurges repose sur deux axes :

1) Tout d’abord, l’évolution de l’histoire de chaque partie se fait par synergie entre les décisions des joueurs et du MJ. Rien n’est écrit à l’avance et les décisions de chacun peuvent conduire à des dénouements imprévisibles. Ce principe repose sur le fait que les joueurs dirigent l’histoire et que le MJ répond à leurs initiatives en compliquant la situation et en se servant de son Canevas pour introduire des problématiques profondes dans la partie. Mais ce n’est pas le Vide fertile : cela crée les conditions pour que le Vide Fertile puisse exister dans ce jeu.

2) Face à des choix difficiles, les joueurs sont amenés à peser scrupuleusement leur façon d’agir. Leurs Traits étant un moyen d’augmenter leurs chances de succès, les joueurs sont tentés d’agir dans leur sens.

Plus le jeu avance et plus les joueurs vont avoir sur leurs fiches des Traits créés par leurs adversaires. Ils sont libres de ne jamais les utiliser, mais s’ils le font, ils augmentent leurs chances de succès. Les actes des PJ seront le reflet de leur évolution psychologique et morale.

Par exemple, un PJ refusant la violence, en combattant des adversaires violents, peut voir sur sa fiche apparaître au fil des Confrontations un ou plusieurs Traits le tentant de trahir ses convictions sur le sujet. S’il utilise un de ses Traits validant l’utilité de la violence, comment le justifier auprès de ses relations ? Ses adversaires vont-ils lui paraître plus proches de lui ?

En campagne, l’évolution des PJ peut se révéler spectaculaire.

Le joueur peut éprouver une tension entre l’être et les actions de son personnage. C’est le cœur du Vide Fertile de Démiurges. Pour obtenir quelque chose ou se protéger d’une autre, les joueurs doivent faire des sacrifices. Ce qu’ils acceptent, ou abandonnent, ainsi que leurs concessions vont modifier leurs personnages. Les Traits sur la fiche sont le reflet de cette évolution. Même un personnage qui reste droit dans ses bottes le fait au détriment d’autres personnages ou de sa propre intégrité physique et psychologique.

Une partie de l’évolution des PJ échappe aux joueurs, pour les mener là où ils ne seraient probablement jamais allés par eux-mêmes.

Cette tension est d’autant plus efficace du fait que l’histoire s’écrit par les actes des PJ. L’histoire jouée est faite des conséquences des décisions des joueurs. Les joueurs sont pleinement responsables des conséquences de leurs actes qui façonnent l’histoire jouée.

Démiurges est un jeu dans lequel il n’y a pas de frontière clairement tracée entre ce qui est bien ou mal. Il n’y a pas de héros ou de méchants, tout a des conséquences et les actes mauvais sont souvent mus par de bonnes raisons et les actes bons par de mauvaises.

Votre personnage ira-t-il jusqu’à devenir inhumain ? Que sacrifiera-t-il pour ne pas franchir la ligne rouge ? Vous laisserez-vous surprendre par son évolution ?

3) Un point supplémentaire qui n’était pas vraiment prémédité, c’est que les joueurs partent souvent dans des débats philosophiques (entre eux ou avec le MJ) par l’intermédiaire de leurs personnages. Les situations reposant sur des enjeux non manichéens ; le fait que chaque PJ ait sa propre conception du monde ; que les PNJ soient en nuances de gris ; et que la mécanique permette de résoudre les problèmes par la discussion, tout cela concourt à ce que les joueurs s’engagent volontiers dans ces discussions plus ou moins tendues pour défendre le point de vue de leur personnage face à des problématiques complexes.

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Pour lire plus avant sur le concept de Vide Fertile, inventé à l’origine par Vincent Baker, suivez le lapin blanc :

https://www.limbicsystemsjdr.com/vide-fertile-la-spirale-invisible/

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Francis Bacon, Autoportrait

La prémisse est la problématique d’un JdR, autrement dit, la question qu’il pose. Les joueurs, de par leurs décisions, répondront via les actes de leurs personnages à cette question (qui ne peut donc pas être résolue par le jeu, l’univers ou un scénario, la question est ouverte et chaque acte des PJ sera une bribe de réponse de la part joueurs).

La prémisse de Démiurges est : “Dépasser la condition humaine fait-il de nous des monstres ?”

En effet, les pouvoirs des PJ leur permettent d’échapper aux limites du corps, de l’esprit et de la société. Au cours du jeu, ils sont amenés à faire face à des personnages tourmentés, parfois monstrueux et pour accomplir leur rêve, ils peuvent être amenés à commettre des actes proches de leurs adversaires et évoluer vers une perte d’humanité.

Les Traits des personnages reflètent leur évolution psychologique et l’impact qu’ont leurs adversaires sur leur éthique. L’ensemble de leurs Traits esquisse leurs tensions internes et contradictions, leurs idéaux et tout ce qui compte pour eux. Et tout cela peut être altéré, voire remodelé par les événements de la partie.

La phrase de Nietzsche “Qui trop combat le dragon devient dragon lui-même.” exprime sans doute formidablement ce principe au cœur de Démiurges.

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Le concept de Prémisse est expliqué par Ron Edwards dans l’essai Narrativism: Story Now, au chapitre Premise :

http://www.indie-rpgs.com/_articles/narr_essay.html

Il s’inspire du concept de « Premise » décrit par Lajos Egri dans The Art of Dramatic Writing.

Dans cet article, je vous propose d’analyser les tenants et aboutissants de la démarche créative simulationniste à travers les particularités de Prosopopée.

Pour rappel : une démarche créative est la manière selon laquelle les participants d’une partie de JDR prennent plaisir ensemble et mettent en œuvre une manière de jouer en phase avec le plaisir recherché. Les trois démarches identifiées par Ron Edwards sont appelées le ludisme (ou Gamism), le narrativisme et le simulationnisme.

On dit qu’un jeu « soutient » une démarche créative dans la mesure où ses règles, son univers et sa création de personnages et de situations encouragent à une certaine démarche créative, sans pour autant pouvoir la garantir. Le jeu n’enferme pas les joueurs dans une démarche créative, il les invite à l’explorer.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire Le GNS est un outil ou le chapitre consacré aux démarches créatives dans l’article de Christoph Boeckle.

J’affirme que la démarche créative soutenue par Prosopopée est le simulationnisme et voici pourquoi.

1) Narrativisme et simulationnisme

La principale confusion que l’on fait au sujet de Prosopopée, c’est de considérer qu’il soutient une démarche narrativiste, je vais donc me concentrer sur les différences entre les démarches narrativiste et simulationniste.

La démarche narrativiste consiste à créer ensemble une histoire sur le moment (le sous titre du narrativisme est Story now en anglais : L’histoire maintenant). Le point central de cette démarche, est le sens moral et éthique donné aux actes des personnages. Pour qu’un acte ait du sens, il faut qu’il ait été librement choisi par le joueur (éventuellement, parmi plusieurs choix possibles) à partir d’une situation où aucun choix proposé n’est strictement meilleur que l’autre et que chaque choix implique une perte. De plus, il faut que l’histoire même se développe à partir des conséquences de ces actes. Si les actes des personnages engendrent l’histoire, chaque choix est important.

Les situations jouées sont toujours problématiques dans la mesure où il n’y a pas de « meilleure » solution ou même de « bonne » solution. Elles interrogent les participants (ce que l’on appelle la prémisse : la question que pose une histoire au sens dramaturgique ; et à laquelle les protagonistes de l’histoire répondront par leurs actes.1) et les personnages y répondent par leurs actes. Les actes expriment les valeurs morales de son personnage : la réponse aux questions posées. Les participants seront ainsi amenés à prendre position moralement par rapport aux actes des personnages et à formuler des jugements. C’est là le cœur de la démarche narrativiste. (Plus de précisions dans un article précédent ou dans l’essai de Ron Edwards)

Jouer selon une démarche simulationniste, c’est faire en sorte que le style, la logique et la cohérence de la fiction soient ce qui préoccupe le plus les participants. Cela signifie qu’ils développeront un cadre appelé canon esthétique et qu’ils chercheront à dire des choses qui séduiront leurs partenaires de jeu, en étayant les éléments de ce canon sans jamais le transgresser.

Jouer simulationniste, c’est célébrer le canon de la fiction, c’est-à-dire produire un ensemble d’images et d’événements fictifs conformes aux attentes et aux exigences des participants et y prendre plaisir. Les participants établiront préalablement et au fil de la partie, des limites à leur cadre, en des proportions très variables selon les tables et les jeux.

Le cœur des parties simulationnistes se situe dans les interstices : le cadre défini avant de jouer étant par définition incomplet, les participants le développent généralement dans des directions inattendues de leurs partenaires. À partir du moment où les participants parviennent à développer efficacement la fiction sans devoir être recadré, on peut dire que le canon est solide. Plus ils peuvent ajouter d’éléments inattendus au cadre initial, plus on peut dire que le canon est élastique. Ron Edwards appelle Constructive denial : Le déni constructif.

Enfin, tout cela passe par le soin de ne pas briser l’illusion de la fiction, ne pas rappeler que tout ceci est imaginaire, d’où le besoin d’éviter d’avoir à recadrer les participations des participants (le sous titre du simulationnisme est The right to dream : Le droit au rêve). 2

1.1) Story now et story before

Si l’on crée une histoire pendant qu’on joue et non avant, c’est forcément narrativiste ?

Non. Une partie durant laquelle on crée l’histoire pendant qu’on joue ne soutient pas nécessairement une démarche narrativiste. Certes, une partie narrativiste n’est pas possible si l’histoire et son déroulement sont déterminées à l’avance (si on utilise un scénario par exemple), mais cela ne veut pas dire qu’on fait du narrativisme à chaque fois que l’on crée l’histoire pendant qu’on joue.

Le fait de créer l’histoire avant la partie est une option possible et valable pour une démarche simulationniste, mais ce n’est pas la seule, ainsi, il est tout à fait envisageable que l’histoire soit créée sur l’instant tout en jouant simulationniste. (Voir ce schéma de Vincent Baker)

De plus, il faut garder à l’esprit que Ron Edwards donne au mot « histoire » dans « Story now », l’idée d’explorer une prémisse. Le « now » implique que la prémisse soit explorée collaborativement, il ne peut donc pas être un exposé que le MJ ferait aux joueurs en gardant le fin mot sur le propos de l’histoire.

Pour faire simple :

  • si l’ensemble des participants créent une histoire pendant la partie en explorant une prémisse, que les joueurs y répondent et que c’est ce qui prime, la partie devrait être narrativiste ;
  • si l’ensemble des participants créent une histoire pendant la partie, mais sans explorer de prémisse, la partie peut être ludiste ou simulationniste ;
  • si une prémisse est amenée dans la partie par un seul participant (généralement le MJ) et y répond lui-même – et que les autres la découvrent sans avoir de prise dessus – la partie peut être ludiste ou simulationniste.

L’histoire générée lors des parties de Prosopopée ne vise pas à explorer une problématique morale (autrement dit : les participants ne répondent pas à une question morale par les actes de leurs personnages).

1.2) Histoire dramatique et Rêve éveillé

Dans Prosopopée, l’histoire en tant qu’intrigue et succession d’actions n’est pas au premier plan. On se focalise d’abord sur les images créées verbalement et sur la construction du monde où se déroule l’histoire ; sa beauté, son étrangeté, sa logique, sa mystique… (le monde étant ici absolument tout ce qui est décrit dans la fiction, jusqu’aux personnages des joueurs eux-mêmes, les codes sociaux etc.). Le moment où le jeu est le plus intense, c’est quand le monde créé, sa beauté et ses mystères deviennent le centre de l’attention. Et que tout les participants partagent ce rêve éveillé.

Tout est fait pour pousser à explorer un rêve éveillé zen et poétique. Aucune règle du jeu, aucun élément de l’univers ou de la création de l’histoire ne pousse les joueurs vers autre chose : il n’y a pas de choix moraux ; l’intrigue suit un schéma relativement simple ; les actions des personnages permettent de révéler le décor, les habitants, leurs problèmes et les solutions.

1.3) L’absence de choix moraux

Quand on résout un problème à Prosopopée, on cherche sa cause. Les problèmes s’organisent de manière hiérarchique, impliquant que certains sont plus proches de la cause de tous les maux et d’autres n’en sont que des symptômes. Les problèmes sont liés à la difficulté des humains à vivre avec la nature (et le monde du surnaturel). Les conséquences des actes des personnages se contentent de rendre la tâche plus difficile et de modifier la compréhension qu’ils ont du problème.

Les histoires explorées au cours de parties narrativistes impliquent l’exploration d’une prémisse. Or, dans Prosopopée, pas de « dois-je poursuivre mon idéal si cela met en danger mes proches ? », ni de « puis-je trahir la confiance que les autres ont en moi pour leur propre bien ? » ou encore « puis-je sacrifier quelques uns pour le bien du plus grand nombre ? ». Les Médiums suivent une quête dont l’objectif est clair et ne changera pas : aider les habitants des villages (et les humains en général) à résoudre les Problèmes qu’ils ont créé dans la nature. Ils n’ont pas à résoudre des dilemmes ou des drames déchirants. Ce but n’est pas remis en question car il est dans la nature même des Médiums de résoudre le déséquilibre et tous les problèmes qu’il provoque.

Si des participants créent des problèmes, ces problèmes sont ceux qui devront être résolus à la fin, donc pas de double enjeux, donc, pas de choix moraux, donc, pas de narrativisme.

2) Le canon esthétique

Le canon esthétique est l’unité stylistique et logique de la fiction produite au cours de parties de jeu de rôle. À la manière d’une peinture, la force de l’harmonie de sa composition, la manière dont les éléments et les couleurs s’agencent peuvent justifier à elles seules son intérêt. La démarche simulationniste fonctionne de la même manière. Cette démarche est également idéale pour l’exploration de mystères du monde, des civilisations, de la structure d’un monde etc. Chaque groupe établit le canon de la fiction qu’il génère en respectant un ensemble de critères et d’exigences communes.

N’importe quel groupe de jeu de rôle constitue un canon plus ou moins large et malléable, et ce, quelle que soit la démarche créative à l’œuvre. Il existe un grand nombre de façons de faire respecter le canon lors de parties de jeu de rôle. Une personne peut en être garante (généralement le MJ) ou chaque participant ; et les moyens explicites ou tacites de réguler les écarts sont variés.

La première spécificité de la démarche simulationniste, c’est qu’il est important d’éviter autant que possible d’avoir à rectifier les interventions des participants pendant la partie, car la solidité du canon y est en soi un motif de plaisir (alors que pour les deux autres démarches créatives, le plaisir se focalise sur d’autres approches de la fiction, donc ce n’est pas gênant de faire des parenthèses pour se mettre d’accord afin d’optimiser l’expérience).

Pour ce faire, le contenu de la fiction et l’intrigue peuvent être en grande partie prévues à l’avance. Les mécaniques du jeu peuvent prédéfinir l’ensemble des possibilités des personnages en simulant la faisabilité et les conséquences de chaque action en fonction de paramètres préétablis ; GURPS, Rolemaster et certaines versions de D&D poussent le bouchon particulièrement loin à ce sujet ; pour jouer narrativiste ou ludiste, de tels partis pris pourraient être accessoires, encombrants, voire franchement incompatibles.

Mais le canon ne joue pas ce seul rôle. Il est également le matériau fondamental avec lequel les participants vont jouer. Tester la résilience du canon – sa résistance aux transgressions et sa capacité à endiguer les violations potentielles à l’unité et à la cohérence de la fiction, mais aussi son élasticité – est le point de focalisation de toute partie simulationniste. Ainsi, la façon dont un joueur va interpréter son personnage et le faire agir, résoudre les problèmes, etc. sont des façons, pour lui, d’enrichir, développer et éprouver le canon ; mais que les joueurs puissent continuer de le faire sans que les autres participants (ou le MJ) n’aient à les recadrer, est de première importance.

Les participants exploitent la proposition créative au mieux quand ils parviennent à séduire, voire aller au delà des attentes des autres participants de par l’originalité de leur contribution au canon, sans le transgresser (pour plus d’information concernant le jeu de séduction entre participants, voir l’article La résistance asymétrique ; j’ai également expliqué le processus à l’œuvre au cœur de Sens hexalogie dans l’article Espaces de créativité).

2.1) Dans Prosopopée

Quasiment aucun élément fictif n’est prévu à l’avance, en dehors du fait que le monde du jeu se situe avant l’aire de l’industrie et de la modernité. Et c’est bien utile dans un jeu où le partage de narration est aussi important.

Les mécaniques du jeu balisent la nature des actions que doivent entreprendre les personnages pour résoudre les problèmes.

L’absence de noms propres permet d’éviter que les participants aient à inventer des noms à la volée pour les PNJ et incite à décrire davantage les choses, le décor et les personnages.

Ensuite, certains joueurs appelés Nuances doivent décrire au début de la partie – en s’inspirant librement d’une image, un objet ou quoi que ce soit d’autre – le lieu principal dans lequel se déroulera l’histoire. Le canon commence à être étayé à ce moment-là.

Ensuite, quand l’histoire commence, à chaque fois qu’un participant aime ce qu’un autre narre, il lui donne un dé d’Offrande (un simple dé, pris d’une réserve située au milieu de la table). Ce don de dés permet de mettre en relief, pour tous les participants, ce que chacun apprécie particulièrement, et donc, ce qu’il attend de la partie. Ce sont les fameux « critères et exigences » qui servent à consolider le canon.

Les participants comprennent donc qu’ils doivent faire un effort pour plaire aux autres afin de récolter ces dés d’Offrande qui leur permettront plus tard de résoudre les problèmes fictifs rencontrés par leurs personnages. Les joueurs sont donc vivement incités à étayer le canon dans le but de séduire et surprendre, ou tout simplement coller aux attentes de leurs partenaires de jeu.

C’est de cette manière que les participants créent, consolident et explorent le canon. Et c’est cela qui est au cœur du jeu.

Il reste une règle importante : à tout moment, un participant peut placer un dé de Problème sur une feuille au milieu de la table. Ce dé de Problème permet de rendre central dans l’histoire, quelque chose qui a été introduit dans la fiction par quelqu’un d’autre et donc de le valoriser en le hissant au statut de Problème.

De plus, cela offre une utilité supplémentaire : celui qui pose le dé de Problème peut l’utiliser d’une autre façon, pour modifier un élément de la fiction qui ne lui plaît pas. Cela évite dans certains cas d’avoir à rectifier une contribution en « négociant » hors de la fiction.

Ainsi, l’on peut préserver le canon et l’explorer à fond sans avoir à interrompre le flot de la fiction.

2.2) L’espace de créativité des joueurs

Dans une partie simulationniste traditionnelle, il est courant que la tâche du MJ soit de révéler le contexte, tandis que les joueurs auront pour tâche de développer ce qui concerne leur personnage, en adéquation avec le reste de la fiction. Les joueurs ont besoin de percevoir le monde comme le percevrait leur personnage (j’en expliquerai les raisons plus tard).

Dans Prosopopée, les joueurs jouent des divinités s’incarnant dans les personnages du tableau qu’elles ont créé. Dès lors, leur perception du monde est plus large que celle d’un humain. Ils peuvent donc à la fois définir les actes, les paroles et l’apparence de leur personnage, mais aussi le monde qui les entourent, puisque c’est eux qui le créent. Cela convient à leur statut divin et permet de justifier le partage de narration (ou espace de créativité) dans la fiction, qui n’est plus seulement une technique de jeu, mais une propriété des personnages incarnés par les joueurs.

Plutôt que de découvrir une histoire et un contexte écrits à l’avance par l’un d’entre eux, les participants découvrent progressivement les idées des autres participants et le suspense persiste du fait de ne pas savoir ce qu’un des autres participants va dire et ainsi, orienter l’histoire dans une direction inattendue.

Pendant les parties de Prosopopée, les joueurs mettent le maximum de leur énergie à développer collaborativement le canon de la fiction entière : le contenu (personnages, décor etc.) et pourquoi les choses vont comme elles vont ; par exemple :

3) Ne jamais regarder derrière le voile

Pour que le rêve s’épanouisse, les participants ne doivent jamais regarder derrière le voile ; cela signifie plusieurs choses :

  1. il faut sortir le moins possible de la fiction ;
  2. les techniques d’illusionnisme (la manière dont le MJ s’arrange pour dissimuler certaines pratiques ou choix qu’il fait, notamment pour faire respecter le scénario qu’il a préparé) doivent être aussi discrètes que possible ;
  3. les phénomènes sociaux (interpersonnels) gagnent à être maquillés pour se fondre dans la fiction ;
  4. il vaut mieux éviter les techniques qui ne sont pas justifiées par la fiction, qui n’y trouvent pas leur cause.

Concernant le point 1, considérez que les rectifications, les explications des règles, les mises au point et discussions extérieures à la fictions devraient être réduites à leur pure nécessité, ce qui n’est pas vrai pour les autres démarches créatives : une partie narrativiste, par exemple, gagnera à ce que les participants se posent des questions les uns aux autres, se fassent des suggestions, expriment leur jugements etc.

Concernant le point 2, dans le cas où un MJ veut cacher certaines de ses pratiques aux joueurs, notamment leur faire croire qu’ils ont une prise sur l’histoire, qu’ils sont libres d’agir à leur guise et que leurs actes ont de l’importance, alors que c’est le MJ qui contrôle secrètement tout cela. Ceci ne peut fonctionner que dans le cadre d’une démarche simulationniste (Sens de Romaric Briand en est un bon exemple), mais n’est absolument pas nécessaire aux parties simulationnistes.

Concernant le point 3, les livres et les groupes proposant des parties simulationnistes oublient volontairement l’existence des personnes autour de la table de jeu de rôle. L’oubli devient parfois délétère, car il empêche la démarche créative de s’exprimer. En effet, le jeu de rôle fonctionne sur des interactions entre individus ; les groupes où les participants prennent du plaisir sans le manifester ni le partager aux autres sont les plus fragiles, en particulier lorsque cela est encouragé par le jeu. Quand les joueurs ont appris le jeu de rôle ensemble, se connaissent par cœur et jouent ensemble de longue date, il est possible que la connivence et la communication non-verbale suffisent à harmoniser les attentes de chacun et à faire connaître le plaisir que l’on prend.

Ce point mérite que l’on s’y attarde. L’idéal, c’est d’intégrer dans les règles du jeu des moyens de faire connaître les attentes et les exigences de chacun et de permettre d’exprimer le plaisir que l’on prend. Le don de dés d’Offrande de Prosopopée permet d’exprimer le jugement et le plaisir pris par les participants sans toutefois interrompre la fiction, en glissant un dé vers la personne en train de parler. Je vous renvoie également vers mon article Espaces de créativité pour la description du processus à l’œuvre dans Sens Hexalogie.

Concernant le point 4, le fait de devoir justifier les techniques dans la fiction et d’y trouver leurs causes ne veut nullement dire qu’il ne faut pas lancer de dés ou calculer de scores, mais que le fait de lancer les dés et de manipuler des ressources chiffrées ou autres doit être justifié par la fiction.

Dans Prosopopée, le don de dés d’Offrande est justifié comme une Offrande que se font les divinités qui peignent le Tableau. J’ai créé l’ensemble des mécaniques de résolution et de création de Problèmes en veillant à ne pas enfreindre ce point.

Une idée répandue voudrait que plus une technique ou manière de jouer serait intuitive pour un participant et plus elle paraîtrait adaptée à la démarche simulationniste. Je pense qu’il ne s’agit en réalité que d’une question d’habitude. Quand on s’habitue à une technique, elle se fait oublier plus facilement. Appréhender une technique nouvelle demande fatalement plus d’efforts.

3.1) La difficulté du simulationnisme

Le fait de ne jamais regarder derrière le voile crée une difficulté : les attentes et exigences des participants s’harmonisent difficilement si on n’en parle pas. Le fait d’en parler hors des parties est également difficile dans le cas où le MJ utilise des techniques d’illusionnisme. Et le fait, en tant que joueur, de ne pas exprimer son avis ni son ressenti empêche d’aligner attentes et exigences et ne permet pas de canaliser les frustrations.

C’est pourquoi les groupes constitués de personnes d’horizons différents, avec des habitudes différentes pourront avoir du mal à jouer convenablement ensemble, notamment si les détails du fonctionnement des parties n’est pas expliqué.

Je vous conseille de réfléchir à ce point.

***

Cet article était pour moi l’occasion de creuser la démarche simulationniste, très peu approfondie par chez nous et souvent galvaudée, tout en démontrant de quelle manière Prosopopée s’y inscrivait. Si des questions subsistent, n’hésitez pas à les poser en commentaire.

***

Discussions antérieures à ce sujet sur Silentdrift :

1Voir premise dans le « Provisional glossary » ainsi que le chapitre consacré aux prémisses dans l’article Narrativism : Story Now de Ron Edwards.

2 Plus de précisions dans l’essai de Ron Edwards

Suite à l’article de Romaric au sujet du « narrativisme », je vous propose une courte définition de mon cru (courte car il faudrait un essai complet pour en faire le tour), synthétisée après de nombreuses lectures de Ron Edwards, Vincent Baker, Eero Tuovinen, Ben Lehman, Christoph Boeckle etc.

Le narrativisme est une manière de prendre plaisir durant une partie de JDR impliquant que tous les participants acceptent de pratiquer la même démarche (sans quoi, pas de narrativisme).

Une démarche narrativiste signifie tirer son plaisir pendant la partie des positionnements pris par les joueurs concernant la fiction et des conséquences (toujours fictives) qui en découlent.
On y compare les valeurs d’un personnage, exprimées par ses actes, aux nôtres (comme on le ferait avec certains films et certains romans, BD etc.).

Pour favoriser cette manière de jouer, on aura besoin de situations où aucun choix n’est, dans l’absolu, meilleur qu’un autre et que l’histoire ne soit pas complètement écrite à l’avance, pour permettre d’explorer les conséquences des choix des joueurs (ce que l’on appelle « story now »).

Le fait que les conséquences des actes des personnages ne soient pas prévues permet de donner du poids au sens qu’ils vont prendre pendant la partie, puisque le joueur était libre de choisir telle ou telle issue. Par ex : le joueur choisit de sauver son frère au lieu de le punir pour ses péchés (situation type de Dogs in the vineyard*), nous avons à présent tout l’espace nécessaire pour voir si le frère ne va pas sombrer dans une déchéance pire que ce que le châtiment des PJ aurait pu produire, et se demander : n’aurait-il pas mieux valu le mettre en prison comme le proposait un autre joueur ? Oui, mais qu’aurais-je pensé de mon personnage si j’avais fait ce choix ? Et comment l’aurais-je pris si cela m’arrivait à moi-même, dans la vraie vie ?

* Je tiens à préciser qu’il ne s’agit que d’un exemple qui ne saurait tenir compte du vaste champ d’histoires jouables dans cette démarche créative. Le nombre d’histoires possibles et de choix à portée morale est immense et tout à fait insoupçonnable.

Les conflits sont les nœuds d’une partie narrativiste car ils sont les moments charnières entre le positionnement (comment je choisis de faire agir mon personnage) et les conséquences des actes.

Un jeu qui cherche à soutenir une telle démarche devra permettre de créer des situations posant des choix de ce type, proposant des mécaniques de résolution confrontant les joueurs aux choix moraux. Enfin, le jeu doit faire en sorte que le déroulement de l’histoire ne soit pas complètement prévu à l’avance.

***

Cette explication m’est imputable en grande partie, tout comme ses éventuelles approximations.

Toute question est bienvenue.

J’ai déjà parlé de la relation entre joueur et MJ comme la volonté et le monde. La réalité résiste, il nous est impossible, en tant qu’êtres humains, de casser un rocher à mains nues et pour convaincre quelqu’un il faut bien souvent du temps, des nerfs et de la sueur. Ce qui m’intéresse dans cet article, c’est la tension fertilisante qui existe entre différents participants. Le JDR donne une illusion de réalité en créant un rapport de force entre les différents participants, pour une bonne dynamique, il est important de créer une résistance saine. J’appelle cela la résistance asymétrique : elle fonctionne du fait que les rôles des participants diffèrent à une partie de jeu de rôle.

Ne pas confondre avec le « passage en force », la résistance asymétrique est une dynamique voulue par les participants. Une résistance saine utilise le système en tant que médiateur entre les participants, alors que le passage en force est la manière dont un participant impose ses idées à un groupe réfractaire, ou de telle façon que ça porte préjudice à d’autres participants en niant leur liberté ou leurs choix.

La résistance asymétrique est le contraire du consensus, le consensus est utilisé pour que tout le monde soit d’accord sur la partie jouée ensemble, éviter les grands désaccords et les fourvoiements de direction, mais cela ne signifie pas établir ce que la partie sera avant de la jouer, mais plutôt définir les limites et la démarche créative que l’on souhaite. Le consensus peut être recherché en amont d’une partie ou d’une scène, mais s’il est utilisé à tout autre moment de la partie, il tend à ramollir le jeu en se substituant à la résistance asymétrique, l’histoire ne menace plus de prendre une direction différente de celle désirée, elle se soumet aux envies des participants. Cela peut être intéressant de choisir le type d’histoire jouée, mais en aucun cas il n’est intéressant d’avoir un contrôle sur l’évolution de l’histoire.

La résistance asymétrique quant à elle se situe au cœur de ce qui est important : si les joueurs cherchent à accomplir une chose, il faudra d’autres participants qui s’y opposeront, qui leur donneront la réplique. La situation est la rencontre entre les personnages et le contexte. Si un seul joueur gère seul l’ensemble d’une situation, aucune résistance ne lui est opposée. Il faut donc des partenaires de jeux qui complèteront les situations. Le fait même qu’un autre participant ait la charge de contrôler des parties de la fiction auxquelles je n’ai pas accès constitue la base de la résistance asymétrique.

Le système de résolution constitue souvent le nœud de la résistance, mais il en existe d’autres : il peut s’agir de la mise en œuvre d’un cycle d’approbation : si mon personnage agit de façon héroïque, un autre participant me récompense, s’il juge que c’est bien le cas, d’un bonus. La résistance se situe ici entre l’adéquation avec la règle et la créativité dont fait preuve le premier joueur et le jugement du second. Plus le second sera exigeant et le premier peu imaginatif et plus la résistance sera rigide. Plus le second sera généreux et le premier imaginatif et plus la résistance sera souple. Mais l’important n’est pas d’avoir une résistance trop rigide, ce qui risquerait de décourager les participants, ni d’en avoir une trop souple également, sans quoi la partie risque de paraître fade (voir la question du consensus). Si vous n’avez aucune assurance d’avoir une résistance équilibrée, n’hésitez pas à instaurer une progression.

La résistance asymétrique, c’est la manière dont les interactions entre les personnes réelles rendent les issues incertaines des choix et propositions des participants. La résistance implique que chacun ne peut pas faire tout ce qu’il veut. La résistance asymétrique donne aux participants une emprise partagée et c’est ce partage qui fait que chaque personnage est limité.

  • Confrontation : lorsque deux participants veulent des choses contradictoires, il y a Confrontation. Les systèmes de résolution visent à résoudre ces désaccords, grâce à l’impartialité du système. Les participants doivent avoir une prise sur le système de résolution. S’il fonctionne sans le concours des participants, ce n’est pas une résistance asymétrique, juste une résistance mécanique. Si un joueur peut faire abandonner l’autre, il y a rapport de force, que ce soit en l’intimidant, en négociant etc. comme nous allons le voir dans les points suivants. Dans le cas où c’est un seul joueur qui arbitre, il faut contrebalancer son pouvoir afin d’éviter que l’arbitraire de ses décisions ne rende la résistance trop rigide ou trop souple, inéquitable, voire consensuelle entre les participants.

On pourrait imaginer que la Confrontation est présente dans tous les jeux, mais ce n’est pas forcément le cas. Un jeu comme Breaking the Ice de Emily Care Boss fonde les échanges uniquement sur les interactions positives, l’incertitude reposant sur leur fréquence, leur quantité et la clémence des dés.

Dans Prosopopée, il existe des mécaniques de résolution qui ne mettent pas en opposition les participants entre eux, mais qui les opposent à une résistance mécanique.

  • Compétition/défis : plusieurs participants se disputent un enjeu et usent de leurs ressources personnelles (logique, inventivité, calcul…) pour l’atteindre. Il y a jugement porté sur l’aptitude et la performance du participant. Les mécaniques qui permettent de surmonter cette résistance doivent être impartiales. Les participants créent les opportunités, estiment les risques, peuvent s’intimider, jouer au bluff, etc. Si cette résistance se joue sans les participants, elle n’est plus asymétrique, mais une résistance mécanique, comme cela peut arriver dans certaines pratiques n’offrant pas aux participants la possibilité d’influer sur le résultat des Conflits.

  • Négociation/chantage : consiste pour un participant à mettre en balance plusieurs enjeux d’un autre participant, afin de lui imposer un choix dont on ne peut prévoir à l’avance lequel sera fait. Aucun choix ne doit être dénué de contreparties. Cela peut donner lieu à de véritables dilemmes, mais ce n’est pas obligatoire, le simple fait de promettre une perte induit un jugement de valeur sur le choix produit.

Cette dynamique est fortement prescrite par les règles de jeux comme Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, Polaris de Ben Lehman et bien d’autres. Elle prend racine dans la manière dont les situations se constituent et se trouve verrouillée durant les Conflits, afin que les joueurs ne puissent pas trouver d’autres moyens de faire et se confrontent donc à la situation comme à un choix difficile, plutôt qu’un problème auquel il faut trouver la meilleure solution.

  • Séduction : un participant cherche à coller aux attentes d’un ou plusieurs autres, ou à les surprendre positivement. La séduction doit s’inscrire dans le respect d’un canon esthétique et le développer, ou doit chercher à entrer en résonance avec la sensibilité des participants.

Dans Prosopopée, les joueurs doivent se récompenser quand l’un d’entre eux narre quelque chose qui leur plait. Les joueurs sont donc invités à accorder de l’importance à la qualité de leurs narrations et à explorer leur créativité.

Dans Breaking the Ice, le Guide récompense le Joueur actif quand celui-ci met son personnage à son avantage ou quand il agit de manière flatteuse envers le personnage du Guide. Ici, la séduction joue par résonance avec le processus de séduction entre deux personnes.

  • Sympathie/antipathie : les participants, feront en sorte d’attirer la sympathie d’un joueur pour un personnage en dévoilant qui il est, son histoire, ses faiblesses et ses souffrances. Il peut également jouer sur l’antipathie et plus subtilement sur un jeu de sympathie/antipathie du personnage qui commet des actes immoraux mais avec de bonnes raisons, ou l’inverse. C’est généralement par les actes des personnages que se joue cette résistance.

Zombie Cinema de Eero Tuovinen donne une certaine importance à cette dynamique : le principe de « soutien » demande au joueur de prêter son dé gratuitement à un autre joueur pour augmenter ses chances de résoudre favorablement un Conflit. Ce qu’éprouve le joueur qui soutient envers le personnage tendra à justifier son choix. La mécanique de sacrifice joue d’une façon similaire, car elle permet de sauver la vie à un personnage. Un joueur ne le fera pas pour n’importe quel personnage, car cela peut mettre en danger, voire faire mourir le sien.

  • Rétention/fascination : cette résistance tire parti des mystères et des secrets. Elle met un participant en position de force (généralement le MJ), car il possède des informations que les autres n’ont pas et dont le but est de les amener à s’y intéresser, à créer une soif de découverte ou de compréhension. Il distillera les informations en fonction des choix des autres participants. Le but est d’utiliser ces moyens pour intriguer le joueur et le faire aller de l’avant. Il est important que les autres participants aient en contrepartie des espaces de créativité et une emprise sur certains enjeux afin d’éviter d’avoir l’impression d’être menés par le bout du nez. Il est préférable que les informations soient données selon un procédé transparent ; pas consensuel, mais le sentiment que le don d’information est arbitraire peut nuire à la l’implication des joueurs.

Sens Renaissance de Romaric Briand utilise ce procédé, car les secrets du monde ne se dévoilent que petit à petit et seul le MJ en est le gardien. C’est un procédé courant dans le monde du JDR, mais il confine souvent au participationnisme ou à l’illusionnisme, ce qui n’est pas, à mon avis la meilleure façon d’en tirer parti…

Innommable de Christoph Boeckle dans ses versions 007 à 009 utilise également ce procédé pour faire aller les joueurs de l’avant : le MJ a préparé une menace qui se dévoile progressivement par des indices et des évènements ambigus. Les joueurs ont une prise indirecte sur la nature de la source de la menace (généralement, un secret occulte, une créature indicible), par l’intermédiaire de monologues faisant sombrer les personnages entre surnaturel et folie, ils donnent forme à la menace. Le MJ, lui contrôle essentiellement les adversaires : humains voulant tirer parti de la source.

C’est assez rare, mais je suis convaincu qu’il est possible de donner des informations secrètes à plusieurs participants et de les intégrer à la partie petit à petit.

Il existe d’autres relations un peu différentes, plus ou moins fonctionnelles :

  • Participationnisme : un des participants (le MJ) connaît l’histoire à l’avance et les autres joueurs acceptent de la suivre, quitte à sacrifier leur liberté. Ils s’efforcent de coller aux attentes de celui qui dirige. Il est important que les joueurs aient pleine connaissance du fonctionnement de la partie et qu’ils l’acceptent, sans quoi, il peut y avoir friction. Ce principe joue donc sur un consensus, avec toutefois un enjeu de taille : celui qui dirige a pour tâche de donner aux autres quelque chose qui leur plait suffisamment pour justifier son contrôle sur l’Espace Imaginé et Partagé. Il s’agit souvent d’une forme de rétention/fascination poussée jusqu’à l’extrême. La différence se situe à l’endroit que la rétention peut être produite sur des éléments indépendants des choix des joueurs, alors que le participationnisme s’efforce de faire s’accomplir la destinée des personnages avec la complicité des joueurs.

  • Illusionnisme : le MJ fait croire aux joueurs qu’ils sont libres, mais il orchestre tout secrètement. Les choix des joueurs n’ont pas de réelle importance puisqu’ils mèneront toujours là où le MJ l’a prévu. L’illusionnisme constitue un rapport de force vicié, car l’enjeu est généralement trop grand pour le MJ pour pouvoir maintenir l’illusion en permanence. Dès que les joueurs s’en rendent compte, le jeu risque d’être rompu pour eux. L’illusionnisme compile un ensemble de Techniques visant à cacher la manière dont les décisions sont véritablement prises, par exemple, le MJ décide des niveaux de difficulté sans en parler aux joueurs afin de pouvoir les modifier secrètement et ainsi décider ce qui réussit et ce qui échoue conformément à l’histoire qu’il veut obtenir, sans se soucier réellement des résultats des dés. Les joueurs, eux, lancent leurs dés pensant que le résultat importe, ce qui n’est pas le cas. Si les joueurs se rendent compte que ça ne sert à rien, ils n’auront plus d’intérêt à lancer les dés.

Il est important de garder à l’esprit que les différents rôles mis en œuvre n’ont pas besoin d’être figés sur toute la durée d’une partie, il peut y avoir alternance : le joueur jugeant devient le joueur jugé, celui qui dresse les confrontations peut devenir celui qui les subit en cours de partie, etc.

Une séance de JDR n’utilise généralement pas qu’une seule de ces résistances asymétriques. Il n’est pas évident de prédire quelle sera la résistance asymétrique à l’œuvre durant une partie et pour les créateurs de jeux, je suggère de vérifier pendant les parties les dynamiques à l’œuvre pour les renforcer ensuite.

Je n’ai jamais vu une partie toutes les mêler sans créer des clivages entre les participants, mais on peut facilement en mélanger jusqu’à trois. Elles sont liées aux démarches créatives, mais on ne peut pas les y limiter : un jeu de rôle qui soutient une démarche créative « story now » comme Zombie Cinema fonctionne par un mélange de Confrontation (les joueurs sont souvent en opposition, les mécaniques de résolution de Conflit permettent de les départager), de sympathie/antipathie (les autres joueurs choisissent de soutenir un joueur en fonction de la situation, la sympathie/antipathie pour le personnage jouant un grand rôle ; le fait de pouvoir se sacrifier pour sauver un PJ fonctionne aussi sur ce principe) et de négociation (la règle de sacrifice et le choix de lancer ou non un Conflit peuvent amener les joueurs à privilégier un choix en sacrifiant autre chose).

Breaking the Ice fonctionnant selon une proposition créative similaire à Zombie Cinema n’utilise pourtant pas la Confrontation et place la séduction au premier plan. Il peut donc y avoir des différences nettes de résistances asymétriques dans des jeux soutenant le même type de démarche créative.

Chaque partie de Zombie Cinema se centre plus sur certaines résistances asymétriques que sur d’autres, certains pourront faire des efforts pour rendre leurs personnages sympathiques quand d’autres se concentreront sur la négociation/chantage.

Les questions que l’on doit se poser lors d’un game design, sera qui assume quel part de ces schémas : sont-ils plusieurs à assumer le même rôle ? Ou est-ce une personne indépendante ? Cette organisation peut-elle changer pendant la partie ? Y a-t-il des exceptions ?

C’est en différenciant les rôles et les tâches des participants, que ce soit de façon temporaire ou permanente, que vous produirez ces dynamiques de résistance asymétrique. Quand vous avez repéré celles qui prédominent dans les parties de votre jeu, vous devriez parvenir plus facilement à discriminer les techniques qui y sont appropriées et celles qui les parasitent.

Par exemple, il peut être difficile de faire fonctionner une résistance fondée sur la séduction s’il y a une compétition qui positionne un participant à la fois comme juge et compétiteur, tout comme l’utilisation de secrets peut donner aux joueurs le sentiment que les choix d’un « chantage » ne sont pas les seuls possibles et qu’en creusant ils pourront contourner le dilemme proposé…

Les commentaires sont toujours les bienvenus.