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Mélanie m’a demandé après une partie des Cordes Sensibles :

Quel plaisir doit-on retirer à jouer à LCS selon toi ?

Je vous copie ici ma réponse en l’étayant.

1) Le choix

Le premier plaisir que l’on rencontre est celui d’être mis face à des choix moraux. Généralement, la charge émotionnelle tend à être forte à cet endroit.

Par exemple : dois-je protéger ma sœur au risque qu’elle ne m’aime plus ?

2) La résistance asymétrique

Le choix n’est possible que parce qu’au moins un autre participant cadre une scène en y posant un enjeu en lien avec le personnage.

La résistance asymétrique est ici de trois ordres :

  • La Confrontation : plusieurs participants veulent des choses contradictoires ;
  • La Négociation et le Chantage : celui ou ceux qui jouent l’adversité doivent mettre en balance plusieurs choses importantes pour le personnage, sachant que si le joueur choisit d’en sauver un, il perdra l’autre.
  • La Sympathie et l’antipathie : en développant l’histoire du personnage et ses raisons d’agir, un participant cherche à déclencher la sympathie ou l’antipathie pour son personnage auprès des autres participants. Ceux-ci peuvent le manifester par de la reconnaissance (verbale ou non verbale), mais aussi en récompensant d’un don de cartes pendant qu’un Conflit se joue.

Le fait de pouvoir faire éprouver au joueur des émotions est en soi un vecteur de plaisir pour celui ou ceux qui jouent l’adversité.

3) Les conséquences

Un choix moral ne vaut que parce qu’il produit des conséquences.

Le participant qui est en charge de narrer le résultat d’un Conflit entreprend de déclarer les conséquences immédiates.

Celui qui définit les Retombées établit les conséquences psychologiques du Conflit sur les personnages qui l’ont joué ; cela permet également de marquer l’évolution du personnage au fil de l’histoire.

Celui qui cadre une des prochaines scènes concernant ce personnage pourra mettre en scène des conséquences à moyen ou long terme découlant d’un Conflit, ou simplement d’actions précédentes.

Le plaisir d’éprouver les conséquences de ces choix réside dans la possibilité d’obtenir le résultat escompté ou de le voir nous échapper ; être pire ou meilleur que celui escompté. Ceci est un autre vecteur d’émotions essentiel.

4) Le jugement

Chaque participant en vient à confronter les valeurs de chaque personnage aux siennes. Plus particulièrement son propre protagoniste, mais ce n’est pas le seul.

Nous pourrions faire faire à un personnage quelque chose que nous ne ferions jamais. Le décalage entre sa morale et la notre est également un vecteur d’émotions parfois exprimé sous forme d’un jugement de valeur.

Le jugement est important car il est le témoin du bon fonctionnement des autres points.

5) Éprouver sa créativité

En mettant en scène une situation, en prêtant un discours à un personnage, en décrivant le décor, les individus, les actes des personnages, en faisant émerger des enjeux, Les Cordes Sensibles nous invite à éprouver notre créativité. Dans les grandes lignes comme dans les détails.

Les espaces de créativité fournis aux participants leurs permettent d’avoir leur mot à dire sur l’évolution de l’histoire, des personnages et du contexte.

L’ensemble des points développés ci-dessus est contenu dans celui-ci. Une bonne créativité catalyse l’intensité de la partie dans son ensemble.

Je viens de décrire la démarche créative des Cordes Sensibles. Bien sûr, on pourrait jouer le jeu en prenant son plaisir tout à fait autrement, mais dans ce cas, on n’utiliserait pas le jeu pour ce qu’il a été fait.

Voici des kits de démo, du concentré de nos JDR, de deux à cinq pages :

C’est du prêt à jouer pour des séances très courtes (environ 30 minutes) qui devraient vous permettre de voir ce que ces jeux ont dans le bide. Attention cependant, rien n’est expliqué en profondeur, il vous faudra un peu connaître ce genre de jeux pour être à l’aise avec ces kits de démo.

 

8 ) L’absence de MJ et de scénario ne nuit-elle pas à la qualité des parties et des histoires ?

Je me suis longtemps posé la question et puis au final, et après de nombreux playtests, plusieurs paramètres ont pesé dans la balance :

Le fait de proposer un jeu dont le système se passe de MJ et de scénario m’a permis d’amener le choix du thème de la partie de manière démocratique, ce qui permet aux joueurs d’éliminer les problèmes qui les dérangent.

Le fait qu’il n’y ait pas de scénario permet une totale malléabilité de l’histoire et des évènements et une emprise de tous les joueurs sur celle-ci. Bien entendu, cela ne signifie pas que chacun fait ce qu’il a envie. Le système fait en sorte de mettre les décisions des joueurs à l’épreuve et leur réussite est donc incertaine. Mais cela ne se fait pas sur la moindre action, mais sur un objectif consistant : un « enjeu ».

Personne n’a l’ascendant sur les autres, personne n’a une plus grande part dans la création de l’histoire et c’est ce qui me paraît primordial pour explorer ce genre de thématiques. On ne pourra pas reprocher ses choix au MJ, puisque tout le monde est responsable de l’histoire au final.

L’absence de scénario est palliée par la préparation des personnages : du problème autour duquel va se structurer la partie, du positionnement des personnages par rapport au problème, de la construction de leur personnalité, de leur histoire, de leurs croyances et de leur réactions sur l’opposition cornélienne des valeurs des personnages et de leurs liens affectifs.

Après tout, un scénario de JDR n’a pas besoin de plus.

Ce système amène une dynamique créative des participants les amenant à des situations conflictuelles, les amenant à faire des choix dont les conséquences amèneront de nouvelles scènes.

Le MJ quant à lui est pallié par un partage de son autorité sur l’ensemble des participants. À chaque nouvelle scène, l’un des joueurs à tour de rôle campe une situation initiale, dans laquelle il choisit  qui est en présence et où ça se déroule. Les joueurs jouent alors leurs PJ et lui font des propositions.

Ensuite, le système de résolution des conflits étant d’une parfaite transparence, il suffit à l’arbitrage des conflits.

Un ou plusieurs joueurs, ceux qui ont lu le texte de jeu font office d’animateurs : ils expliquent les règles et les rappellent quand besoin.

Psychodrame ne propose donc pas des joueurs en roue libre autour d’une table qui font semblant de se disputer, mais bel et bien une dynamique narrative induite par le système du jeu, amenant les situation à évoluer de façon fluide et surprenante, car les choix des joueurs et les actes de leurs personnages dépendent tous du jugement produit par les autres joueurs.

De nombreux JDR proposent des systèmes sans MJ et sans scénario : Zombie Cinema de Eero Tuovinen, Polaris Chivalric Tragedy at the Utmost North de Ben Lehman et bien d’autres. Et ils parviennent de manière édifiante à créer une dynamique narrative qui remplace sans problème le MJ et le scénario.

Je me suis beaucoup inspiré de ces jeux pour créer Psychodrame.

 

Suite à un certain nombre de questions pertinentes posées sur les forums rôlistes, je vous propose une petite faq que j’alimenterai si besoin au fil du temps. Les réponses sont celles que j’ai apportées sur lesdits forums.

Faq :

1) Pourquoi proposer un système de gestion des conflits quand le roleplay pourrait suffire ? Le système ne risque-t-il pas de parasiter la narration ?

2) Quel rôle ont joué les théories psychologiques dans la création du jeu ?

3) Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce jeu ?

4) Pourquoi jouer à un jeu qui explore des problématiques humaines sans pur divertissement ludique ?

5) Les joueurs ne se sentent-ils pas mal à l’aise ?

6) Que reste-t-il du « jeu ludique » ?

7) Qu’est ce qui peut intéresser quelqu’un pour qui la création d’histoire n’est pas un centre d’intérêt ?

8 ) L’absence de MJ et de scénario ne nuit-elle pas à la qualité des parties et des histoires ?


 

7) Qu’est ce qui peut intéresser quelqu’un pour qui la création d’histoire n’est pas un centre d’intérêt ?

Mes dernières parties me l’ont clairement montré : le fait d’investir un rôle et surtout, les répercussions des choix que l’on effectue sur l’histoire et le jugement que portent les autres joueurs (et que l’on porte soi-même) sur ces choix.
Comme il n’y a pas l’enjeu de faire une œuvre qui « assure » ou qui soit vendable, les joueurs se concentrent vraiment sur le positionnement de leur personnage et la portée de leurs actes/choix.
On est à mi-chemin entre l’activité de jugement du spectateur de fiction et l’activité créative, qui elle est fluidifiée par le système du jeu.
Le fait que le joueur soit responsable de son personnage et de ses actes et le fait que les conséquences de ces actes soient en partie prédictibles (si je suis gentil avec tout le monde, je sais que ça aura un impact sur les conséquences de fin de conflit), mais très incertaines parce que soumises au jugement et au choix des autres joueurs (c’est ce qu’on appelle la « résistance » du monde : si je lance une balle contre le mur, elle va rebondir, mais je serais bien en peine d’obtenir à chaque fois exactement le même rebond).

Pour développer :

La dimension ludique d’une séance de psychodrame repose sur le fait que le participant est responsable de ses choix, car ils sont soumis au jugement des autres. Cette responsabilité, bien qu’inscrite dans un processus créatif se détache de celle de créateurs d’histoire d’œuvres linéaires, car les participants l’éprouvent quasiment en même temps qu’ils produisent leurs choix.

La dimension ludique est également due à l’incertitude des conséquences de leurs choix : une proposition d’un participant va se heurter au système, mais aussi aux réactions et jugements des autres. Ainsi, le résultat de l’action d’un personnage pourra varier considérablement de ce que son initiateur en attendait, tout comme elle peut être conforme à ses désirs.

Cette résistance crée une implication directe du joueur dans l’histoire par l’intermédiaire de son personnage, car elle produit des enjeux fictionnels  et ludiques : par exemple, « réussir à faire entendre sa colère » (c’est l’enjeu du personnage) => remporter le conflit (c’est l’enjeu du joueur qui crée un parallélisme avec l’enjeu du personnage).

Les enjeux fictifs ramenés au joueur produisent une expérience propre au jeu de rôle.

 

6) Que reste-t-il du « jeu ludique » ?

Le « jeu » n’est plus un jeu ludique, gratuit, divertissant, il se transforme en questionnement moral, de la même façon que devant un film dramatique. Les actes immoraux sont fustigés, ils sont explorés en amenant des dilemmes au joueur (comme au personnage) pour lui demander de faire des choix qui produiront du sens.
C’est un prolongement du « qu’est-ce que j’aurais fait à sa place ». Puisqu’on affiche ce questionnement et on l’expose aux autres, on interagit avec, on utilise ce matériau là et on peut être amenés à évoluer dans notre vision de certains thèmes.

 

5) Les joueurs ne se sentent-ils pas mal à l’aise ?

Ce qui est incroyable, dans mon expérience, c’est les trésors d’inventivité dont peuvent faire preuve les joueurs pour exorciser un éventuel sentiment de malaise.

La spécificité d’un jeu comme Psychodrame, c’est la question de la proximité avec le vécu des joueurs.

Ce que je crois, c’est que tant que le joueur ne se sent pas perturbé par les situations et les thèmes soulevés, la proximité avec son vécu est une force pour ce jeu.
Les parties que j’ai jouées où les problèmes faisaient écho à ceux des joueurs, c’étaient les plus intenses émotionnellement. Mais cela n’est possible que s’il y a une grande intimité entre les joueurs, s’ils sont prêts à se livrer. (Par exemple, des parties que j’ai jouées avec ma femme).

La catharsis à ce moment-là devient une sorte de communion. Le fait de se mettre à nu devant l’autre de cette manière, c’est extrêmement fort. On donne aux autres joueurs une confiance, un regard sur nous, sur notre intimité.
Mais ce n’est pas possible pour tous les groupes.
Quand ce n’est pas possible, les participants y vont de leurs réflexes pour tenir les autres à distance. C’est assez amusant. En convention (ou avec des amis pas spécialement intimes), le jeu est souvent ponctué d’éclats de rire, les parties fonctionnent, mais avec détachement. On porte un jugement sur les actes des personnages, un acte atroce peut amener du rire, mais c’est un rire empreint de cynisme.

 

4) Pourquoi jouer à un jeu qui explore des problématiques humaines sans pur divertissement ludique ?

D’après Aristote et de nombreux narratologues depuis, l’être humain aime porter un jugement de valeur sur les choix et actes des personnages de fiction.
Quand je regarde Six Feet Under, Grey’s Anatomy ou In Treatment, je me dis des choses comme : « quel courage », « quel enfoiré », « quelle grandeur d’âme », « si j’avais su qu’il ferait ce choix-là » etc.
Car il est généralement plaisant, en vertu de la distance que nous confère la fiction, de nous projeter, de faire des liens avec notre vécu.
C’est le « mode dramatique » (et non pas le genre, bien que le genre s’inclue facilement dans le mode, qui lui peut faire partie de films ou de romans dépassant largement le genre). Et c’est grâce à la ressemblance des situations fictives avec celles de notre vécu, mais aussi de la distance que permet la fiction, que la catharsis opère : le recul nous permet d’appréhender ces situations et d’en tirer des leçons et des conclusions qu’il est difficile de produire dans notre vécu à cause de notre implication directe dans les évènements que nous vivons.

Le JDR, ben c’est forcément pareil et différent à la fois des autres médiums.
La catharsis est indubitablement présente lors de parties de JDR.
La différence à mon avis se situe au niveau de l’implication des acteurs.
Pour provoquer un jugement de la part des joueurs (pendant les phases où ils sont spectateurs, ce qui est extrêmement flou en réalité, on passe sans arrêt de acteur/auteur à celui de spectateur dans une partie de JDR). Et c’est là que cela produit une dynamique créative qui peut amener un plaisir, très différent, du coup du plaisir ludique de dépassement de soi, par exemple.

(Parenthèse, ce type de jugement de valeur n’est pas présent dans toute partie de JDR, on peut très bien faire sans).

C’est comme si on était créateurs en ayant un public pour chacune de nos propositions, la différence, c’est qu’on appréhende et on crée l’histoire par l’intermédiaire d’un personnage nous amenant à devoir prendre position dans les situations proposées.
Ce qu’on appelle synesthésie : la relation entre le joueur et son personnage, montre que l’on peut se sentir très loin de son perso et pour autant prendre un véritable plaisir à justifier ses actes immoraux : « qu’aurais-je fait à sa place » même si j’ai besoin de croire que je ne serai jamais à sa place. On fait comme si, et on le sait bien.

 

3) Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce jeu ?

C’est que je me suis longtemps demandé pourquoi je n’arrivais pas à produire en JDR avec les moyens classiques, le type d’intimité que l’on trouve pourtant de façon courante dans le cinéma et la littérature. Dans les films qui m’ont le plus marqué, je compte beaucoup de « drames » j’ai eu envie de faire un JDR qui permettait d’explorer cela.  Si je scénarisais une histoire d’amour, une dispute entre un père et son fils, les joueurs ne s’y impliquaient pas. Il fallait donc leur donner les moyens d’y prendre part et de s’approprier ces situations en leur donnant un cadre minimum et des moyens pour les aider à construire ce type de fiction. C’est lors de la découverte de Dogs in the Vineyard (un JDR américain de D. Vincent Baker) que j’ai compris comment je pouvais m’y prendre (voir question 1 pour plus d’infos à ce sujet).

 

2) Quel rôle ont joué les théories psychologiques dans la création du jeu ?

Concernant l’implication des bases de psycho dans la conception du jeu, c’est assez complexe, ma co-auteure en discussions m’a fourni beaucoup de concepts qui se rattachaient aux questions que je me posais et progressivement cela nous a permis de faire des choix, techniques ou non.
Il y a un petit paragraphe qui liste tout ça au début du pdf (page 6 : Analyse Transactionnelle et autres théories psychologiques).
Mais globalement, il s’agissait de se rendre compte de la façon dont un acte ou une parole pouvait affecter quelqu’un d’autre. Au final, on aurait peut-être pu arriver au même jeu sans ça, mais ça nous a guidé. C’est grâce à cette modélisation, notamment, qu’on s’est rendu compte qu’un conflit pouvait ne pas être nécessairement violent et agressif, mais qu’il pouvait également viser à faire du bien à l’autre, quand celui-ci n’y est pas favorable.
Le plus important, c’est que ce sont les joueurs qui donnent a posteriori du sens aux actes par interprétation de la relation entre les narrations proposées et les Attitudes, Émotions et Traits de leur fiche de personnage.
Puis à la fin des conflits, pour juger ce qui a été le plus important lors de cette séquence et comment cela peut-il affecter les personnages…