Bonjour à tous,

pour la première fois, j’accueille un article d’un autre auteur sur Limbic Systems. Il s’agit de Thomas Munier – auteur de Millevaux, un univers pour le jeu de rôle Sombre, auteur indépendant, animateur du blog créatif Outsider – qui vient nous parler de simplicité.

***

Je vais parler d’un vieux démon. D’une relation amour-haine.

Il est simple d’être complexe. Il est complexe d’être simple. Si la simplicité peut faire beaucoup de bien dans tous les domaines, elle n’est pourtant pas le chemin de moindre résistance. Le domaine du game design n’y fait pas exception.

En tant que bêta-testeur, j’ai accompagné Johan Scipion dans l’élaboration de Sombre, son jeu de rôle pour émuler la peur comme au cinéma. Johan voulait un système « simple, vraiment simple ». Cela lui a pris dix ans.

Quand Millevaux, mon univers d’horreur forestière, est devenu un setting pour le jeu de rôle Sombre, j’ai pu étudier de près le processus. J’ai compris le sens de la citation de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. ».

Les premières moutures de Sombre étaient complexes et prévoyaient de nombreux cas de figure. L’ambition première était d’émuler « tous les genres de la peur ». Cela impliquait de brasser large.

Il y avait entre autres une longue liste de compétences. Quand Johan nous a demandé quelles compétences retirer, nous sommes tombé d’accord sur le fait qu’il était plus élégant de les supprimer toutes.

L’ambition d’embrasser tous les cas techniques s’est effacé au profit d’une autre ambition : Ramener le PJ à la condition de victime d’un film d’horreur. Sombre s’intéressait enfin plus à l’état physique et mental du PJ qu’à ses ressources, dérisoires face à l’adversité horrifique. Ce n’était pas arrivé en décrivant plus finement l’état physique et mental du PJ. Mais en supprimant les compétences, ce signal parasite.

Je commence à développer mon propre système, Inflorenza, pour jouer des héros, des salauds et des martyrs dans l’enfer forestier de Millevaux. Une alternative à l’horreur radicale de Sombre pour explorer différemment le même univers.

Je suis bien décidé à appliquer ces leçons de simplicité.

C’est difficile car la complexité m’est plus naturelle.

Les premières ébauches d’Inflorenza présentaient des conflits gradués, des jetons du MJ, des jetons des PJ. Un conflit se résolvait en séparant les dés du pool qui donnaient des réussites et des complications et les autres dés qui donnaient des indications sur la couleur des conséquences du conflit.

En playtest, c’était compliqué à expliquer et compliqué à retenir. J’aurais pu en rester là. Le jeu de rôle m’a habitué à la complexité. Mais je me suis rappelé pourquoi je développais Inflorenza. Je voulais remplacer mon précédent système pour faire de l’horreur épique à Millevaux. J’étais parti du Basic System. Je l’avais patché à mort pour obtenir un système proche de Anima : Beyond Fantasy. Il faisait le job. Avec ce système, on faisait bien de l’horreur épique à Millevaux.

Mais à quel prix ! Longues soirées de préparation, listes infinies de pouvoir et de matériel, combats joués en plusieurs heures. Mes joueurs devaient être bonne pâte pour accepter tout ça. La plupart du temps, ils faisaient ce que je leur disais sans vraiment comprendre le système.

Alors j’ai élagué Inflorenza. Supprimé les jetons. Supprimé la graduation des conflits. Réintégré les réussites et les complications dans le pool de dés donnant la couleur des conséquences du conflit.

J’ai supprimé encore d’autres choses. Pas de préparation préliminaire. Pas de scénario. Pas de création de personnage. Même pas de MJ. J’ai découvert le plaisir d’être PJ à ma propre table, dans mon propre univers.

J’espère bien que les prochains playtests m’amèneront à supprimer encore d’autres choses. Comme les héros d’Inflorenza sacrifient ce qui leur est cher pour accomplir leur destin.

Cela n’est pas dans ma nature car le jeu de rôle est un medium qui m’incite à la générosité. Pour y parvenir, je dois limiter clairement mes intentions de jeu. Supprimer toutes les parties du système qui s’en éloignent. Je choisis de faire confiance aux joueurs en fournissant juste assez de mécanismes pour servir l’intention et en leur laissant faire le reste. Quitte à prévoir un chapitre de règles avancées pour ceux qui en voudraient plus.

Avant tout, je veux m’inspirer de ce qui se fait de plus simple dans le domaine. Sombre, Barbarians of Lemuria, Corpus Mechanica. Limiter mon système à sa portion congrue : Le plaisir de s’asseoir et de jouer. Des héros, des salauds et des martyrs. Et rien d’autre. Sans fioriture.

Liens :

Sombre : http://terresetranges.net/sombre.php3

Millevaux : http://terresetranges.net/millevaux.php3

Inflorenza : http://www.terresetranges.net/forums/viewtopic.php?id=502

 

5 Responses to La simplicité

  1. ImrryranNo Gravatar dit :

    Louable ambition, j’avoue avoir été moi aussi lassé par les jeux à gros système touffu, voire étouffant.

    Il est vrai que pour jouer en campagne il est plus pratique d’avoir un matériel abondant que pour un one-shot, mais celui-ci peut tout très bien être fourni par des suppléments de contexte. Il n’est nul besoin de règles pour des actions spécifiques comme le proposent la plupart des gammes.

  2. pakNo Gravatar dit :

    Bel éloge de la simplicité ! :-)
    « la complexité m’est plus naturelle » : en fait, je pense que l’on fait « compliqué » pour faire plus sérieux, plus adulte… Il me semble que l’en faisant du compliqué, on cède avant tout à la facilité et à de vaines prétentions faussement intellectuelles. Perso, maintenant, j’apprécie mille fois plus un jeu simple qu’un jeu complexe. C’est peut-être aussi que l’attente n’est pas la même quand on prend de l’âge (même si je ne suis pas très vieux ne fait). Et que vive le minimalisme ! ;-)

  3. Pour un créateur de JDR débutant, je pense qu’il est primordial de chercher la simplicité. L’absence d’un savoir-faire poussé et d’une compréhension pointue du JDR risque de nous entraîner dans un bourbier inextricable. Revoir ses ambitions à la baisse (et garder le gros morceau pour quand on aura suffisamment de bouteille) est salutaire pour tout créateur débutant.
    Ensuite, quand on commence à avoir de la bouteille, on peut commencer à compliquer les choses et à ajouter du piquant dans le système comme l’univers sans que ça ait l’air d’un fourre-tout sans unité.

    Merci encore, Thomas pour cet article !

  4. Thomas MunierNo Gravatar dit :

    Merci pour vos commentaires !

    Quand j’avais fait mon premier système, je suis passé par tous les stades de complexités inutiles. Je multipliais les compétences au lieu de les rendre toutes possibles dans une seule mécanique de résolution de conflit. Je faisais des listes et des tableaux pour tout ; chaque item était une exception à la règle, au lieu de tout faire rentrer dans un système de résolution unifié se nourissant de quelques paramètres. Je concevais des mécaniques spécifiques aux campagnes au lieu de partir d’un système appliquable à toutes les échelles. Je faisais des mini-jeux dans le jeu…

    Je pense qu’aujourd’hui, rien ne vaut un système de résolution unifié. Nobilis est un jeu où les pouvoirs des persos sont sans limite, pourtant le système est d’une simplicité bluffante, adapté à toutes les échelles d’enjeu. Même Shadow Run 4 fait cet effort de tendre vers un système de résolution unique (bon, il y a encore du chemin vers la simplicité absolue…)

    Concevoir un système à deux ou trois modules peut encore convenir. Au-delà, vous perdez la moitié des joueurs de votre table. J’ai adoré le dK system, mais il y a au moins 4 ou 5 modules, des tas de listes… Résultat sur mes 4 joueurs, il y en avait 2 qui kiffaient et optimisaient comme des brutes et 2 que je devais driver de A à Z. Je suis à peu près sûr que ça a nui à leur plaisir de jeu.

    Je veux faire en sorte qu’Inflorenza, pour simple qu’il soit, permette de jouer de façon un peu calculatoire.

    Un conseil : jouez à des jeux de plateau à l’allemande ! Ils regorgent de mécaniques de jeux simples mais à grand potentiel. Une mine d’idée pour le game design des jeux de rôles. Beaucoup de jeux de rôle sont designés à la mode du jeu de plateau ameritrash. Il est temps de s’inspirer de se tourner vers l’Outre-Rhin.

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