La situation initiale d’une histoire pose une question et les actes du ou des protagonistes y répondent.

On observe 3 grandes questions particulièrement fréquentes, aussi bien au cinéma qu’en littérature:

  1. Le protagoniste atteindra-t-il son objectif ?
  2. Quel prix devra payer le protagoniste pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ?
  3. On sait que le protagoniste atteindra – ou non – son objectif, comment cela se produira-t-il ?

Développement

Chacune de ces questions oriente l’histoire à sa façon :

1. Le protagoniste atteindra-t-il son objectif ?

L’enjeu principal de ce type d’histoire repose sur l’incertitude de l’accomplissement de l’objectif du ou des protagonistes. Cela signifie que l’échec comme le succès de l’entreprise sont des options valables et intéressantes et que le spectateur n’a jamais d’indices francs sur qui gagnera à la fin.

Ce type d’histoire se centre sur la qualité des moyens déployés par le ou les protagonistes et leurs adversaires.

Les obstacles et adversaires rencontrés tout au long de l’histoire mettent en péril les chances de succès du protagoniste, en l’affaiblissant, en déjouant ses plans, en anéantissant ses chances, en menaçant de révéler son identité, etc.

Les personnages ne démordent pas de leurs positions et de leurs objectifs. Il n’y a pas de place pour la remise en question, sauf éventuellement pour le perdant une fois que le combat est fini.

Le spectateur peut devenir supporter du protagoniste ou de son adversaire. Parfois il n’est pas aisé de déterminer lequel des deux est le véritable protagoniste, auquel cas le spectateur est libre de soutenir celui qu’il veut.

2. Quel prix devra payer le protagoniste pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ?

Rien n’est sans conséquences, le ou les protagonistes devront souvent sacrifier quelque chose ou payer le prix pour obtenir ce qu’ils souhaitent, c’est à dire mettre à mal des choses qui comptent pour eux. À la fin, le prix à payer sera la condition pour atteindre l’objectif final. Toutes les choses commises ou perdues au cours de l’histoire sont généralement une part importante du prix à payer.

Chaque décision prise par le protagoniste est révélatrice de sa moralité qui n’est pas figée, mais se dévoile et peut évoluer tout au long de l’histoire : sacrifier un proche pour sauver le monde, se sacrifier pour protéger ses proches, transgresser une croyance pour préserver son amour, outrepasser des règles pour défendre une idée…

Chaque obstacle ou adversaire est une occasion pour le protagoniste de reconsidérer son objectif final et sa façon d’agir. Les alliés et plus largement les relations du protagonistes sont souvent eux-même des adversaires, car ils peuvent s’opposer à certaines de ses actions, ou la critiquer, pour l’amener à reconsidérer sa position sous un autre angle. Et ce, y compris lorsqu’ils le soutiennent. Ils imposent des contraintes au personnage, parfois même la contrainte de devoir réussir. Son évolution morale donnera tout son sens à sa décision finale.

Les notions de bien ou de mal sont très floues dans ce type d’histoire. Les situations sont suffisamment ambivalentes pour qu’il n’existe pas de solution parfaite. Tous types de fins sont envisageables, tout particulièrement celles qui ne sont pas vraiment bonnes ou mauvaises.

Chaque spectateur est souvent amené à porter un jugement très personnel sur chaque personnage, compte tenu de ses actes.

3. On sait que le protagoniste atteindra – ou non – son objectif, comment cela se produira-t-il ?

L’histoire trahit le fait que le protagoniste atteindra ou n’atteindra pas son objectif. Soit en l’annonçant au début, parfois même dans le titre. Soit parce que le genre de l’histoire est en lui-même révélateur de son issue : bien-pensant, naïf, propagandiste, enfantin, ou au contraire désespéré, nihiliste, etc.

Le ou les protagonistes doivent trouver la clef pour atteindre cette fin promise, ou sont tout simplement pris dans quelque chose qui les dépasse. Ce qui compte, c’est comment ils vont atteindre cette fin, quelle en est la raison.

Les obstacles et adversaires poussent le protagoniste vers la mauvaise voie, mais c’est également eux qui lui offrent l’opportunité de suivre le bon chemin. Dans les histoires où le protagoniste atteindra son objectif, il parviendra à suivre le bon chemin. Dans les histoires où le protagoniste ne l’atteindra pas, il n’y parvient pas.

Ce genre d’histoires sont structurées autour du fait que certaines choses ne peuvent pas arriver : la mort de tous les héros en plein milieu de l’histoire, par exemple, s’ils sont censés réussir.

Dans les histoires ou l’objectif est atteint, le protagoniste suivra le bon chemin ou il apprendra à le faire.

Dans les histoires où l’objectif n’est pas atteint, le protagoniste est condamné, car il représente la mauvaise voie et il ne saura pas changer.

Le spectateur suit le protagoniste vainqueur pour célébrer ce qu’il incarne, les valeurs qu’il représente.

Quand le protagoniste est condamné, sa mésaventure peut fonctionner comme une punition méritée.

4. Structures alternatives

Certaines histoires échappent à cette classification :

  • Quand l’objectif du protagoniste n’est pas clair ou change au cours de l’histoire.
  • Quand l’identité du protagoniste n’est pas claire ou change au cours de l’histoire.
  • Certains genres, comme la tragédie grecque où certaines formes d’avant-garde échappent également à cette classification.

Dans ce cas, la question dramatique peut s’avérer plus complexe ou ambiguë. Ce n’est pas un modèle qui vise à couvrir tous les cas de figure, seulement les plus courants.

Le conflit de valeurs

Chaque personnage d’une histoire représente une idée, défend une cause. La question dramatique est une mise à l’épreuve de ces valeurs via le conflits auxquels ils vont devoir faire face.

1. Atteindre son objectif : les valeurs antagonistes.

Chaque personnage représente des valeurs, par exemple :

Dans Death Note de Tsugumi Ōba et Takeshi Obata, Raito cherche à rendre le monde meilleur en le débarrassant des criminels. L quant à lui traque Raito au nom de la justice, l’histoire est un jeu du chat et de la souris sophistiqué. L’idéal d’un monde sans criminalité de Raito se heurte au sens de la justice de L. Beaucoup rapprochent la position de Raito comme pro-peine de mort, et celle de L anti-peine de mort. Dans Death Note, il est assez difficile de dire qui va gagner, voire qui mériterait vraiment de gagner.

Dans le Cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny, Corwin mène une lutte contre certains de ses frères et soeurs pour découvrir qui veut sa mort. La vérité est toujours plus compliquée qu’il ne semble et entre trahisons et tromperies, les intérêts des différents princes et princesses se croisent, certains cherchant le pouvoir jusqu’à la folie, d’autres défendant un certain sens de l’honneur, et on ne sait jamais comment va aboutir la quête de la vérité du protagoniste, ni même s’il s’en sortira.

Pour que cette question dramatique soit opérante, il faut que les 2 fins, victoire et échec, soient possibles et intéressantes et donc que les camps adverses défendent des valeurs suffisamment complexes et étayées. Le vainqueur du conflit détermine quelle valeur est supérieure.

2. Le prix à payer : aucune valeur n’est fondamentalement bonne ou mauvaise.

Chaque décision importante prise par un personnage impliquant un sacrifice, dévoile une partie de ses valeurs. Le prix à payer n’est-il parfois pas pire qu’abandonner ?

Dans Breaking Bad de Vince Gilligan, Walter White est sans cesse tiraillé entre les dangers de sa vie de fabriquant de méthamphétamine, et la protection de sa famille. Parfois ses actes témoignent d’une forme d’altruisme, d’autres sont bien plus controversés, voire terrifiants et machiavéliques. Le protagoniste va subir des changements importants, entre le brave prof de chimie et le monstre froid et calculateur.

Dans True Blood, série d’Alan Ball (d’après les romans La Communauté du Sud de Charlaine Harris), les protagonistes sont capables de commettre le pire malgré les meilleures intentions du monde. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, les vampires peuvent avoir bon fond malgré leur absence (relative) d’humanité et les humains peuvent commettre de véritables atrocités au nom de grandes valeurs. Chacun fait du mieux qu’il peut, même si ce mieux peut parfois les conduire à s’enfoncer dans une merde noire. Certains peuvent paraître niais, crétins, horriblement manipulateurs ou ignobles, mais tous évoluent, voire changent en profondeur au fil de la série.

3. Comment atteindre la fin prévue : la bonne ou la mauvaise valeur conduit à la fin qu’elle mérite.

Le protagoniste atteint son objectif parce qu’il défend la bonne valeur.

Ou bien le protagoniste n’atteint pas son objectif parce qu’il défend la mauvaise valeur.

Ces deux cas de figure sont souvent conjoints, lorsque le deuxième personnage est l’antagoniste.

Dans Bilbo le Hobbit de J.R.R. Tolkien, le fait qu’il s’agit (à l’origine) d’un livre pour enfant et le genre même du voyage initiatique induisent que la fin sera un happy-end pour le héros. Le titre original lui-même (The Hobbit, or There and Back Again) indique que le héros rentrera chez lui à la fin du voyage. Bilbo, personnage plutôt bourgeois et casanier, parviendra à accomplir sa quête en apprenant à se servir de son intellect. Il incarne donc à la fois l’idée que l’intellect prime sur la force brute et que de petites personnes insignifiantes peuvent faire des miracles s’ils sortent de leur routine.

Dans One Piece de Eiichirô Oda, l’épopée optimiste et le genre du voyage initiatique induisent que le héros atteindra son but. Le but est d’ailleurs répété inlassablement : “devenir le roi des pirates” et les héros finissent toujours par gagner contre leurs adversaires après de nombreuses péripéties. Le héros Luffy représente une certaine forme de pureté morale, d’optimisme débordant, de fraternité, de justice, et de naïveté. Ses ennemis sont fréquemment dévorés par la cupidité, l’orgueil, la vengeance, la cruauté et le héros et ses amis leur mettent une bonne raclée punitive à la fin de chaque arc narratif.

Les héros gagnent parce qu’ils incarnent les bonnes valeurs. Leurs ennemis perdent parce qu’ils incarnent les mauvaises valeurs.

Quand on tente d’imaginer une fin négative à ce type d’histoire, on se rend compte qu’elle n’aurait pas de sens : et si Bilbo se faisait dévorer par Smaug ? Quelle serait la morale ? Et si Luffy se faisait exécuter par la marine ? Pourquoi nous montrer des héros triomphants porteur de bonnes valeurs pour qu’ils finissent comme ça et faire triompher les enfoirés ou les créatures maléfiques d’en face qui n’ont pas l’once d’une vertu ?

Note : Je n’ai pas d’exemple en tête où le protagoniste perd à la fin dans ce type d’histoires, à part Minus et Cortex, le cartoon de Tom Ruegger, ce qui me permet de confirmer l’existence de ce type de structure. Si vous en trouvez d’autres, merci de les noter dans les commentaires.

En JdR

L’hérédité ludique du jeu de rôle tend à le pousser vers “le protagoniste atteindra-t-il son objectif ?”. Beaucoup de rôlistes que je rencontre peinent à envisager des alternatives.

Or il en existe de nombreux exemples de jeux qui épousent les différentes questions dramatiques brillamment, en voici quelques uns :

1. Le PJ atteindra-t-il son objectif ?

En jeu de rôle, cela signifie que le jeu ou le scénario est conçu pour que l’échec comme le succès soit possible et intéressant. Et qu’aucun des deux cas de figure ne soit prévu à l’avance.

Monostatos de Fabien Hildwein propose de jouer des héros en lutte contre un Culte omniprésent. Quand le joueur a dépensé son troisième point de Désir dans le but de progresser vers son objectif de la partie, il le réalise, ce qui équivaut à une victoire. S’il obtient 2 Affaiblissements non soignés, avant d’atteindre son objectif, il se soumet au Culte de Monostatos, ce qui équivaut à une défaite. Il est rare que la soumission se produise, compte tenu des moyens dont disposent les joueurs pour l’éviter. Mais le risque existe tout de même.

En terme de valeurs, les PJ représentent la liberté créatrice, ils sont subversifs, ils sont flamboyants. Le Culte représente le confort, l’apathie et la sécurité, l’aliénation consentie. La soumission d’un PJ au Culte est synonyme d’échec. S’imposer au Culte, le pervertir, le faire reculer, l’écraser est synonyme de victoire.

2. Quel prix devra payer le PJ pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ?

En jeu de rôle, cela signifie que le jeu ou le scénario est conçu pour que le joueur soit incité à faire des sacrifices pour obtenir ce qu’il souhaite et pour que les notions de bien et de mal soient floues.

Dans Apocalypse World de Vincent Baker, le monde est bourré de pénuries, il n’y a pas de gentils et de méchants, chacun s’en sort du mieux qu’il peut, souvent au détriment de quelqu’un d’autre. Quand le joueur lance les dés, s’il n’obtient pas 10+, il doit faire des concessions : “j’obtiens ce que je prends par la force, mais l’autre me tire une balle dans la jambe”. Les joueurs doivent donc souvent choisir entre infliger une injustice ou en subir une à la place. Il n’y a pas d’issue prévue à l’histoire et la fin peut tout à fait être en demi-teinte.

En terme de valeurs, les notions de bien et de mal sont floues et les situations de nécessité et la violence ambiante chamboulent nos repères à ce sujet. Les PJ doivent fréquemment payer le prix ou faire payer le prix de leurs actions. Ils peuvent être de vrais salauds ou avoir quelque chose à défendre : un ami, un membre de la famille, leur honneur, etc. Les joueurs ont toujours le choix, mais c’est souvent entre la peste et le choléra.

3. On sait que le PJ atteindra – ou non – son objectif, comment cela se produira-t-il ?

Certains scénarios avec une fin prévue à l’avance suivent cette question dramatique. Cela fonctionne si les joueurs acceptent de suivre le fil rouge (participationnisme) ou si le MJ les manipule discrètement pour les y amener (illusionnisme).

Dans mon jeu Prosopopée, il n’y a pas de scénario. Au fil de la partie, les joueurs déterminent les problèmes du lieu qu’ils explorent et récoltent des ressources (sous forme de dés) pour pouvoir les résoudre quand ils en auront suffisamment. Peu importe le temps que ça prendra, les joueurs finiront toujours par les résoudre, mais on ne sait pas comment, ni lequel d’entre-eux y parviendra. Quand un joueur échoue, cela signifie que les dés ont décidé que sa manière de faire ou l’origine du problème n’est pas bonne, il faudra en trouver une autre. Les joueurs continuent donc jusqu’à ce que l’un d’eux (ou plusieurs d’entre-eux) y parviennent et établissent donc la manière de résoudre et l’origine adaptées au problème.

En terme de valeurs, les PJ cherchent à rétablir l’équilibre du monde. Ils aident les humains à résoudre leurs problèmes avec la nature et les esprits, nés de leur incompréhension de l’ordre du monde. Ils y arriveront parce qu’ils représentent les valeurs véritables d’altruisme, de désintéressement, d’abnégation, de respect et de compréhension de la nature et du monde des esprits.

Utiliser ces 3 questions

Ces 3 questions dramatiques m’aident beaucoup à concevoir mes jeux : garder à l’esprit qu’il existe différentes structures narratives m’a beaucoup aidé, par exemple lors de l’écriture de Prosopopée, en observant que les épisodes de Mushishi, mon inspiration principale, se terminaient toujours par une résolution du problème (à un épisode près).

De la même manière, si je voulais jouer un voyage initiatique à la manière de Bilbo le hobbit, je ferais en sorte qu’il suive une structure de type 3. On sait que le protagoniste atteindra son objectif, comment cela se produira-t-il ? la fin sera une victoire des héros, on doit le pressentir rapidement. Je bâtirais une mécanique de jeu qui permettrait à l’histoire de toujours rebondir en créant des péripéties sans menacer la fin prévue (comme c’est le cas dans Prosopopée), notamment en empêchant la mort soudaine et non héroïque d’un PJ. Je placerais les valeurs qui me semblent centrales dans cette histoire (voir plus haut) comme élément du système.

Si je voulais jouer une histoire à la façon de Breaking Bad, je choisirais une structure de type 2. Quel prix devra payer le protagoniste pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ? Mais si j’en ai envie, je pourrais également jouer dans un contexte proche de Breaking Bad avec n’importe quel autre des deux types de structures. Mais dans ce cas, il faudra m’attendre à ce que les histoires ne ressemblent pas tout à fait à celle de la série.

Ce qui compte, c’est que je perçois plusieurs structures à présent, possédant toutes un grand potentiel, et que je peux donc diversifier mes expériences et mes approches de conception de jeu (et d’écriture de scénario).

Pour chaque projet de JdR, je me demande quelle est la question dramatique que je veux explorer et comment structurer le jeu pour le faire au mieux. J’espère que ça vous sera utile autant qu’à moi.

***

Avez-vous des questions ou des commentaires ?

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Quelques lectures à l’origine de ma réflexion :

  • John Truby, Anatomie du scénario, Nouveau Monde Éditions (2010)
  • Vincent Jouve, L’effet personnage dans le roman, Presses universitaires de France (1998)

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12 Responses to 3 questions dramatiques

  1. MangeluneNo Gravatar dit :

    Pour une fois, je suis un peu perplexe, moins concernant la partie jeu de rôle que celle qui touche au cinéma. Je ne pense pas qu’on puisse comparer les deux.

    Si l’on en croit McKee (pour citer un autre grand nom de la théorisation scénaristique), tous les scénarios « efficaces » nous offrent un personnage avec un besoin, une succession d’actes déjoués demandant de plus en plus d’efforts, et un final accordant ou non l’objet – conscient ou inconscient – de la quête. Les efforts peuvent être positifs ou négatifs (je comprends mes erreurs et j’essaie de m’améliorer, ou je m’enfonce dedans). Certains personnages croient que leur désir correspond à leur besoin et se trompent, d’autres finissent par comprendre qu’ils n’auront ce qu’ils désirent qu’en résolvant aussi leur besoin, d’autres encore ne sont que désir et n’ont aucun besoin (James Bond en général désire résoudre l’affaire, c’est tout ; il n’a pas besoin de changer et se suffit à lui-même).

    Tous les films au fond doivent nous donner très vite une image mentale de ce qui sera la fin, pour s’y conformer ou la déjouer sans pour autant s’en éloigner de façon trop brutale.

    En ce qui concerne la majorité des films d’action, ceux-ci essaient systématiquement de nous faire oublier que le héros va triompher, que James Bond l’emportera – beaucoup n’essaient même pas de nous surprendre par l’ingéniosité de leur protagoniste. Peut-on rendre cela par un système qui dirait expressément « tu ne peux pas mourir » ? Je suis loin d’en être sûr, hélas. Un tel système serait peut-être l’équivalent d’un panneau « Ne vous inquiétez pas, James Bond ne peut pas mourir » qui clignoterait en permanence au-dessus de l’écran. L’illusionnisme du MJ correspond finalement assez bien à l’illusionnisme du film, qui avec notre complicité, nous fait croire que le héros peut bel et bien mourir dès la première scène.

  2. Hello Vivien,
    Je pense que James Bond entre dans la 3e catégorie. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on sait qu’il va réussir, que les péripéties sont moins intéressantes. Elles portent juste sur une autre question.
    Ce qui me semble fondamental, c’est que la fin de Breaking Bad est relativement imprévisible, celle de James Bond est évidente. Cela n’empêche pas d’apprécier le deuxième pour la qualité du héros à mettre en œuvre des actions pour atteindre cette fin prévue. Le film ne nous dit pas forcément en permanence « ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer », mais James Bond est un héros qui ne peut pas échouer. Le scénario et la mise en scène peut jouer sans arrêt avec l’idée qu’il peut mourir ou échouer, mais le ton de l’histoire n’est résolument pas le même qu’un Breaking Bad, il est bien plus optimiste.
    On pourrait le comparer avec bien d’autres films et séries et noter la différence majeure entre ces deux types de questions dramatiques.

  3. Pernic N.No Gravatar dit :

    Quoi?! James Bond? Dans la 3eme catégorie? Pas du tout d’accord Maître Yoda… euh Maître Fred ;)

    Moi j’inventerai une Xeme catégorie (un mixte entre la 2 et la 3), en clair :

    le héros DOIT payer un prix pour parvenir à son but, mais au lieu de ne pas savoir s’il va le payer ou non (car il va réussir donc va payer) on ne sait juste PAS quel sera ce « montant »/ »prix » à payer.

    Je trouverai extrêmement injuste, et mal analysé, de catégoriser James Bond comme un simple « rouleau compresseur » de la gagne. Sans définir plus en avant la psychologie, et les implications sur son Personnage…

    Bond gagne, certes, c’est un fait, mais derrière l’armure d’arrogance, de provocation, de froideur, de séducteur/alcoolique/aux méthodes peu conventionnelles (biffez les mentions inutiles) c’est surtout l’histoire « classique » du Héros « qui évolue au fil du temps et des péripéties »…

    Petit à petit, l’armure et la suffisance s’effritent et on découvre les blessures, ce que cela lui a coûté… pour devenir « James Bond »… et ce n’est pas « sans coût »… loin de là.

    Certes, Bond ne meurt pas, c’est à lui que revient le privilège « de vaincre »… mais à quel prix? Je vous pose la question? Oseriez-vous réduire toute la filmographie à juste « il arrive, séduit la fille, fait tout péter et repars victorieux »? Vous n’auriez pas confondu avec « Le Transporteur » par hasard?

    Bond, certes, gagne, mais il y a TOUJOURS un prix à payer pour lui. Et c’est souvent les gens qui lui sont proches qui vont devoir en être les victimes. Alors, oui, il ne va pas mourir, mais le destin qui l’attend est probablement pire. Car il va devoir survivre à tous ceux qui lui sont proches, et qui « lui permettent cette victoire ».

    Le prix, il le paye « à sa manière », en sacrifiant les gens qui comptent réellement pour lui (sa femme, sa supérieur hiérarchique, la femme qu’il séduit et détourne du grand méchant, sa collègue de travail, son meilleur ami/allié). Parfois même, dans certain volets, c’est tout simplement son innocence qu’il doit perdre, pour devenir « aussi dur » que ceux qu’il combat.

    Bond ne paye pas les blessures en « points de vie » (pour parler en terme de rôliste) mais en « points d’humanité »… ses victoires ont un coût, parfois même terrible, rendant ses victoires amères…

    Donc, je ne suis pas d’accord pour sa classification en 3eme catégorie, car « un prix » il VA le payer, c’est certain, il est même parfois très lourd. Il ne sait seulement jamais à l’avance à quelle hauteur sera « ce prix »… avant que cela ne survienne.

    • Hello Pernic,
      alors je ne peux pas te répondre plus loin car ça fait des lustres que je n’ai pas vu un James Bond.

      Mais il faut garder à l’esprit que dans la plupart des fictions qui répondent vraiment à la 2e catégorie (pour te donner un autre exemple : Six Feet Under), le prix à payer et le sacrifice sont le cœur de questions morales où les notions de bien et de mal sont floues. La souffrance des protagonistes et les dilemmes sont souvent au centre de ces histoires. C’est un ensemble de choses qui font une catégorie, pas un élément isolé. Tu trouveras dans beaucoup d’histoires des instants de sacrifice, mais si ce n’est qu’un moment isolé, ça n’en fait pas un hybride.
      De plus, je ne tiens aucun jugement de valeur sur ces catégories et dire que tel film ou tel roman est dans l’une de ces catégories ne le rend pas moins bon ou intelligent. Est-ce OK ?

      En revanche les hybrides existent probablement bel et bien. Je regarde la série Dowton Abbey en ce moment et j’ai du mal à déterminer si elle appartient à l’une de ces catégories et si oui laquelle. De même pour « 2001 l’odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick ou le roman « La course au Mouton Sauvage » de haruki Murakami. Et c’est une bonne chose.

      Donc oui, les hybrides existent, ce n’est pas nouveau d’ailleurs. Cet article ne vise pas à faire des petites cases, mais à ouvrir à l’idée que l’on peut concevoir un JdR de nombreuses façons, l’idée qu’on peut réussir ou perdre ne convient pas à tous les types d’histoires.
      Et je le répète : il n’y a aucun jugement de valeur.

  4. Pernic N.No Gravatar dit :

    T’es trop fort Maître Yoda… on peut même pas « te troller » ou faire semblant de polémiquer, tu te laisses jamais piéger toi:P

    C’est pas drôle… j’ai échoué, une fois de plus (comme « Cortex » & « Le Coyote »)

    « je l’aurai un jour… je l’aurai… » (slogan bien connu)

  5. Doc DandyNo Gravatar dit :

    Est ce que le cas numéro 3 n’est pas une faiblesse en jdr?
    C’est comme ces jeux où on sait qu’on ne peux pas mourir, il manque une forme d’enjeu ludique.
    Cela pose plein de questions: qu’est ce qu’on risque?
    Il y aura-t-il une résistance à nos actions?
    Sinon à quoi ça sert (à part passer un bon moment)?

    • Salut Alban,
      J’avoue qu’avant de créer Prosopopée, j’avais du mal à accepter que cette structure d’histoire soit viable théoriquement en JdR. C’est en appliquant à mon jeu la structure de l’animé Mushishi que je me suis rendu compte que ça pouvait très bien fonctionner (alors que je n’en était pas convaincu moi-même a priori).

      1) Tout d’abord, la fin d’une histoire n’est pas forcément son enjeu le plus important. Avant d’y parvenir, les héros peuvent essayer, rater, essuyer des défaites, être maltraités, causer des pertes dans leur camp ou auprès de civils et d’innocents. Et Certains peuvent même mourir en cours de route. C’est acceptable tant que ça n’empêche pas de poursuivre et de terminer l’histoire.
      Les héros peuvent évoluer moralement, perdre des choses (un allié, un objet auquel ils tiennent, etc.), aggraver la situation…
      On peut même envisager que l’adversité soit très difficile à vaincre, mais que ce qui compte, c’est la manière d’y arriver et peu importe le temps que l’on y mettra.

      2) Dans Prosopopée, chaque échec produit des répercussions sur la nature des problèmes et les ressources des PJ. Quand un joueur échoue, cela signifie que la façon dont il a essayé de résoudre le problème n’était pas la bonne et qu’il faut l’appréhender différemment. Ça crée de l’histoire (on ne reste pas bloqué indéfiniment au même endroit, ça crée des péripéties).

      3) Mais tu as beau savoir que tu vas résoudre tous les Problèmes dans ce jeu, tu ne sait pas quelle sera l’histoire, ni comment tu vas les résoudre, ni quel sera le dernier, ni quel sera l’épilogue, ni s’il y aura besoin d’un sacrifice, ni si les dégâts sur les communautés humaines vont s’amplifier. Ça laisse beaucoup de place à la surprise et au suspense (et Prosopopée est loin d’être un jeu qui sclérose les libertés des joueurs). De plus, il y a un véritable enjeu esthétique et contemplatif qui compense largement l’absence de compétition et qui n’existerait pas s’il existait une possibilité d’échec (et Prosop’ n’est pas un jeu en mode Auteur).

      4) Il y a beaucoup à creuser en dehors de l’objectif final : (tout ce qui conduit à la résolution d’une enquête, par exemple et tout ce qui conduit à la compréhension d’un mystère ésotérique, etc.)

      5) Il faut dissocier l’échec et la mort. Il y a tellement plus intéressant à faire perdre aux joueurs des choses auxquelles ils tiennent, plutôt que les mettre hors jeu en tuant leurs PJ. De plus, un PJ peut mourir sans que cela n’entrave la progression de ses camarades vers la fin de l’histoire. Le joueur en crée un autre et on continue. La mort de son précédent PJ n’était qu’une péripétie, mais peut constituer un véritable enjeu pour le joueur.

      6) Une bonne partie des jeux qui suivent cette structure dramatique se jouent dans l’idée que ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyage.

      7) En cinéma et littérature, la plupart des épopées, des contes et des quêtes initiatiques suivent cette structure. En JdR, la plupart des scénarios qui prévoient leur fin et qui sont joués de façon participationniste suivent un tel schéma. La plus grande difficulté est de produire de vrais enjeux intéressants : créatifs, contemplatifs, découvertes mystiques, célébration d’un genre, etc.

      8) Et je constate que beaucoup de parties de JdR qui proposent une possibilité d’échec ne fonctionnent pas toujours très bien (que ce soit parce que les PJ meurent au milieu de la partie, parce qu’une victoire d’un antagoniste maléfique n’a pas d’intérêt ou de sens, etc.). L’idée que la fin soit courue d’avance (bien que couramment pratiquée) est rarement servie par un système approprié. Et la défaite des PJ devient fade, frustrante, sans intérêt.

      Ce qui est amusant, c’est qu’en discutant de cette théorie, il y a parfois une structure qui ne convient pas à quelqu’un, et ce n’est pas toujours la même. Celle dont on parle peut être difficile à comprendre, notamment parce qu’il existe peu d’exemples de jeux qui la soutiennent et qui en font une véritable démarche, avec une vraie richesse.
      La prouesse, c’est d’arriver à jouer selon cette structure en évitant toute forme de dirigisme et de faire en sorte que le fait que la fin soit prévue n’étouffe pas tous les enjeux.

  6. GnomeNo Gravatar dit :

    Je me demande si en fait il n’existe pas que le type de scénario numéro 3 (en média classiques, non interactifs)après tout, le scénariste sait (a priori) quel type de fin il veut donner à son histoire.
    De fait, ce qui change entre les scénarii 1,2 et 3, c’est le niveau d’illusionnisme du scénario.

    Dans Bilbo, le genre est là comme un panneau pour nous dire: c’est une histoire optimiste, tout va bien se passer. Breaking Bad, par contraste, créée un cadre bien plus ambigu ;mais vu les choix que fait le personnage, cette fin est en réalité inévitable. La façon dont est raconté l’histoire, en revanche, nous fait croire qu’une autre issue est possible.

    Bien sûr je ne fais peut être pas une lecture charitable de ton article, mais il me semble important de mettre en avant ce point:
    Le type de structure ne change pas :
    en gros, on a juste le protagoniste gagne/le protagoniste échoue; et comme une histoire comporte toujours un débat moral, les valeurs du gagnant sont validées, et celles du perdant invalidées: la victoire est toujours conditionnée par la supériorité morale. Avec souvent l’idée qu’il faut traverser une transformation pour « gagner », ce qui revient aux enjeux 2: quel choix/ sacrifices va faire le personnage. S’il sacrifie la valeur maîtresse qui sépare, selon le créateur, le bien et le mal, alors le protagoniste échoue. S’il sacrifie ses faiblesses, se débarrasse de ses failles, il gagne.

    C’est la narration qui va mettre l’accent sur tel ou tel enjeu, telle ou telle incertitude. Avec le ton, optimiste ou sombre, ou chargé de suspens, le récit porte notre attention davantage en direction de telle ou telle question.
    quant à retranscrire ça en JDR…

    • Bonjour Gnome (Maxime ?),
      Plus haut dans les commentaires, Vivien (Mangelune) parlait de ce modèle de McKee.
      Je le trouve tout à fait intéressant, mais je n’y souscris pas vraiment.

      Pour moi, quand on écrit une histoire, il y a deux enjeux structurels :
      – Les notions de bien et de mal sont-elles tranchées ou la limite est-elle floue ?
      – L’auteur nous donne-t-il des indices évidents sur l’issue de l’histoire ?

      Si la frontière entre bien et mal est floue, on tombe généralement dans la structure numéro 2 : les situations et les actions des personnages soulèvent des enjeux moraux, parce qu’il n’y a pas de repères transcendants de ce qui est bien et de ce qui est mal. C’est donc aux personnages de construire leurs propres valeurs.

      L’idée de prix à payer devient fort parce que les enjeux reposent sur ce qui compte pour le personnage : ses relations, ses croyances, etc. Si un choix se porte sur « sacrifier ses munitions ou ses vivres, ça n’a pas d’enjeux moraux, seulement tactiques. Et certaines fictions linéaires exploitent très bien ces enjeux tactiques (je pense à certains mangas comme Death Note ou Hunter X Hunter, mais aussi certaines œuvres occidentales : pour moi c’est le cas du Cycle des Princes d’Ambre de Zelazny).

      Ensuite, si les questions de moralité sont tranchées, il y a deux façons d’approcher la fiction : soit en annonçant la fin (cf. Bilbo le hobbit, structure n°3), soit en semant le trouble sur les issues possibles (cf. Death Note, structure n°1).

      On peut toujours dire a posteriori que la fin de chaque fiction était la seule possible, mais en tant que spectateurs/lecteurs, on ne le sait pas forcément avant qu’elle n’arrive, tout simplement parce que plusieurs choix sont possibles et leurs conséquences valables pour l’histoire. Certes la fin de Breaking Bad est soufflée par les thématiques de la série et par son genre (et même son titre), mais on peut s’attendre à bien autre chose. Bien malin qui pouvait dire avec certitude l’issue de tout cela). Idem pour Le Parrain, pour The Wire, pour Madame Bovary. De plus, dans ces derniers exemples, le débat moral n’est pas si tranché que cela. Je serais bien curieux de lire toutes les hypothèses contradictoires sur qui est le vainqueur du débat moral à la fin de Madame Bovary. Et c’est parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un match de boxe entre deux visions du monde (ou plus) que Madame Bovary est un chef-d’œuvre. Même dans Hamlet : obtenir vengeance en mourant soi-même, c’est d’une totale ambiguïté morale. Est-ce une victoire de la cause de Hamlet ? Bof… C’est trouble comme réponse et c’est ce qui fait sa force.
      L’idée qu’une histoire est un match entre plusieurs valeurs morales soutenues par les personnages, le vainqueur du conflit imposant sa valeur me semble très hollywoodienne. Les histoires qui échappent à cette idée sont souvent de la structure n°2.

      Whiplash, que j’ai vu au cinéma récemment, jusqu’aux tous derniers instants, j’étais incapable de dire comment ça allait se finir. Certaines hypothèses me semblaient pauvres, mais rien ne me disait qu’elles n’allaient pas être bien exploitées tout de même.

      Même exemple pour Treme de David Simon : il s’agit de portraits de gens normaux. La fin de la série tourne d’une façon pour chaque personnage qui n’est absolument pas une réponse au Grand Plan du scénariste. Il s’agit d’une fin en nuances, faite de contingences, le monde n’est pas changé, il n’y a pas de vainqueurs.

      Ce qui me paraît limité dans la vision de McKee, c’est qu’il cherche à englober toutes les fictions (linéaires) dans un seul schéma. Je ne pense pas que ce soit possible, à moins de rester très vague et du coup de proposer un modèle sans substance et sans intérêt.
      Mon modèle (qui est au carrefour de plusieurs théories, allant d’Aristote à John Truby en passant par Vincent Jouve et très empreint d’une détournement assumé des modèles de Ron Edwards) a pour but de présenter certaines différences fondamentales dans les fictions, articulées autour de ces deux pivots : prédictibilité et tension morale (les notions de bien et de mal sont-elles tranchées ?).

      Il existe sans doute bien d’autres possibilités (beaucoup de romans sont particulièrement facétieux à ce sujet), mais je pense que ça constitue une bonne base.

  7. Pourquoi dis-tu que la tragédie ne répond à aucunes de ces questions ? J’aurais envie de dire qu’une tragédie repond à la troisième question. On sait que le protagoniste n’arrivera pas à échapper à son destin, comment cela se produira-t-il ?
    Là aussi on exhorte une vertu cardinale d’une culture : la suprématie des dieux sur le destin des mortels.

    • Tu as parfaitement raison Mathieu ! En fait je n’ai rien de plus à ajouter. Je me suis montré un peu frileux à aborder la tragédie (bien que j’en aie lu un peu quand même), mais parce que mon analyse de ce genre s’arrête là. :)
      Encore merci pour ton apport à cet article.

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