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La fiction fonctionne comme un jeu entre l’Émetteur (le scénariste, le romancier, le metteur en scène…) de l’œuvre et le Récepteur (le spectateur, le lecteur…). Le pivot central est le jugement de valeur.

L’Émetteur fait une proposition à l’adresse du Récepteur. Je souhaiterais ici mettre le doigt sur deux formes de relations entre eux :

  1. Un policier est coincé dans une banque et cherche un moyen pour régler leur compte aux terroristes qui ont monté la prise d’otage. Il utilise un leurre pour détourner l’attention de gardes pour s’infiltrer au deuxième étage, mais un des gardes le surprend, il court vers l’ascenseur et la porte se referme sur son fusil d’assaut piqué à un terroriste un peu plus tôt. Il coupe la sangle pour pouvoir s’enfuir, laissant derrière lui sa seule arme à feu.

  2. Un médecin militaire recueille un homme sur le champ de bataille, il s’agit d’un soldat ennemi. Il sait que s’il utilise son temps pour le soigner, il risque gros. Il aménage donc un espace sous sa tente où il le soigne secrètement. Un autre soldat est amené blessé et reconnaît le soldat ennemi qu’il accuse d’avoir tué son ami…

L’Émetteur (dont je joue le rôle présentement) fait deux propositions :

Dans la première, il présente une situation dans laquelle, le protagoniste (le flic) cherche à accomplir un objectif univoque. L’Émetteur demande au Récepteur d’être comme un supporter. Les enjeux sont tout ce qui menace son objectif, augmentent le coût du sacrifice que devra faire le protagoniste pour atteindre l’objectif.

Dans la deuxième proposition, l’Émetteur pose une situation ambigüe dans laquelle le Récepteur est libre de juger les actes du médecin et des autres personnages. Le médecin a-t-il commis une erreur ? Est-il trop bienveillant ? Ou se bat-il pour une cause juste ? Le soldat ennemi est-il un salopard ? Ou est-il une victime de la guerre ? Chaque nuance, chaque position est digne d’intérêt pour le Récepteur, car c’est le caractère équivoque de la situation qui titille le sens moral du Récepteur sans que le narrateur ne pose lui-même de jugement explicite ou implicite.

D’une certaine façon, c’est assez proche de la distinction que fait Aristote entre l’Épopée et le Drame.

En jeu de rôle, ces deux dynamiques sont la différence fondamentale entre la démarche créative narrativiste et les démarches créatives ludiste et simulationniste. Si vous créez des situations où les choix des personnages amènent prioritairement des jugements moraux, vous jouez dans une démarche narrativiste ; si l’objectif n’est jamais remis en question, si leurs choix cherchent à être prioritairement efficaces ou adaptés, vous jouez dans une des deux autres démarches.

Bien sûr, il faut garder à l’esprit que les postures d’Émetteur et de Récepteur en JDR sont extrêmement changeantes et surtout, que la part ludique/interactive de notre activité amène une troisième dimension permettant notamment de différencier plus avant les démarches simulationniste et ludiste.

 

Il n’est pas simple de gérer les objectifs des personnages pendant une partie de jeu de rôle. Mon travail sur le sujet m’a permis d’identifier plusieurs structures possibles.

Mes tentatives de mêler une intrigue principale épique avec des objectifs secondaires plus intimistes s’est généralement soldée par un échec : si les joueurs cherchent à résoudre une enquête en priorité, ils délaissent généralement leurs objectifs secondaires (et vice versa). J’espère que ces schémas vous aideront pour vos jeux et vos parties comme les réflexions dont ils découlent m’ont aidées pour les miens.

Légende

Voici la légende des symboles utilisés dans les schémas.

1. Unidirectionnel

Le schéma unidirectionnel est celui qu’on trouve le plus souvent dans les parties de JDR, tant et si bien que pour beaucoup, il est le seul moyen efficace de faire du JDR. Bien sûr il n’en est rien.

Il présente l’intérêt de permettre aux joueurs de collaborer vers un objectif commun. Il nécessite de verrouiller les dissensions possibles entre les PJ et se prête mal à la poursuite d’objectifs individuels. Qui pourraient fragiliser la poursuite de l’objectif final. Souvent, les MJ mettent tous leurs efforts pour préparer l’objectif principal, mais laissent une liberté aux joueurs qui risque de contrarier ces efforts. Il faut que la cause des PJ soit univoque, qu’il n’y ait pas d’incitations à le remettre en question. Les éléments de background des PJ, s’il en est, doivent les pousser vers leur objectif commun. Les PJ ne doivent pas de raisons d’entrer en conflit les uns avec les autres et dans l’idéal, prévoyez des garde-fous pour empêcher qu’un PJ change de camp, par exemple :

Dans Gloria, les PJ sont des héros au service d’une déesse. Servir la déesse demande de respecter un code, tous ceux qui le trahissent ne peuvent plus assumer leur rôle et deviennent des PNJ (les joueurs peuvent cependant créer un nouveau héros).

Dans Sens Hexalogie, le MJ doit faire jouer les histoires individuelles en dehors des séances de jeu groupé.

2. En arrêtes de poisson

Les parties en arrêtes de poisson proposent un objectif commun aux PJ et offrent d’explorer également des objectifs secondaires.

Souvent, une partie unidirectionnelle mal cadrée peut se transformer en partie en arrêtes de poisson. L’ennui, c’est qu’une partie en arrêtes de poisson ne nécessite pas le même type de cadre de jeu :

  • il nécessite une vraie souplesse dans l’articulation des scènes ; ce sont généralement les joueurs eux-même qui entreprennent de suivre les objectifs secondaires, ils doivent avoir la liberté de le faire ; quand les objectifs secondaires empiètent sur l’objectif principal (ou inversement), il s’agit d’une perversion de cette structure qui gagnera à retrouver rapidement son équilibre ;

  • il doit opter entre une possibilité de déstructurer le schéma et permettre aux objectifs de se réorganiser selon les autres schémas immédiatement ; ou faire en sorte que l’objectif principal demeure le plus important ; dans le deuxième cas, on peut imaginer que les PJ entrant en opposition avec le groupe doivent quitter le jeu à l’issue d’une séance (comme le fait Dogs in the vineyard) ;

  • les objectifs secondaires peuvent être des complications survenant en marge de l’accomplissement de l’objectif principal, ou des parenthèses visant à développer les PJ et leur background.

3. Convergent

Dans une partie de structure convergente, tous les PJ recherchent le même objectif sans aucune obligation d’agir de concert.

Les conflits entre PJ sont courants dans cette structure, il faut donc impérativement un équilibre dans la possibilité d’action de tous les PJ (soit, de parole de tous les joueurs) et une souplesse dans l’articulation des scènes.

Vampires de Victor Gijsbers utilise cette structure et séquence le jeu par scènes d’une durée variant entre 5 minutes et un quart d’heure, centrée sur chaque PJ à tour de rôle. C’est le joueur qui initie sa scène en annonçant ce que veut y faire son personnage.

4. Entrelacés

Dans cette structure, chaque PJ possède son propre objectif, mais les PJ ont tous des raisons d’interagir avec les personnages des autres, que ce soit par relation entre eux, ou avec les objectifs en question.

Pour faire fonctionner cette structure, c’est important de laisser aux joueurs une grande liberté d’intervention, par exemple Psychodrame qui utilise ce type d’organisation des objectifs propose aux joueurs de faire intervenir leurs PJ quand ils le souhaitent dans n’importe quelle scène tant que c’est cohérent ou qu’ils le justifient.

Voici un exemple de la manière dont les relations entre PJ et objectifs sont organisées dans Psychodrame, en fonction du nombre de joueurs : http://froudounich.free.fr/images/Psychodrame-pb.gif (attention, les symboles y sont utilisés différemment que dans les schémas de cet article).

5. Parallèles

Dans ce cas de figure, les PJ se retrouvent aux prises avec un ou plusieurs problèmes, ils peuvent ne jamais se retrouver, ni s’entraider, mais tout est lié dans le fond.

Les joueurs, eux, savent qu’ils luttent pour un même objectif, donc ce que font les autres est intéressant pour eux. Ils pourront éventuellement s’allier, mais rien ne les y incite. Prosopopée ou Innommable utilisent ce type de structure. Ça peut valoir le coup que les conflits/combats ne durent pas trop longtemps pour éviter que les autres joueurs ne soient spectateurs trop longtemps.

Techniquement

Le découpage des scènes, l’attribution de la décision des objectifs à long ou court terme, la répartition du temps de parole et la responsabilité de situation jouent un rôle fondamental dans la faisabilité et la cohérence de chacune de ces structures.

Chaque jeu peut exploiter des techniques variables pour produire une structure fonctionnelle, quelle qu’elle soit. Certaines contraintes traditionnelles s’avèrent des obstacles au bon fonctionnement de ces organisations des objectifs des personnages.

Dans tous les cas, il ne faut pas oublier qu’en général il n’y aura qu’un seul protagoniste et que les autres joueurs devront se contenter de seconds rôles (parfois tout aussi intéressants à jouer dès lors que les joueurs ont leur espace d’expression).

Dès lors que les petites flèches noires apparaissent, on peut observer des changements de structure en fonction des alliances et des antagonismes, il faut soit consolider la structure désirée pour la stabiliser, soit faire en sorte que les répartitions de parole et de temps d’action soient suffisamment souples pour que la nouvelle structure obtenue soit jouable.

  • Polaris de Ben Lehman avec son système particulier fait souvent 4 histoires différentes en arrêtes de poisson qui peuvent se réunir occasionnellement (pouvant alors devenir entrelacées).
  • Zombie Cinema me semble pouvoir osciller entre des objectifs en arrêtes de poisson, convergents, voire parallèles étant donné qu’il y a une très grande liberté au sujet des objectifs secondaires et au niveau de la construction des situations.

 

Pour déterminer ce qui n’entre pas dans cette définition, je propose d’en délimiter les constantes. Projet ambitieux, oui, mais si on ne tente rien, on continuera à dire des inepties encore longtemps. À chaque fois qu’on déroge aux traditions, on prend le risque de se faire taxer d’étranger.

J’écris ce message en réponse à tous ceux qui m’ont déjà dit que X ou Y n’étaient pas du JDR alors que je ne parvenais pas à être d’accord. Plutôt que de me baser sur une pratique, je prends le parti d’isoler les éléments qui me paraissent fondamentaux à la pratique rôliste.

I. Définition

Commençons par nous attarder sur les origines de l’activité et sur ses fondations.

L’ensemble de cet article est inspiré d’une définition de Christoph Boeckle : « Le jeu de rôle est une activité de groupe où tout le monde participe à la création d’une histoire, en effectuant des choix selon la situation de la fiction. »

I.1. Origines et similarités

On lui attribue plusieurs origines :

  • les contes au coin du feu1 ;

  • les wargames dont Chainmail2, précurseur de Donjons & Dragons serait le chaînon manquant ;

  • les jeux de simulacre de l’enfance (jouer à la poupée, faire vivre une ville de Playmobils…) ;

  • les jeux fictionnels Oulipiens (cadavre exquis, Un conte à votre façon3 de Raymond Queneau écrit en 1967, précurseur des livres dont vous êtes le héros) ;

  • les jeux littéraires comme Glass town4, première moitié du XIXe siècle…

Olivier Caïra apporte un éclairage particulier : le JDR ludique serait devenu possible à partir du moment où les populations occidentales, dans les années 70 se sont trouvées abreuvées d’une quantité de fictions importante qui a permis, par une culture fictionnelle commune, de jouer avec ce matériau imaginaire5.

N’oublions pas que faire du théâtre, du jeu de rôle en formation, du psychodrame (jeu de rôle thérapeutique6 inventé en 1930-1932) est du « jeu de rôle » : le fait de jouer un personnage fictif dans une situation imaginée et partagée entre plusieurs personnes. On pourrait même dire que le simple fait de se projeter en disant « et si je faisais ceci, quelles seraient les conséquences ? » est une base de jeu de rôle.

Mais l’acception fondatrice est anglophone : « role playing game » et elle contient un élément supplémentaire en comparaison de sa traduction réductrice « jeu de rôle » : il s’agit de la structuration/régulation de l’activité ludique.

Il n’en reste que toutes ces activités ont un tronc commun, elles me semblent jouer un rôle dans les origines du JDR : il a bien fallu des pratiques fictionnelles, ludiques et théâtrales avant d’avoir l’idée de les fusionner en une nouvelle forme de pratique. Elles mettent en lumière les racines des activités humaines que l’on retrouve dans le JDR, mais aucune n’est à proprement parler du jeu de rôle au sens de « role playing game ».

I.2. C’est une activité sociale

Qu’elle se joue autour d’une table, en « grandeur nature » ou via internet, l’activité rôliste se pratique par au minimum deux participants, de cette manière, des transactions se mettent en place : certains participants créent pendant que d’autres jugent leur création et ces postures « s’intervertissent » continuellement ; les participants sont tous émetteurs et récepteurs en alternance de la construction de la fiction.

Écrire un roman comporte le processus de création et celui de jugement par les lecteurs, mais les lecteurs ne peuvent pas modifier le contenu de l’œuvre en intervertissant leur posture avec celle du romancier.

I.2.1. C’est une pratique interactive

L’interactivité est ce qui fait que l’interprétation du rôle devient central. On peut très bien jouer au Monopoly en interprétant l’homme d’affaire, ce jeu se fera en parallèle des transactions et n’interfèrera pas dans l’évolution des ventes et achats de terrains7.

Jouer une pièce de théâtre comporte également le processus de création dans la performance scénique, mais les postures sont unilatérales (certaines formes de théâtre participatif amènent une forme d’interactivité, j’en reparlerai plus loin).

I.3. L’E.I.P.8

« The fictional content of play as it is established among participants through role-playing interactions. » Ron Edwards, The Provisional Glossary.

Traduction : « Le contenu fictif en jeu tel qu’établi entre les participants à travers les interactions pratiquées pendant une session de jeu de rôle. »

Il s’agit donc du résultat du processus consistant à imaginer des éléments et des évènements fictifs et à les communiquer à l’ensemble des participants, de façon à ce qu’ils puissent poursuivre ledit processus en réponse. Sans ce matériau fictionnel, pas de jeu de rôle, ainsi donc les successions de jeter de dés ou de calculs de chiffres ne constituent pas seuls une activité que l’on peut qualifier de jeu de rôle. L’Espace Imaginé et Partagé est la production de fiction interactive par deux individus ou plus.

I.3.1 La fonction de l’Espace Imaginé et Partagé

Les décisions que prennent les participants doivent être faites en cause et en conséquence des situations fictives, explication :

Prenons une situation fictive : les soldats de l’empereur entrent dans la demeure où se trouvent les personnages que contrôlent les joueurs. Les soldats disent qu’ils viennent arrêter les personnages en question. Dans ce cas-là, si un joueur dit que son personnage s’enfuit pour leur échapper, il aura effectué une décision en conséquence de la situation fictive.

Maintenant, imaginons qu’en s’enfuyant, les évènements l’amènent à décider que son personnage va demander main forte à son beau frère qu’il n’aime pas, dans le but de sauver sa peau. Cela amène les joueurs à produire une scène où le personnage du joueur supplie son beau frère de le cacher. La décision précédente a été faite en cause de la suivante.

Prenons deux exemples où ce ne serait pas le cas. Imaginons qu’un joueur décide de lancer un combat parce qu’il sait que s’il obtient la victoire, il gagnera de l’argent réel (comme on le fait au poker). Dans ce cas, la décision a été prise en cause externe à la fiction : gagner de l’argent « réel ».

Dans un second cas, imaginons que la femme du joueur lui dise : « si tu ne nous débarrasse pas de ces gardes (fictifs), je te laisse faire la vaisselle (sous entendu la véritable vaisselle qui traine dans leur évier, et non une vaisselle fictive) ». Si le joueur fait le choix de faire combattre les soldats fictifs à son personnage, ce sera en conséquence d’une menace de sa femme extérieure à la fiction.

Dans ces deux derniers cas, la mécanique du jeu est biaisée, si l’ensemble de leur pratique fonctionne sur ces principes là, on peut dire qu’ils ne font pas du jeu de rôle (toujours au sens role playing game, à présent, je prends la liberté d’employer « jeu de rôle » pour ne parler implicitement que de cette forme bien précise de jeu fonctionnant par et pour l’Espace Imaginé et Partagé).

Ainsi un jeu comme Les loups garou de Thiercelieux ne peut être défini comme un jeu de rôle puisqu’il se contente de fournir un prétexte fictionnel à des joueurs (dans le village de Thiercelieux, des loups garous dévorent de pauvres villageois, ils sont parmi vous, essayez de trouver qui ils sont) pour amener une discussion basée sur le bluff. Aucun élément de fiction n’est généralement communiqué par le jeu et les décisions sont prises, la majeure partie du temps, pour éviter d’être éliminé du jeu. Les joueurs n’apportent aucun élément de fiction autre que ce qui était prévu à l’avance par les mécaniques du jeu, donc on ne peut pas parler d’Espace Imaginé et Partagé.


I.4. Une activité d’humains

Le fait – d’une évidence même – que l’activité rôliste9 soit pratiquée par des humains induit certains principes fondamentaux relatifs à leur condition.

I.4.1. La propriété

L’humain est limité : il ne peut pas tout connaître de façon exhaustive et simultanée. L’idée même de se projeter dans un autre être, dans un autre monde demande de créer des conditions similaires à celle de l’existence qu’il connaît.

Pour créer une analogie avec la façon dont il est censé percevoir ladite existence, nous avons besoin de donner au joueur physique une propriété sur le monde fictif. La base que l’on rencontre fréquemment est : « joueur A décide des actes (parole comprise) et pensées d’un personnage que l’on désigne par conséquent comme lui appartenant. C’est cela, la propriété. Ces éléments de propriété concernent donc ce qu’on désigne de façon générale comme étant la « volonté10 » d’un être.

Mais les volontés seules n’amènent qu’une partie de ce que notre expérience témoigne : il manque ce qui constitue le monde : les objets, les faits qui le constituent. On va donc désigner un ou plusieurs joueurs qui vont avoir le droit de décrire le décor : où se trouvent les personnages fictifs, quelles informations parviennent à leurs « esprits » ? Et qui définit les actes et pensées des personnages surnuméraires en rapport au nombre de participants physiques ?

On a défini un rôle pour cela, on l’appelle MJ : Maître du jeu, Meneur, Metteur en scène, Conteur…

La différence avec les autres participants qui sont propriétaires de la volonté d’un seul personnage, c’est qu’il statue sur tout le reste. Ok, mais il y a un problème : ça signifie que c’est le MJ qui décide à quoi ressemble le personnage dont je suis propriétaire, ce qu’il possède… On se rend compte qu’en fait les propriétés du MJ sont TOUJOURS réparties entre tous les participants. Tout ce que je choisis de mon personnage, qui est étranger à sa volonté est en fait une concession. Ces concessions ont de nombreuses fonctions : le confort de jeu, soulager le MJ, créer une mise en commun de la créativité des participants, plutôt que de tout laisser à un seul…

Donc, plutôt que de toujours laisser un autre décider de tout ce qui n’est pas de la volonté de mon personnage, on me laisse choisir. Parfois ces limites sont floues, d’autres fois elles sont très précises. Joue-t-on un homme ou une femme ? Né dans une famille riche ou pauvre ? D’ailleurs, combien a-t-on de frères ou de sœurs ? Soi-même quel est notre métier ? Ais-je fait le métier que je voulais ? Ou est-ce que le destin en a décidé autrement ? Ais-je décoré mon appartement ? Ou ais-je pris un meublé intégralement décoré par un autre et dont chaque fonctionnalité a été décidée par un autre ? Quel joueur va décider de chacun de ces aspects ? Moi-même parce qu’il s’agit de mon personnage, ou un autre ?

C’est la première partie importante du système du jeu, c’est la partie « role » du role playing game).

I.4.2. La résistance

La deuxième grande partie du système est la résistance. La résistance est le fait de rendre incertain l’aboutissement de certaines actions, c’est de faire sentir à la volonté que rien est acquis d’avance. Ce qui se confronte à la volonté, en dehors de ses limites décrites dans le chapitre précédent, c’est la limite du corps et les autres volontés.

La limite du corps fait qu’un homme à mains nues ne pourra pas démolir un mur de ciment d’un mètre d’épaisseur, par exemple. Mais nous sommes là principalement dans le cadre de ce qui est possible ou non, crédible ou non, cohérent avec l’univers ou non. La plupart des jeux définissent tout une machinerie pour pouvoir vérifier si chaque action est possible, mais généralement, dans la majeure partie des cas, un individu sait de quoi il est capable avec, éventuellement, une marge d’insécurité. Mais dans la plupart des activités sur lesquelles on a travaillé, ou pour lesquelles on a subi un entraînement, on est capable d’estimer nos aptitudes.

D’autres jeux estiment justement que les joueurs sont capables de définir eux-mêmes ce que leurs personnages sont capables de faire, si les enjeux ne sont pas centrés sur ce genre de performances, il n’y a aucun intérêt à marquer une résistance sur les actions physiques pures.

De nombreux jeux structurent les étapes d’une résolution d’épreuve ou de conflit en situant l’incertitude après la narration de l’intention : « j’essaye de passer inaperçu. Jet de dés, résultat. » D’autres procèdent à un coût de l’issue décrite par le joueur, par exemple : « je passe inaperçu » un autre joueur « ok, mais tu laisses des traces dans la terre qui font qu’on pourra te retrouver plus tard. »

Dans le monde du jeu vidéo narratif, certaines théories avancent que les joueurs se sentiront d’autant plus « immergés » qu’ils auront le sentiment que leurs actes ont un impact sur le déroulement de l’histoire11. Pour cela, une résistance efficace et qui n’écrase pas les joueurs implique plusieurs aspects :

  • Il faut donner aux joueurs une possibilité d’influer sur les chances de succès des actions de leur personnage, moyennant un coût effectif ou potentiel.

  • Il faut que les conséquences attendues soient possibles, mais qu’elles puissent différer de celles attendues, ou être biaisées par des éléments justifiables avant, pendant, ou après la tentative de résolution.

  • Il faut une transparence totale dans l’utilisation du système de résolution (trop d’opacité désengage le joueur des succès ou échecs de son personnage).

C’est en utilisant ces techniques que la volonté du joueur devient celle du personnage et c’est en menaçant ses actions de ne pas advenir tel qu’il l’aurait souhaité qu’on le mobilise.

Un jeu tel que Il était une fois propose la construction collective d’une histoire, mais n’implique les participants qu’en tant qu’auteur, car les joueurs n’ont aucune propriété spécifique sur les éléments de la fiction et les enjeux ludiques se situent hors de la fiction (éviter de dire des mots clef pour ne pas se faire damer la narration).

De la même façon pour le théâtre participatif (théâtre forum, théâtre action, match d’improvisation etc.), les acteurs ont la propriété de leurs personnages, mais ils n’ont aucune résistance, le principal enjeu créatif se situe au niveau de la qualité de la fiction construite, voire, la mise en situation de personnes du public amène des confrontations à des comédiens reposant totalement sur la gestion arbitraire du conflit, ou à but extrinsèque : de la même façon que les jeux de rôle non ludiques, l’enjeu est d’explorer une thématique, d’expérimenter des techniques ou d’aider une personne à aller mieux.

Vous me direz : les jeux de rôle ludiques aussi ont un enjeu extrinsèque : s’amuser entre amis, faire évoluer son personnage, explorer des thématiques… C’est qu’en fait la dimension intrinsèque des buts et enjeux n’est pas une nécessité, mais une possibilité.

II. Les idées reçues

Comme si je n’ai jamais vu que des chats roux, je ne peux pas décréter que tous les chats doivent être roux pour pouvoir être ainsi nommés, ce n’est pas parce que toutes les tables que je connais ont des points communs que cela détermine la nature de notre activité.

II.1. Il faut des dés

Bien entendu, les dés sont d’un usage courant en jeu de rôle, ce qui n’empêche que la majeure partie d’une séance se joue sans lancer de dés : descriptions du décor, descriptions des actions des personnages, discussions entre personnages, exploration des lieux… Ambre et Nobilis (pour ne citer qu’eux) ont bien démontré que le dé n’était pas une condition sine qua non à ce qu’une activité soit du JDR, ni qu’elle soit réussie. Bien entendu la part d’incertitude nécessaire à une résistance efficace fait la part belle à l’utilisation de dés, ou de n’importe quel outil permettant d’intégrer de l’aléatoire au jeu, mais des systèmes de jauges, de mises ou autres peuvent très bien fonctionner.

II.3. C’est ludique et tactique

De manière générale, cette idée repose sur l’assertion « ce n’est qu’un jeu ». Il s’agit là d’un des innombrables reliquats du wargame. En réalité, le jeu de rôle est aussi une fiction. Pour ainsi dire, au vu du champ sémantique du mot « jeu », on peut tout aussi bien conclure qu’il n’implique qu’une activité présentant un champ de liberté à partir d’un matériau plus ou moins souple (comme jouer de la guitare, ou « play » en anglais) et d’un cadre à cette activité (comme une harmonie pour une impro de guitare, ou « game » en anglais, soit un système de règles). Les enjeux d’une partie de jeu de rôle peuvent essentiellement se porter sur la question morale qui sous tend les actes des personnages, ou sur la dimension esthétique des propositions des participants.

II.4. Il faut un scénario

Le scénario, bien que très présent n’est pourtant pas indispensable. Si une partie de JDR n’en est une que si elle est conduite par un scénario, alors les moments où les MJ improvisent ne sont pas du JDR ? Comme le théâtre d’impro reste du théâtre, comme une impro de guitare reste de la musique, une impro en JDR reste du JDR, dût-il durer toute la partie. Il existe de nombreux MJ qui improvisent bien plus qu’ils ne préparent leurs parties et il existe également une pléthore de techniques et de méthodes permettant de concevoir des propulseurs à histoire en improvisation.

II.5. Il faut un MJ

Ça paraît plus évident de laisser la majeure partie de ce qui n’est pas la volonté des personnages appartenant aux joueurs (ce qu’on appelle les PJ) à un seul participant, mais ce n’est pas la seule option, loin s’en faut. L’ensemble de ses prérogatives peuvent être distribuées entre tous les participants, de nombreux jeux existent et fonctionnent du tonnerre sur ce principe. Il y a toujours au moins un joueur qui contrôle tout ce qui n’est pas du ressort des PJ (en effet, ce serait stérile de se contenter de parler entre joueurs sans décor, sans progression de l’intrigue, sans personnages secondaires…), mais pas toujours un seul « Maître du jeu » qui contrôle le monde, l’histoire, la cohérence, les règles, qui arbitre et qui fait le café.

À présent

Tout le reste n’a rien à voir avec le fait qu’une activité puisse prétendre ou non au nom de « jeu de rôle », qu’elle se joue avec ou sans plateau, que les joueurs puissent décrire le décor, qu’on joue de l’épique ou de l’intimiste, qu’on mette l’histoire, l’ambiance ou autre chose au premier plan, qu’il y ait des combats ou non, qu’il s’agisse de proportions d’une chose ou d’une autre, de seuils à partir duquel vous ne reconnaissez pas les principes de votre activité. Ne confondez pas vos habitudes et vos préférences avec la nature du jeu de rôle.

Notre activité est complexe, diversifiée et c’est ce qui fait sa richesse et quand bien même on la métisserait avec des activités qui n’ont rien du jeu de rôle, on ne ferait que l’enrichir. N’écoutez pas ceux qui veulent la réduire, une activité qui ne se diversifie pas est vouée à mourir.

1Voir la définition officielle de la Fédération Française de Jeu De Rôle : http://www.ffjdr.org/jdr/definitions

2Jeu de figurine tactique intégrant des règles de duel par Gary Gygax et Jeff Perren : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chainmail

4Glass Town, créée en 1827 par Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë : http://fr.wikipedia.org/wiki/Glass_Town

5Jeux de rôle – Les forges de la fiction, Olivier Caïra ; Rejoignant l’analyse de Daniel Mackay.

7Voir l’article de Vincent Baker « How RPG Rules work : http://www.lumpley.com/archive/156.html

8L’Espace Imaginé et Partagé – Shared Imagined Space, voir The Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

9Rôliste = nom : personne pratiquant le JDR ; Adjectif : relatif au jeu de rôle.

 

Le paradoxe fréquent en JDR est celui de la différence de connaissances supposées du personnage avec celles effectives du joueur. Il est particulièrement présent dans les jeux historiques et/ou dans les jeux d’enquête :

J’ai souvenir d’une partie dans laquelle nous jouions des agents du FBI débutants. Pendant l’enquête, à plusieurs reprises, nous nous trouvions (les joueurs) bien embêtés, car nous ne savions pas vraiment ce qu’il était possible de faire pour poursuivre notre enquête : quels étaient les moyens de renseignements dont nous disposions, les techniques d’investigation ? Le fait de jouer des débutants minimisait la casse, puisque notre incompétence était alors légitimée. Une scène d’interrogatoire avait tourné au vinaigre, notamment car nous n’avions pas vraiment de techniques pour convaincre le MJ que nous pouvions tirer des informations du chef de gang que nous avions isolé. En plus, inutile d’espérer pouvoir s’inspirer de la série CSI : Les Experts,  puisque nous jouions dans les années 90, donc exit 90% du matériel et des techniques (souvent romancées d’ailleurs) d’investigation scientifique présentes dans cette série. J’ai trouvé nos agents du FBI assez pathétiques à vrai dire.

Autre partie : nous jouions des sbires du cardinal Barberini au XVIe siècle. En tant qu’intendant dudit cardinal, j’avais le loisir, en tant que joueur, de décrire son palais (puisque c’est mon personnage qui l’avait aménagé). Seulement, loin d’être à court d’imagination, je proposais des choses sans me rendre compte que ça pouvait être anachronique ou inadapté (oui, mes connaissances historiques sont très limitées). Le MJ me reprenait donc et rectifiait, à tel point que je me demande s’il n’aurait pas mieux valu qu’il décide lui, en fait.

Et quand nous devions décider que faire pour retrouver un cambrioleur fugitif dans Venise et Florence, nous étions complètement paumés par manque de connaissances des fonctionnements de la société de cette époque, le MJ était toujours amené à statuer sur la validité de nos propositions. Nous nous retrouvions donc à faire des enchères de propositions d’action, à voir lesquelles obtenaient les faveurs du MJ.

En y réfléchissant, je ne vois que peu de manières de régler ce genre de paradoxes :

  • Ne jouer aux jeux qui demandent de grandes connaissances dans un domaine, qu’avec des spécialistes du domaine en question (ou du moins des passionnés). Le jeu devient une célébration d’un univers connu par les participants, duquel ils échangent leurs connaissances.

  • Donner aux joueurs tout le background du jeu à lire avant de jouer et faire confiance à leur mémoire.

  • Jouer à des jeux où l’univers est moins prédéfini, les joueurs ne se trouveront pas contrariés lorsqu’ils feront des propositions, puisque l’univers deviendra davantage un produit dynamique de l’imaginaire collectif, qu’une description figée et détaillée avant de jouer, à laquelle il faut se conformer.

 

Qui donne l’impulsion ?

Dans la majorité des cas, le MJ fait la proposition et les joueurs réagissent. Imaginez la situation suivante :

MJ : vous êtes agents du FBI à New York. Votre chef vous explique que des terroristes auraient entreposé des armes et explosifs dans un entrepôt sur les docks. Vous partez en commando pour les intercepter. Vous arrivez à l’heure prévue devant le hangar suspecté. Vous voyez une voiture allemande aux vitres teintées et une issue de secours à l’opposé du bâtiment.

Joueur 1 : Ok, je fais signe à 3 hommes de se poster en hauteur sur le hangar voisin avec les fusils de sniper, cinq hommes à l’issue de secours, les autres avec moi à l’entrée, je prends des grenades aveuglantes.

Joueur 2 : je déverrouille la porte…

Le MJ a créé la situation, les joueurs y ont réagi.

Un autre cas de figure :

Joueur 1 : mon personnage est un avocat au service du procureur de la ville de Los Angeles. Ce matin, je vais prendre un café avec ma resplendissante nouvelle collègue en arrivant au bureau, je ne suis pas insensible à ses charmes.

MJ : « Bonjour Carlson » Elle porte sa tasse à ses lèvres. « Alors, comment se passe l’affaire sur le dossier Jenkins ?

Joueur 1 : « Bonjour Sophia, apparemment, le bougre a commis une erreur en choisissant Kramer comme complice, il est au bord des aveux… Alors, comment tu trouves notre ville, t’arrives à prendre tes marques ? »

Ici, le joueur a créé la situation, le MJ l’a investie.

Maintenant, imaginons que la première situation énoncée se poursuive ainsi :

Après la scène de l’entrepôt, les joueurs manquent d’indices pour arrêter le chef du trafic d’armes.

Joueur 1 : je vais voir mon indic en attendant que le terroriste blessé reprenne consciente.

MJ : vous vous retrouvez dans un pub non loin de chez lui.

Joueur 1 : je lui montre les photos des gars qui se trouvaient dans l’entrepôt. « voilà les mecs qu’on a arrêtés. C’est qui ? Tu sais qui est leur boss ? »

On a beau jouer la même partie, la dynamique s’est inversée. Pourtant, la situation s’inscrit dans la poursuite de l’objectif fixé par le MJ au début de la partie.

On a donc au cours d’une partie, une proposition principale qui s’articule en plusieurs propositions auxiliaires qui peuvent changer de dynamique. Quand la proposition principale est réglée, soit on arrête la partie, soit on fait une nouvelle proposition.

Comme on a besoin de bases pour se lancer, on aura tendance à préparer de quoi tisser un contexte pour l’histoire qu’on veut jouer. Quand le MJ fait la proposition principale, il prépare la partie avec un scénario, ou simplement une situation initiale et trouvera un moyen d’impliquer les joueurs dans sa proposition.

Comment faire pour que les joueurs fassent la proposition principale ?

C’est la création de leurs personnages qui sera la proposition. Pour que ça fonctionne, il faut que les personnages aient un ou plusieurs objectifs et des motivations.

Quand le MJ dit : votre chef vous donne pour mission d’attaquer le village voisin ; votre base n’a plus d’eau, vous devez sortir explorer le territoire pour trouver un moyen de la ravitailler ;

C’est lui qui plante la base de l’histoire.

Mais si un joueur a le loisir de choisir de jouer : un renégat qui cherche à détruire l’empire ; un chevalier qui veut vivre son idylle avec la reine du royaume ; ou un explorateur qui cherche une relique sacrée ;

C’est le joueur qui décide de la direction que prend l’histoire.

Dans ce deuxième cas, les joueurs doivent lier les objectifs de leurs personnages sans quoi ils joueront leurs histoires parallèlement au lieu de jouer une histoire commune.

Si vous essayez de faire les deux à la fois, l’un va forcément prendre le dessus.

Si le MJ lance l’histoire, les joueurs doivent seulement réagir ou générer des situations auxiliaires, sans quoi ils risquent de détourner la proposition du MJ.

Si les joueurs lancent l’histoire, le MJ doit investir la situation : donner aux joueurs matière à leur histoire, gérer l’adversité et éventuellement créer des situations auxiliaires sans quoi il risque de détourner leur histoire.

Sans ces réponses, bien sûr, la partie tombe à plat.

Rappel : les jeux dits « sans MJ » proposent à certains joueurs d’endosser par alternance ou par répartition les responsabilités du MJ.

 

Ron Edwards, dans son Essai sur le narrativisme dit :

I suggest that considering « the GM » to be either (a) necessarily one person or (b) a specific and universally-consistent role is badly mistaken – we are really talking about a set of potential behaviors (roles, tasks, whatever) which may be independently centralized within or distributed across a group of people. Here are some of those GM behaviors, roles, and tasks: – rules-applier and interpreter, as in « referee » – in-game-world time manager – changer of scenes – color provider – ensurer of protagonist screen time – regulator of pacing (in real time) – authority over what information can be acted upon by which characters – authority over internal plausibility – « where the buck stops » in terms of establishing the Explorative content – social manager of who gets to speak when

A given role-playing experience must have these things – there is no such thing as « GM-less » play. But which of these require(s) enforcing varies greatly, as does whether they are concentrated into a particular person, and as does whether that person is openly acknowledged as such. What matters for Narrativist play, however, isn’t any specific point in the diversity-matrix of these variables – it’s about what the person (or persons) currently in the GM-role is responsible for.

Traduction personnelle :

Considérer « le MJ » comme étant (a) nécessairement une personne ou (b) un rôle consistant spécifique et universel, est une grave erreur – il s’agit vraiment d’une gamme de comportements potentiels (rôles, tâches, ou autres) qui serait indépendamment centralisée ou répartie parmi un groupe de personnes. Voici quelques comportements, rôles et tâches dévolues au MJ : applicateur de règles et interprète, en tant « qu’arbitre » – gestionnaire du temps dans le monde du jeu – distributeur de scènes – pourvoyeur de couleur – responsable du temps de participation des protagonistes – régulateur du rythme (en temps réel) – autorité décidant quelle information peut être révélée par quel personnage – autorité pour la cohérence interne – limitation, concernant l’établissement du contenu de l’Exploration – gestionnaire du temps de parole.

Une expérience de jeu de rôle donnée doit avoir ces éléments – il n’existe pas de parties « sans-MJ ». Mais leur importance varie grandement, comme le fait de savoir si elles sont concentrées dans une personne particulière, et comme le fait de savoir si cette personne est ouvertement reconnue pour cela. Le qui compte, pour jouer une partie narrativiste, quoi qu’il en soit, ce n’est pas un point spécifique dans la diversité de la matrice de ces variables – c’est de savoir ce que cette personne (ou ces personnes) en tant que MJ a comme responsabilités.

 

1. Introduction

Cet article poursuit l’idée développée dans « le JDR est potentialité ».

Dans la construction d’une histoire, la mise à l’épreuve du protagoniste joue un rôle primordial. Qu’il s’agisse de problèmes rencontrés, d’obstacles à la réalisation de son objectif, d’épreuves, de confrontations ou de conflits, ces mises à l’épreuve ont plusieurs utilités : elles apportent une tension dramatique, une incertitude quant au coût de l’entreprise du protagoniste, du suspense, des dilemmes… Bref, c’est le moteur de l’histoire.

J’écris cet article pour ceux qui veulent créer des « scénars » ou des jeux en donnant un maximum de libertés aux joueurs, de façon à stimuler l’exploitation des potentialités qu’offrent le JDR.

2. Les mises à l’épreuve

Comment amener des mises à l’épreuve dans vos parties de JDR tout en catalysant les potentialités de l’histoire ?

Pour travailler sur ce sujet, je vais commencer par décrire deux biais fréquents dans la gestion des mises à l’épreuve en JDR :

  1. l’absence ou la rareté des mises à l’épreuve ;

  2. une utilisation des mises à l’épreuve réduisant les potentialités à leur plus simple expression, voire à néant.

2.1. L’absence ou la rareté des mises à l’épreuve

On constate ce phénomène quand le MJ improvise, lâche du lest aux joueurs, et se retrouve dans une situation pour laquelle il n’a rien prévu et pour laquelle il ne sait pas quoi faire. Ou bien les joueurs ne se rendent pas vers l’endroit prévu, par choix ou parce qu’ils ne savent ou ne comprennent pas ce que le MJ attend d’eux. Certains MJ tenteront alors d’écourter ce passage pour revenir dans leur histoire, quand d’autres chercheront à meubler, mais de toute évidence, tout ce que les joueurs vont pouvoir explorer librement sera de peu d’intérêt pour l’histoire. Dans de tels cas, la liberté des joueurs n’a aucun intérêt.

2.2. Une utilisation rigide des mises à l’épreuve

Du coup, pour rythmer une partie, pour la rendre palpitante, dynamique, on place des mises à l’épreuve dans nos scénars. Combien de fois a-t-on vu ou écrit des scènes dans lesquelles il était prévu à l’avance qu’un combat ou une course-poursuite devait avoir lieu ? Et souvent, si les joueurs en décident autrement, la préparation de cette scène n’aura servi à rien. De plus, si les joueurs échouent, tout le monde va se retrouver dans la situation « 2.1. » ou alors rejouer plusieurs fois le même combat jusqu’à la victoire, à la façon d’un jeu vidéo.

2.3. Le positionnement

Le positionnement des joueurs face aux évènements vécus est primordial : il consiste à se positionner par rapport aux situations créées : choisir son camp, user de violence ou négocier, prendre des risques, assumer une transgression par rapport aux lois, choisir entre une valeur ou des liens affectifs etc.

Pour permettre un positionnement, il faut offrir aux joueurs des « situations à choix multiples ». Les choix et leurs conséquences n’ont pas besoin d’être prévus, il s’agit surtout de distinguer les situations dans lesquelles les choix des joueurs, quels qu’ils soient ne mettront pas en péril la partie. Bien sûr, un joueur peut toujours se désintéresser des situations proposées et faire quitter la scène à son personnage. Dans ce cas, sa fuite doit produire des conséquences : l’adversité est pugnace et cherchera tous les moyens pour arriver à ses fins. C’est votre rôle, en tant que MJ, de réfléchir à une façon de créer les meilleures situations pour vos parties.

3. Les situations de crise

OK, la liberté c’est bien, mais comment laisser de la liberté aux joueurs en évitant qu’ils baillent en regardant l’heure toutes les 5 minutes ?

Par l’utilisation de situations de crise. Le terme est bien choisi vu le climat économique…

Voici quelques exemples de situations de crise que l’on peut trouver dans le cinéma ou la littérature :

  • des terroristes font une prise d’otages dans la banque centrale ;

  • le meilleur ami du protagoniste drague sa femme ;

  • un concurrent a usurpé la paternité de vos recherches sur une maladie rare ;

  • un rival a dénoncé vos intrigues au roi ;

  • un ennemi cherche à obtenir l’objet en votre possession ;

  • un cataclysme menace la ville où se trouve votre famille…

La liste pourrait être longue. Une situation de crise est une situation constituée d’un ensemble d’évènements ou d’informations qui demandent au joueur d’agir, de prendre une décision importante pour son personnage ou pour lui-même.

La situation de crise diffère du conflit prévu en ce sens qu’elle pose une situation conduisant potentiellement à des conflits, en plaçant au centre des évènements, des enjeux, c’est à dire le mobile des antagonistes : ce pour quoi on se bat, ce qu’on risque de perdre ou de gagner.

4. Les motivations

Si le but est d’inciter un ou plusieurs joueurs à agir ou à réagir, il est important de savoir de quelles manières on y parviendra le mieux :

  • En premier lieu, gardez toujours à l’esprit qu’un joueur sera d’autant plus motivé, qu’il saura que la satisfaction de son désir est possible, mais qu’il devra faire des efforts ou des choix difficiles pour y parvenir ;

4.1. Les motivations externes :

  • Vous pouvez mettre le personnage en situation d’honorer son devoir : c’est le principe utilisé dans tous les scénarios à mission, le personnage a un rôle, un devoir, et une autorité lui donne une mission, ou une personne fait appel à lui pour exercer sa fonction ;

  • La technique de la coercition consiste à jouer sur la tendance du joueur à vouloir éviter la douleur physique ou psychique, ou toutes sortes de déconvenues pour son personnage, dans le but de le forcer à agir. L’esclavage est une forme de coercition permanente. Je déconseille l’utilisation systématique de cette technique qui risque, bien entendu, de provoquer beaucoup de frustration ;

  • Plus utile et plus efficace est le risque de perte : il s’agit d’un excellent moteur à action, à partir du moment où la chose menacée est importante pour le personnage, ou apparaît comme tel pour le joueur, par exemples : un objet d’une importance capitale, un être cher, son statut, son intégrité physique ou morale, la vie… Notez que la menace sera plus forte si l’objet visé est rattaché au système du jeu (s’il s’agit d’une ressource importante pour atteindre un but, ou d’une condition de sa santé mentale, son statut social…). Autrement, le joueur pourrait tout à fait s’en désintéresser ;

  • Une perte effective, déjà produite est une motivation plus incertaine, car dans certains cas elle pourrait inciter à rendre justice, à se venger ou à obtenir réparation ou compensation, mais dans d’autres cas, elle pourrait entraîner la résignation. Il est plus intéressant qu’elle survienne en conséquence des actes, qu’en élément déclencheur, et que le responsable soit connu du PJ et accessible ;

4.2. Les motivations internes

  • Les valeurs correspondent à toutes sortes de croyances, convictions, certitudes, idéologies. Elles peuvent appartenir au personnage, mettant le joueur en situation de les défendre, comme les conflits idéologiques peuvent s’adresser directement au joueur (questions de moralité ou de justice, notamment), à condition d’être connecté au rôle du PJ. Vous pouvez exploiter ces valeurs en les heurtant à d’autres valeurs ou à des relations, un devoir, ou toutes sortes de situations (par exemple, manifester de la violence physique devant un pacifiste, le bien d’un peuple vaut-il le sacrifice d’un individu ? Acquérir la puissance vaut-il la perte de son humanité ? Etc.).

  • Enfin, les relations affectives sont un moyen de catalyser toutes les motivations données, car toutes les choses sont plus graves quand elles touchent un être cher, par exemple : le fils d’un personnage fait partie du réseau terroriste qu’il tente de démanteler…

Vous pouvez donc bien entendu mélanger ces différentes motivations. Dans certains cas, le simple fait d’avoir des personnages en opposition franche sur un point suffit pour lancer une partie.

5. Structurer la partie

Maintenant, il faut s’assurer que la situation de crise sera suffisamment riche pour tenir une séance ou plus.

Cela va consister en une complexification de la situation de crise : plus de deux parties sont en opposition, chaque partie a des alliés, ou bien un antagoniste n’est qu’un allié du véritable décisionnaire (comme ça, s’il meurt, pas de problème, le chef, ou un allié prend le relais). Les antagonistes peuvent avoir des plans d’action en plusieurs étapes et chaque révélation faite aux joueurs conduit vers une étape du plan, jusqu’à la dernière. Mais ne préparez rien de plus que le plan et les indices, pas la manière dont on doit le trouver.

Après une défaite, les ennemis vont chercher un moyen de revenir à la charge. Vous pouvez également prévoir plusieurs situations de crise corrélées, mais indépendantes. L’antagonisme sera toujours plus stimulant s’il vient de personnages doués d’intelligence et de capacité d’action.

Quand tous les participants poursuivent des objectifs pour leurs personnages, vous pouvez vous contenter de répondre à leurs impulsions et de créer de l’adversité quand elle ne vient pas d’oppositions entre les PJ. Plus les joueurs auront de responsabilités et plus l’improvisation sera facile à gérer. Si les PNJ ont des objectifs et des motivations, il vous suffira de les suivre pour les jouer.

Quand les situations de crise sont résolues, vous pouvez finir la partie. La narration de fin devra simplement rappeler ce qu’il s’est passé d’important durant l’histoire jouée et en brosser les conséquences.

6. Exemples

6.1. Innommable

Ce jeu de Christoph Boeckle1 propose des situations mystérieuses et dangereuses, où des individus normaux sont confrontés à une horreur qui les dépasse. Il contient une méthode de création de « situation initiale » que le MJ doit créer avant la partie. Pendant la partie, voilà le schéma que l’on rencontre habituellement : des gens normaux se retrouvent dans un lieu où des choses paraissent étranges ou inhabituelles. Puis ils vont découvrir que des personnes sont responsables de ces manifestations. Enfin, l’origine de tout ce mal est un être surnaturel, une aberration métaphysique.

Le MJ annonce avant la création des PJ dans quel lieu (ordinaire ou non) l’histoire va se situer et il demande de créer leurs personnages en conséquence, selon les types de rôles que le MJ propose avant la partie, et d’expliquer brièvement leur présence. Ils doivent également posséder une « attache », autrement dit, quelque chose qui les rattache à la réalité et à la vie.

Souvent à huis clos, le seul moyen de sauver sa peau est de démasquer et de vaincre les « profiteurs », c’est à dire les antagonistes cherchant à utiliser la source surnaturelle à leur profit.

Durant le « premier acte », des indices étranges (appelées « symptômes ») se dévoilent progressivement. Ces symptômes créent des situations problématiques, inhabituelles, produisant assez peu de situations de crises en les laissant assez libres et peu dangereuses. Quand les profiteurs commencent à mettre leur plan à exécution, le risque de perte (de la vie, de la raison, ou de leur attache, principalement) devient souvent dominant. L’attache peut aussi créer une motivation d’ordre relationnel.

Les personnages possédant des valeurs (libre au joueur d’en créer) pourraient être amenés à les défendre, et la violence de certaines scènes d’horreur peut aussi inciter les joueurs à exploiter leurs valeurs personnelles pour leurs prises de décision.

Le MJ peut utiliser certaines règles spéciales pour se montrer coercitif occasionnellement vis à vis d’un joueur, dans le but de pousser les scènes d’horreur à l’extrême.

Si des joueurs choisissent d’incarner des forces de l’ordre, ils pourront eux-mêmes prendre des décisions en adéquation avec leur sens du devoir, par exemple en essayant de sauver quelqu’un, malgré l’évidence même du péril qui le guette, car c’est leur job, voire, si il est sollicité.

Il est important de constater que certains éléments de motivation sont introduits par le système de jeu, d’autres par le MJ et d’autres par les joueurs. Mais vous allez voir qu’il y a bien des façons de les utiliser.

6.2. Prosopopée

Dans ce jeu,2 je propose de jouer des avatars de divinités parcourant le monde pour résoudre des problèmes d’ordre surnaturel dont pâtissent les communautés humaines.

Les joueurs décrivent le monde au fil de son exploration. Quand les narrations plaisent à d’autres, ils donnent des dés. Ces dés permettront plus tard de résoudre les problèmes rencontrés.

Quand les joueurs décident que certaines découvertes sont des problèmes, ils les « ancrent », c’est à dire que ces choses-là ne pourront être modifiées qu’en cas de jet de dés réussi.

Les joueurs explorent des lieux extraordinaires et mènent leur quête consistant à découvrir et résoudre des problèmes, en cherchant le potentiel pour y parvenir. L’énoncé et le système rendent le rôle des PJ univoque : ils doivent trouver les problèmes et les résoudre. L’exploration et la résolution sont donc des motivations liées au devoir.

Parfois, les joueurs pourront être émus par le sort d’un PNJ, auquel cas, leurs valeurs ou leur affect relationnel seront sources de motivation. Notons que dans ce jeu, ce cas est assez rare.

Les avatars ne peuvent pas être affectés par les problèmes, ce qui retire tout risque de perte ou de coercition. En revanche, cela peut agir par procuration quand ce sont les PNJ qui sont visés.

Dans ce jeu, certaines mécaniques pleinement impliquées dans la fiction sont parallèles à l’histoire et jouent d’avantage sur des enjeux esthétiques que sur les choix des personnages. En effet, confiés aux joueurs, certains enjeux ludiques ou esthétiques peuvent tout à fait compenser le manque d’enjeux dramatiques d’une partie.

6.3. Zombie Cinema

Dans Zombie Cinema,3 les joueurs font face à une menace zombie, mais pour s’en sortir, il faut gagner des conflits contre les autres joueurs en premier lieu, puis contre les zombies également.

Les joueurs vont porter beaucoup d’attention aux faits et gestes des autres PJ et jouent leur personnage en fonction de ses propres valeurs et de sa personnalité qui se construisent surtout pendant la partie.

Sur des cases, le pion zombie s’approche inéluctablement des pions des joueurs. Ceux-ci sont incités à aller de l’avant pour contrer le risque de « perte de la vie » de leurs personnages.

Le principe d’alliance et de soutien du système de conflits fonctionne via les jugements de valeurs et les jugements affectifs des personnages dans le cas d’une alliance, et grâce aux faisceaux de valeurs et à l’affect du joueur dans le cas d’un soutien.

Enfin, la règle du sacrifice permet à un joueur de donner à un autre autant de cases d’avance que lui en sacrifie.

Les joueurs peuvent eux-même se heurter aux situations mettant à l’épreuve le sens du devoir de leur personnage en créant un PJ des forces de l’ordre, par exemple.

6.4. Dogs in the vineyard4

Les joueurs incarnent des jeunes représentants de l’ordre religieux dans l’Utah au XIXe siècle. Leur rôle est de déceler le péché, la sorcellerie et l’influence démoniaque dans les différentes branches (villages) de la communauté. La motivation à l’accomplissement du devoir est donc instituée dans le principe de base du jeu.

Cependant, les préceptes religieux sont libres d’interprétation pour les joueurs, ce qui permet de jouer sur des valeurs variables.

Via la création de situations initiales, les PNJ constituent une communauté dont certains transgressent les règles édictées, connues des joueurs. Leurs transgressions sont souvent subtiles, et l’histoire des PNJ peut provoquer la compassion. Certains d’entre-eux sont de la même famille que l’un des PJ, ce qui crée un lien relationnel. Les valeurs et le sens du devoir qu’essaient de défendre les joueurs sont mis à mal et les exposent souvent à des choix difficiles exacerbés par le système de résolution qui peut amener un risque de perte important, voire se montrer occasionnellement coercitif quand le MJ joue finement. Dans ce cas, il incite fortement le joueur à l’utilisation de la violence, pouvant provoquer des pertes effectives lourdes.

Les techniques de création de situations est génératrice de drames humains, entraînant des jugements de valeur, exacerbés par le fait que les PJ doivent rendre la justice et toute liberté leur est donnée pour cela, dans la limite du jugement des autres joueurs.

Le contexte, les situations et les mécaniques de jeu mettent les joueurs en position de jugement de valeur, face aux actes des personnages et aux choix des joueurs. Les risques de perte sont proportionnels à l’entêtement du joueur à vouloir défendre son point de vue.


6.5. Objectifs communs et individuels

Un jeu comme Vampires5, de Victor Gijsbers propose de créer un objectif commun à tous les vampires du coin, par exemple : devenir le prince vampire de la ville, séduire la plus belle mortelle etc. Puis, toute liberté d’action est laissée aux joueurs, aucun scénario n’est écrit, ce sont leurs actions qui construisent l’histoire. L’objectif commun au départ est un élément pourvoyeur de conflits entre tous les concurrents, c’est ce qui va entraîner des situations de crise. Les objectifs trop « énoncés » ont un effet un peu artificiel, et ce, d’autant plus que la seule motivation évidente est : « parce que c’est ma nature ». Il n’empêche que l’histoire se suffit d’un tel enjeu pour exister.


7. Qui donne l’impulsion ?

Comme on l’a vu précédemment, quand le personnage a suffisamment de motivations personnelles et un contexte fertile, vous pouvez demander au joueur ce que son PJ entreprend. Vous pouvez demander également à vos joueurs de faire eux-mêmes les mises en scène en répondant à trois questions :

  • où se déroule l’action ?

  • qui est présent ?

  • que se passe-t-il ? (Ou qui fait quoi ?)

Cela pourra être utile dans un univers suffisamment malléable et si de surcroît c’est eux qui conduisent l’intrigue.

Vous n’aurez qu’à réagir à leurs propositions en gérant l’adversité et en amenant des situations de crise.

Quand les PJ ont en eux le potentiel des situations de crises, ou quand le système le génère, il n’y a plus besoin de MJ, c’est le cas de Zombie Cinema et Prosopopée.


Pour finir

Parvenir à créer un équilibre entre tension dramatique et liberté des joueurs est un travail de longue haleine, mais des techniques aident à rendre le travail de chacun plus simple et intuitif, notamment les techniques de partage des responsabilités. Enfin, le résultat, quand la structure est équilibrée, offre des horizons plus larges que jamais et tous les problèmes de parasitage entre les choix des joueurs et les objectifs du scénario (le fameux Truc impossible avant le petit dèj’) disparaissent.

1Jeu en développement : http://www.silentdrift.net/innommable/

2Jeu en développement : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=28&t=1585&start=15#p15197

3Un jeu Arkenstone Publishing, traduit en français : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

4Jeu de Vincent Baker en anglais : http://theunstore.com/index.php/unstore/game/1

5http://lilith.gotdns.org/~victor/writings/0058vampires.pdf

 

Le Big Model, c’est le nom donné avec humour au gros paquet des théories de The Forge.

Nous en faisons une esquisse sur le podcast de la Cellule avec Romaric Briand, Christoph Boeckle, Fabien Hildwein et moi-même :

http://cellulis.blogspot.com/2010/08/podcast-hs-le-big-model.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+cellulis+%28La+Cellule%29

Cette théorie met le doigt sur les principaux problèmes rencontrés durant les parties de JDR et propose des moyens pour les régler.

 

Il existe autant de façon de mener que de MJ. Bien souvent, le fait de jouer au même jeu n’uniformise pas les façons dont on les mène. Entre le MJ qui prévoit à l’avance les scènes qui vont se dérouler (scène 3 = combat contre les forces de l’empereur) ainsi que la façon dont elles vont se dérouler et le MJ qui fait de la figuration devant ses joueurs en gérant surtout l’adversité, les expériences de jeu diffèrent grandement.

Il y a un certain nombre de choses que l’on laisse traditionnellement au MJ :

  1. Qui décide de ce qui compose le monde ?

  2. Qui révèle l’intrigue?

  3. Qui compose les situations ? De quelle manière ?

  4. Qui détermine si une action échoue ou réussit ?

  5. Qui raconte le résultat des actions ?

  6. Quelles parties des PJ, des PNJ ou du monde les autres ont-ils le droit de modifier ?

On parle de responsabilités1 pour les points 1 à 5 et de propriétés pour le point 6.
Les responsabilités sont partagées dans la plupart des parties de JDR, comme nous allons le voir.

1. Qui décide de ce qui compose le monde ?

Ou responsabilité de contenu.

Exemple A :

MJ : « Après plusieurs jours de traque, vous vous retrouvez dans une grande forêt. »

Joueur : « Est-ce que je peux grimper à une arbre pour observer les alentours ? »

MJ : « Oui, les arbres sont hauts, mais faciles à escalader. »

Ici, le MJ a une responsabilité de contenu intégrale : le joueur ne peut se contenter que de suggestions et de questions au MJ, c’est ce dernier qui décidera si les arbres existent (après tout, ça pourrait être une forêt d’autre chose) et s’ils peuvent être escaladés.

Exemple B :

MJ : « Après plusieurs jours de traque, vous vous retrouvez dans une grande forêt. »

Joueur : « Je grimpe à une arbre pour observer les alentours. »

Ici, le joueur exploite ce qui paraît logique pour planter des arbres accessibles et qu’il estime pouvoir escalader.

Exemple C :

Joueur : « J’appelle Gregor et je lui dis de passer chez moi. Je laisse la porte ouverte et je me cache derrière l’armoire pour le surprendre. »

Dans cet exemple, le joueur a décidé que son personnage possédait un appartement, mais il a également décidé du contenu de cet appartement (cela arrive sans qu’on l’ait définit à l’avance, tant que tout le monde trouve ça cohérent). Ici, le MJ n’est plus du tout le seul responsable du contenu de l’univers. Dans certains cas, on acceptera que le joueur crée ce type de contenu s’il appartient à son personnage (son équipement, son domicile…). Dans d’autres cas, le joueur sera libre d’inventer du contenu à sa guise, quel qu’il soit. Dans ce cas, il sera utile de bien définir les spécificités du rôle de MJ.

2. Qui révèle l’intrigue ?

Ou responsabilité de révélation.

Exemple A :

MJ : « L’homme à la cicatrice choit à terre. »

Joueur : « Alors, qui a tué le témoin ?« 

MJ : « C’est D’Agostino… Il est impliqué dans l’affaire de drogue…« 

Ici, c’est le MJ qui lève le voile sur les secrets et mystères de l’histoire ou du monde.

Exemple B :

MJ : « L’homme à la cicatrice choit à terre. »

Joueur : « Je lui demande qui a tué le témoin et il me répond que c’est Conor, qu’il est mandaté par le sénateur Williams… »

Dans cet exemple, c’est le joueur lui-même qui décide des réponses aux mystères et aux secrets de l’histoire ou du monde. Dans ce cas, le MJ devra garder un contrôle fort sur d’autres éléments de la fiction. Cette manière de faire est particulièrement indiquée pour les jeux où le rôle de MJ est réparti entre plusieurs participants (voire tous), mais certains jeux (Inspectres ou Lady Blackbird par exemple) l’utilisent malgré la présence d’un seul MJ.

Donner aux joueurs la responsabilité de révélation fonctionne car les autres participants ne savent pas à l’avance ce que leur partenaire va inventer. Cela vise généralement à laisser l’histoire évoluer au gré des choix et de l’envie des joueurs plutôt que de les contraindre à suivre le plan du MJ.

3. Qui compose les situations ? De quelle manière ?

Ou responsabilité de situation.

Une situation est une rencontre entre les personnages et l’univers. Généralement, les éléments en place vont amener les joueurs à agir ou réagir, car sans action, pas d’histoire. La situation est le cœur du JDR.

Exemple A :

MJ : « Alors que vous marchez dans la rue, vous entendez une voix crier « au voleur » et vous voyez un homme courir dans votre direction, une besace à la main. »

Ici le MJ a planté seul une situation. Il peut avoir décrit sa situation dans un scénario, ou en avoir prévu la base (Un voleur à la tire tente de s’enfuir, la personne volée crie) et improviser la mise en scène, voire créer la situation au pied levé. Dans le jeu Dogs in the vineyard3, les joueurs commencent chacun une scène d’initiation en disant au MJ ce qu’ils veulent accomplir. Le MJ invente au pied levé une situation qui amènera le PJ à rencontrer des problèmes liés à l’accomplissement qu’il souhaite. Mais ensuite, les situations se créent d’une manière tout à fait différente.

Exemple B :

Joueur : « Je prends un raccourcis pour me rendre chez l’apothicaire à travers les rues mal famées. »

MJ : « Soudain tu entends une voix crier « Au voleur ! ».

Joueur : « Je me cache. »

MJ : « Tu vois un homme courir dans la direction où tu te trouvais, une besace à la main ».

Ici, le MJ a composé avec les décisions du joueur pour créer la situation à deux. Si le joueur n’avait pas décidé de faire passer son PJ par les rues mal famées, la scène n’aurait peut-être jamais eu lieu.

Exemple C :

Joueur : « Je prends un raccourcis pour me rendre chez l’apothicaire à travers les rues mal famées. »

MJ : « Soudain tu entends une voix crier « Au voleur ! ».

Joueur : « Je me retourne et là je vois un homme courir dans ma direction, je brandis mon épée et je lui crie : « arrête-toi si tu ne veux pas finir en pièce. »

Ici le joueur a carrément exploité la petite intervention du MJ pour enrichir de lui-même la situation. Le joueur aurait même pu composer la situation entière tout seul. Pour que ces techniques fonctionnent, il faut éviter au maximum de prévoir à l’avance ce qu’il va se passer, sous peine de parasiter sans cesse le scénario et la créativité des joueurs.

4. Qui détermine si une action échoue ou réussit ?

Ou responsabilité d’exécution.

J’ai pris la liberté d’ajouter cette responsabilité à la théorie qui vient à l’origine de The Forge4.

Dans de nombreux cas, le MJ décide des échecs et succès : dans les conflits sociaux, les actions anodines ou celles qui lui paraissent irréalisables. Le reste est souvent déterminé par les dés ou par une opposition de scores. Mais il est possible de faire bien autrement : par exemple dans les règles du « JDR sans règles5 », le joueur décide de la réussite ou de l’échec de tout ce qui relève des actions intimes, banales ou quotidiennes de son personnage, le MJ de tout ce qui relève du particulier et de l’héroïsme. Dans Karma, un jeu développé par un des membres du studio Gobz’ink6 les joueurs décident si leur PJ réussit ou échoue : une réussite coûte des jetons, un échec en rapporte donc, si on réussit trop au début, on ne pourra plus qu’échouer à la fin de la partie. Et bien souvent on passe par les dés, car un arbitrage aveugle et neutre est souvent plus satisfaisant que l’arbitraire d’une personne pour décider des réussites/victoires et des échecs/défaites car il crée de l’imprévu.

5. Qui raconte le résultat des actions ?

Ou responsabilité d’issues.

Résultat : une fois qu’on a lancé les dés, qui raconte le résultat ? D’ordinaire, c’est le MJ, mais c’est un exercice qui à long terme peut s’avérer éprouvant au bout du énième coup d’épée raté. Dans Dogs in the vineyard, le joueur en position défensive raconte les effets des coups physiques ou psychologiques que reçoit son personnage. Le joueur (ou MJ) vainqueur raconte la fin du conflit avec l’autorisation exceptionnelle de prendre le contrôle des personnages des autres (PNJ comme PJ). Mais cela fonctionne d’autant mieux que le jeu ne cherche pas à résoudre des tâches, mais des enjeux. On appelle cela « résolution de conflit » par opposition à la « résolution de tâche ». Au lieu de statuer sur la réussite d’un coup d’épée, on ne statue que sur des évènements qui font avancer l’histoire, comme par exemple la victoire d’un combat, l’humiliation d’un personnage, ou réussir à persuader quelqu’un. Vous trouverez un exemple simple de règles de résolution de conflit et de responsabilité d’issue alternative dans Le Pool7.

6. Quelles parties des PJ, des PNJ ou du monde, les autres ont-ils le droit de modifier ?

Ou propriétés.

Dans certains jeux, il est interdit de toucher aux personnages des autres, dans d’autres il est possible d’en faire ce qu’on veut ou de faire des propositions soumises à l’examen du joueur qui est responsable du personnage. Dans de nombreuses pratiques, les joueurs semblent avoir une emprise totale sur leur personnage.

Mais ça ne veut pas dire grand chose de manière générale, par exemple si les dés décident des blessures, le joueur ne décide pas de l’état corporel de son personnage. Une propriété facile à appréhender, c’est : les joueurs décident des paroles, actes et pensées de leurs personnages. Du coup, le MJ peut donner leurs perceptions, puisque cela est directement relié au monde. Dans certains jeux, on dira : aucun autre joueur ne peut dire ce que mon PJ dit, fait ou pense. Dans d’autres jeux, c’est plus souple. On parle « d’avoir le dernier mot » : tout le monde peut faire des propositions, mais le joueur propriétaire du personnage a le dernier mot pour garder ce qu’il veut et rejeter ce qui le gêne ou lui déplait.
Il est généralement délicat de tracer une ligne entre personnage et univers : si le joueur contrôle son personnage et le MJ le monde et les PNJ, quand un PNJ blesse un PJ, il y a transgression. Mais ce sont justement ces transgressions qui apportent du piment aux parties. Quand le joueur dit : « je brandis mon épée et je le frappe au visage », l’épée fait-elle partie de son personnage ? Fait-elle partie du monde dès qu’il la lâche ? le visage de l’adversaire ne lui appartient pas non plus. S’il n’a fait qu’exprimer une intention, ça passe encore, mais s’il décide que ça réussit, il a pris possession de quelque chose d’étranger à son personnage…

Conclusion

Ces responsabilités et propriétés peuvent être triturées dans tous les sens. Des choses qu’on laisse habituellement au MJ peuvent être attribuées aux joueurs, c’est de cette façon qu’on est arrivés à des JDR « sans MJ8 » qui fonctionnent vraiment9. Enfin, il faut penser que tout cela affecte considérablement la préparation des parties : ce qui préexiste : scénario, description de l’univers etc. Plus les joueurs ont de possibilités de créer l’histoire et le monde au pied levé, moins la préparation doit être rigide, plus elle doit être conçue comme « faisceaux de potentialités » (matériau malléable, mais fécond d’un point de vue de l’exploration, soit, de la génération de la fiction par le groupe).

1Christoph Boeckle a donné une définition des responsabilités et des propriétés ici : http://www.silentdrift.net/articles/nancy_resume003.pdf

3Un jeu Lumpley games : http://www.lumpley.com/dogsources.html

6Studio Gobz’Ink : http://www.shamzam.net/blog/

7Le Pool de James V. West : http://froudounich.free.fr/PDF/lepool_fr.pdf

8Par « JDR sans MJ », on entend généralement que tout le monde est plus ou moins MJ, ou plutôt que toutes les responsabilités habituellement dévolues au MJ sont réparties entre tous les joueurs.

9Cf. Zombie Cinema, un jeu Arkenstone Publishing : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

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Mise à jour de l’article : 30/09/2012. Correction du chapitre dédié à la responsabilité de révélation.

 

Le JDR est-il une forme d’art ?

Nous avons tenté de déblayer le terrain lors d’un podcast endiablé avec Nicolas et Cyril Vaidis, fondateurs de l’AJRAR, Gaël Sacré, Fabien Hildwein et Raphaël, sans compter l’animateur du podcast : Romaric Briand !

Un sujet complexe pour un podcast vitaminé :

Télécharger le quatrième podcast Hors série sur le blog de la Cellule.