Il y a quelques temps, en parlant game design avec une amie, m’est venue cette métaphore à propos de la conception d’un jeu de rôle. Elle explique assez bien ce que je considère comme la base de ma méthode de création de jeux de rôle.

Mais en réalité, ça ne vaut que pour les jeux proposant des parties privées d’une trame narrative préparée à l’avance (ou « scénario »).

En effet, une partie jouée avec un scénario crée une tension par la teneur du scénario (découvertes, scènes conflictuelles etc. prévus à l’avance et conçus pour capter l’attention des joueurs), mais une partie sans scénario ne peut pas se reposer sur une telle charpente, notamment car la potentialité est ce qui fait son intérêt, donc on ne peut pas prévoir que tout ce qu’il va s’y passer sera « digne d’intérêt ».

Quelle que soit l’activité, il nous faut, pour entretenir notre motivation, un horizon, un élan (ou être poussé dans le dos) et un moyen d’action pour surmonter les difficultés.

Je propose d’imaginer la tension d’une partie, entre ça capacité à nous motiver et celle de s’enliser comme faire des ricochets sur l’eau.

1) La première chose, c’est qu’il faut qu’on atteigne un but pour les joueurs – et non les personnages – (équivalent à l’horizon) : la fin de la partie, aux sens d’aboutissement et de finalité. On peut imaginer le game design comme une tentative de traverser une rivière, la berge opposée est donc le résultat du but fixé. Si l’aboutissement est clair, on pourra prendre le chemin le plus court et le meilleur pour y arriver : est-ce qu’on joue pour résoudre une enquête ? Est-ce qu’on est là pour vaincre le mal ? Pour explorer les sentiments humains ? Pour explorer la beauté d’un monde ? Éviter les pièges du MJ ? Être le plus fin stratège ? Rêver ensemble ? Construire à plusieurs une histoire questionnant la moralité des rônin…

2) Ensuite, il faut préparer le coup d’envoi, (équivalent à l’élan) cela passe par définir le rôle des personnages (être un agent de police implique un type d’actions et de réactions de la part des personnages, être un vampire en implique d’autres et ne parlons pas d’être les serviteurs d’un terrible maître…), choisir un objectif, des motivations (qui peuvent puiser dans l’histoire des personnages), mais aussi un événement perturbateur.

Ces éléments peuvent être préparés par le MJ ou par les joueurs (ou être partagés).

Le coup d’envoi est le premier élan donné à la partie, il est déterminant pour le reste de la partie car il donne le ton. Le coup d’envoi doit laisser transparaître des possibilités de fin de partie, même si en réalité elle peut s’avérer très différente de ce que l’on avait envisagé ; un horizon bouché tend à ruiner l’implication.

3) Enfin, intéressons-nous aux rebonds (équivalent aux difficultés et au moyen d’action) : les moments où le galet lancé rebondit sur l’eau. Ce sont les moments où la partie prend des directions inattendues, où des défis, des révélations ou des situations relancent les enjeux.

Si le galet ne rebondit pas, il coule et la partie avec. J’ai assisté à un certain nombre de parties s’enlisant à tel point que les joueurs n’avaient plus aucune envie de poursuivre, il peut s’agir d’une impression de vacuité : « tout ce qu’on fait ne sert à rien », d’impuissance : « on ne peut rien faire » ou de manque de visibilité : « on ne sait pas ce qu’il faut faire/ce qu’on peut faire/ce qu’on doit faire ».

Les systèmes de résolution sont un des premiers moteurs à rebond. Ils permettent de résoudre des enjeux, d’en créer de nouveaux et d’influer sur les prochains enjeux (par exemple, si j’ai vidé ma jauge de points de magie, ça va me compliquer la vie pour les prochains combats).

Les révélations, les rencontres, les épreuves et les « bangs »1 sont les autres principaux moyens de faire « rebondir le galet ».

Il faudra que chaque élément du jeu composant les points 2 et 3 respecte le but choisi au point 1 : je ne mets pas de système de combat à l’épée si mon seul but est d’explorer les sentiments humains ; je ne mets pas de santé mentale façon Cthulhu si je veux de l’épique ; je ne vais pas choisir avant de commencer la partie que je suis psychanalyste si l’on va jouer un jeu purement guerrier ; je ne vais pas jouer une tortue ninja si l’on joue dans l’univers de starwars…

Quand vous créez un jeu, pensez votre game design de cette façon :

À première vue, ça peut paraître évident, sauf que les systèmes de résolution de nombreux jeux ne font pas rebondir le galet, ils ne font que le faire stationner dans l’attente de pouvoir avancer de nouveau. Il arrive souvent que la préparation d’une partie aménage un nombre phénoménal de choses (inutiles), sauf à lancer véritablement la partie, sans parler du fait qu’il est rare d’avoir un but du jeu clair et respecté au long de la partie.

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1« The Technique of introducing events into the game which make a thematically-significant or at least evocative choice necessary for a player. » Technique consistant à introduire des évènements dans le jeu qui imposent un choix nécessaire au joueur, qui fait sens en regard de la thématique du jeu, ou simplement évocateur.

 

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