Une technique en soi n’a aucune valeur, c’est sa relation aux autres qui en fait son intérêt et la qualité du jeu. Elles s’imbriquent les unes aux autres sur différents niveaux du système.

Tout d’abord, définissons le terme « Technique » en jeu de rôle :

Specific procedures of play which, when employed together, are sufficient to introduce fictional characters, places, or events into the Shared Imagined Space. Many different Techniques may be used, in different games, to establish the same sorts of events. A given Technique is composed of a group of Ephemera which are employed together. Taken in their entirety for a given instance of role-playing, Techniques comprise System.

Procédures de jeu spécifiques qui, employées ensemble, suffisent à introduire les personnages fictifs, les lieux ou les évènements à l’intérieur de l’Espace Imaginé et Partagé. Des Techniques variées peuvent être utilisées dans différents jeux, pour établir le même type d’évènements. Une Technique donnée est composée d’un groupe « d’Éphémères » utilisés ensemble. Prises dans leur intégralité au cours d’une session de jeu de rôle, les Techniques constituent le Système.

(définition du Provisional Glossary)

Voici les différents niveaux d’un système :

  1. Les mécaniques incitatives

  2. Les boucles

  3. Les embranchements

  4. La dérive

  5. Le système

1 – Les mécaniques incitatives

Les mécaniques incitatives sont composées de plusieurs techniques qui s’imbriquent par des enchevêtrements de nécessités, de moyens, des risques et de récompenses.

Je vais prendre comme exemple un de mes jeux en développement : Rônin.

Prenons une imbrication de techniques :

Dans Rônin, les Conflits sont fréquents.

  • a) pour augmenter ses chances de remporter un Conflit, il faut bien se nourrir ;

  • b) pour se nourrir, il faut réaliser les boulots proposés par les habitants.

Pour comprendre la manière dont les techniques composent les mécaniques, voici un développement : par défaut, un joueur lance 1 à 3 dés pour résoudre un Conflit. Il additionne ses deux dés les plus forts ; s’il surpasse la difficulté posée par le MJ, il gagne, autrement, il reçoit une « complication » (faisant office de dégâts, de risques, de problèmes etc.). La réserve de satiété compte de 0 à 5 dés. Quand un PJ se nourrit, la réserve augmente. Il peut utiliser ses dés pour augmenter ses chances de succès en Conflit, mais chaque dé utilisé est perdu.

Le principe fondamental de la mécanique incitative, c’est d’appeler les participants à adopter un certain comportement pendant les parties.

Dans Rônin, les joueurs ne sont pas obligés de se concentrer sur les boulots en fonction de la récompense (les primes et les repas), mais ça aura pour conséquence de les affaiblir face à l’adversité.

2 – Les boucles

Plusieurs mécaniques s’alimentent mutuellement.

Toujours dans Rônin, prenons une autre mécanique très liée à la précédente :

  • c) les boulots exigent bien souvent des Conflits ;

  • d) plus la situation progresse et plus les Conflits sont dangereux, donc plus les échecs seront graves (ce qui augmente le besoin de se nourrir) ;

Voici donc un schéma de la manière dont ce dernier segment se relie au précédent pour former une boucle.

3 – Les embranchements

En fonction des jeux, les embranchements peuvent revêtir différents aspects ; ils sont différents chemins que peuvent prendre les séquences de jeu.

Voici un embranchement que l’on trouve dans Rônin :

  • e) la préparation du MJ consiste à amener des choix mettant à l’épreuve la valeur du PJ (il s’agit d’un Trait qui crée des conséquences négatives quand il est transgressé) et le sens moral du joueur ;

  • f) si le joueur transgresse la valeur du PJ (pour satisfaire son propre sens moral ou pour obtenir des points de satiété), il écope d’une complication automatique ;

  • g) si le joueur respecte sa valeur à tout prix, il risque de commettre des actes immoraux d’une autre nature.

Mais un embranchement peut tout aussi bien être :

  • h) il y a deux issues possibles à un Conflit :

  • i) gagner : l’action du PJ est un succès, celle de son adversaire échoue ;
  • j) perdre : l’action du PJ échoue, celle de son adversaire est un succès.

Notez cependant qu’un embranchement doit toujours découler d’un choix du joueur ou d’un effort pour aller dans un chemin plutôt qu’un autre.

Dans d’autres jeux encore on peut trouver :

  1. un personnage résoudra le problème ;

  2. qui sera-t-il parmi les PJ ?

  3. De quelle manière le fera-t-il ?

4 – La dérive

La dérive consiste en un ou plusieurs chemins que les joueurs devraient chercher généralement à éviter, ou a choisir par sacrifice.

Il s’agit des risques qu’encourent les PJ, de menaces, de fautes etc.

Par exemple voici une dérive que l’on trouve dans Rônin :

  • k) en perdant un Conflit, en transgressant une valeur ou en faisant une promesse, les joueurs écopent d’une « complication » ;

  • l) au bout de trois complications, le joueur obtient un point de « déchéance », ce qui permet au MJ de lui faire subir une affliction, touchant son intégrité physique, psychique ou sociale ;

  • m) au bout de quatre points de déchéance, le personnage est définitivement perdu, le joueur raconte sa fin : il peut mourir, perdre la raison, s’exiler etc.

La dérive tend à créer une attraction, il s’agit d’un pôle du système. L’autre pôle est la résolution positive des objectifs des joueurs.

5 – Le système

Le système est composé de tout cela : un ensemble de boucles et d’embranchements eux-mêmes composés de mécaniques incitatives, elles-mêmes composées de techniques.

Le présent schéma représente un assemblage de toutes les mécaniques du jeu Rônin décrites dans les paragraphes précédents. Le système décrit ici n’est pas complet, mais son squelette est déjà en place. Les astérisques symbolisent les points à développer, certains peuvent être reliés à d’autres. Il manque notamment un développement des issues positives qui permettent aux joueurs d’atteindre leurs objectifs, mais dans ce jeu, leur seule présence suffit à son bon fonctionnement, quand dans d’autres jeux, il faut des mécaniques incitatives complexes pour motiver les joueurs à aller de l’avant.

Enjeux

Tout cela permet de mettre en relief les enjeux principaux que le système induit dans les parties.

Un système possède des enjeux « dominants » et des enjeux « toniques ». En peinture, la couleur dominante est celle qui est la plus présente sur la toile, la couleur tonique est moins présente, mais indispensable, c’est grâce à l’une que l’autre prend toute sa dimension.

En jeu de rôle, j’utiliserai ces termes pour parler de l’importance effective (et non leur récurrence) de ces techniques dans le fonctionnement de la partie, c’est à dire en tant qu’elle constitue l’enjeu premier des joueurs pour la dominante et l’enjeu moindre mais nécessaire pour la tonique.

Prenons l’exemple de Sens Renaissance :

  1. le joueur sera jugé par le MJ pour l’interprétation de son personnage et gagnera des points d’immersion positive ou négative ;

  2. le joueur est donc incité à développer le canon de la fiction tout en la respectant ;

  3. les faits qu’il a créés avant de jouer sont un très bon terreau pour trouver l’inspiration et un très bon guide pour rester dans les clous.

Il s’agit là de l’enjeu dominant.

  1. Lorsqu’une épreuve a lieu, le MJ confronte le score de rune (équivalent aux caractéristiques) à celui de son adversaire ;

  2. en fonction de l’action que narre le joueur ;

  3. il peut réussir ;

  4. ou échouer.

Ceci est en réalité un enjeu tonique car cette mécanique a beau être fréquemment utilisée et ainsi, paraître centrale, les résultats sont courus d’avance puisque le MJ compare des scores fixes. Les joueurs n’y éprouvent donc aucun enjeu (contrairement à ce que la fiction suggère) puisqu’ils ne peuvent pas en changer le dénouement (sauf en utilisant une forme de miracle et en acceptant une sanction ou des ombre-pouvoirs (forme de magie) seulement dans les circonstances adaptées).

Les Caractéristiques (runes) et les traits (faits) agissent ici comme un normalisateur de comportement, le joueur en s’y référant conforme son personnage.

Bien sûr, la liberté d’action demeure grande, mais les enjeux des joueurs se situent à ces deux niveaux et non pas dans l’exploration des conséquences de leurs actes. Le fait que certains évènements importants durant les parties soient contrôlés par le MJ, prévus à l’avance et immuables renforce l’anesthésie (volontaire) de ces enjeux fictifs.

Un game design doit comporter des enjeux dominants et toniques pour orienter correctement les joueurs dans l’ensemble des propositions du jeu : les uns s’effacent légèrement pour mettre en valeur l’enjeu dominant.

 

2 Responses to Les niveaux d’un système

  1. […] ensemble et voir comment les choses s’articulent. Et pour cela, je vous invite à lire cet article de Frédéric Sintes sur les niveaux d’un système de […]

  2. […] peut se poser: qui dit quoi, quand, comment, qui tranche les conflit, comment, etc. ? (PS: voici un autre article du même gus, pour la détente, sur les niveaux d’un […]

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