Les bokoblins sont organisés, intelligents, leur artisanat est sommaire, mais efficace, par contre, ils sont pris d’une irrépressible envie de vous tuer quand ils vous voient. Oker…

Il y a peu, j’ai mis un terme à ma partie de Zelda Breath of the Wild, qui aura duré plus de 300 heures afin d’essayer de finir le jeu à 100%.

Autant dire que j’ai beaucoup apprécié le jeu, ses défis, sa maniabilité, mais j’ai rapidement été pris d’un léger malaise. J’écris ce billet d’humeur comme un simple constat des différences entre deux œuvres que l’on présente comme proches, mais s’avèrent selon moi diamétralement opposées, sur certains points tout du moins.

Il faut dire que je m’étais engagé dans l’aventure avec l’idée d’un Princesse Mononoké interactif qui me faisait fantasmer au plus haut point (l’œuvre de Hayao Miyazaki faisant partie de mes préférées hors catégorie). Et je ne pense pas me tromper en prétendant que cette référence est probablement assumée par ses créateurs1 (ou au moins par l’équipe marketing de Nintendo). Bien entendu, s’inspirer d’un film d’animation ne signifie pas tout copier et c’est justement sur ces différences que j’aimerais porter votre attention.

Excuse-moi, splendide dragon que je viens de sauver, mais j’ai besoin de tes écailles, cornes et griffes pour améliorer mes armures…

Et là je dois dire que j’ai vite été refroidi. Si Zelda BotW parvient à restituer une part du merveilleux du film d’animation (cf. la capture d’écran ci-dessus), il échoue assez lamentablement à saisir l’esprit et les valeurs qui imprègnent l’histoire de son modèle2.

Voici donc ce que j’aurais aimé trouver dans ce jeu et qui m’a cruellement manqué (attention, ça va spoiler méchamment Zelda BotW comme Princesse Mononoké, vous êtes prévenus).

<3

Des personnages en nuances de gris

Dans Princesse Mononoké, aucun personnage n’est véritablement bon ou mauvais et Miyazaki évite soigneusement tout manichéisme. Si l’on prend l’exemple de Dame Eboshi, elle est impliquée dans la destruction de la forêt et la guerre contre Okkoto le sanglier et va même jusqu’à tuer le dieu-cerf, mais en tant que cheffe des Forges, elle offre des conditions de vie décentes aux laissés pour compte et aux lépreux qu’elle a recueillis. Ses actions contre les créatures de la forêt sont motivées par sa volonté de préserver la communauté qu’elle a bâtie. Et tous les personnages engagés dans ce conflit sont complexes et nuancés.

Dans Zelda, Ganon représente le mal corrupteur face auquel tentent de survivre les peuples d’Hyrule. On est dans une justification classique de la lutte du héros contre un mal que l’on ne peut raisonner. C’est plus ou moins tout ce que Princesse Mononoké refuse : ses démons naissent du poison contenu dans le métal des munitions des arquebuses fabriquées dans les forges humaines. Ashitaka, le protagoniste, cherche par tous les moyens à stopper un conflit enraciné où chacun a trop à perdre, quitte à se sacrifier. Il va même réussir à faire douter San, l’humaine élevée par des loups, du bien fondé de ses actes.

Un personnage à la fois admirable et terrifiant.

Une fable écologique ?

Princesse Mononoké parle de la vanité et de l’insatiable avidité des humains, les poussant à exploiter leur environnement jusqu’à épuisement des ressources et à défier les dieux. Face à leur technologie, à leur malice et à leur nombre, les animaux de la forêt sont condamnés.

Zelda BotW aborde timidement les thématiques de l’écologie, à travers un dragon corrompu par Ganon, des bokoblins qui laissent des tas d’ordure sur leur campement et le fait que ce sont les anciennes technologies sheikah que Ganon a retournées contre les peuples d’Hyrule, provoquant un cataclysme.

Les lynels sont des créatures sauvages qui, lorsqu’on en croise pour la première fois nous font mouiller notre pantalon. Visiblement, ils savent forger des épées, des boucliers et des arcs fumés, mais je me pose de sérieuses questions sur leur reproduction…

Au cours de ma (longue) partie de Zelda, j’ai braconné des animaux sauvages, combattu pléthore de lynels pour récupérer leurs viscères afin d’améliorer mon équipement et récupérer leurs arcs et armes, tout en suivant la quête principale et en résolvant les énigmes prévues (à noter que la liberté qu’offre le jeu est délectable). Autrement dit, j’ai l’impression d’avoir juste été l’instrument d’une quête à sens unique qui ne pouvait pas se finir autrement que par ma victoire sur Ganon, là où Ashitaka doit sans cesse lutter pour tenter de convaincre Okkoto le sanglier, Moro la louve, Dame Eboshi et les autres de déposer les armes, sans succès, ce qui conduit au carnage auquel il assiste – impuissant – et qui ne prend fin que lorsque le Dieu cerf disparaît après avoir semé la désolation pour récupérer sa tête volée par Jiko Bou, l’émissaire de l’empereur.

Dans l’œuvre de Miyazaki, les protagonistes survivent à un cataclysme causé par des humains au prix d’innombrables morts. Quand le générique tombe, un terrible sentiment de terreur et de gâchis m’envahit à chaque fois que je le regarde. C’est là que l’impression que j’ai passé le gros de mon temps dans Zelda à massacrer des monstres sans foi ni loi pour améliorer mon équipement et braconner pour concocter des remèdes et obtenir des morceaux d’écailles, de griffes et de cornes sur un dragon que j’avais juste avant sauvé de la corruption de Ganon me submerge…

Ne vous y trompez pas, j’ai adoré jouer à Zelda Breath of the Wild, j’ai juste été déçu quand j’ai réalisé le fossé entre le propos de ce jeu et le film d’animation de Miyazaki (qui m’a proprement bouleversé), parce que j’espérais y trouver plus qu’une inspiration cosmétique. Mais je sais très bien que les Zelda sont orientés aventure/action.

Ce que j’espérais trouver dans Zelda, je ne l’y ai pas vu, ou de façon timide et secondaire. Au final j’ai surtout eu l’impression de passer mon temps à faire une moisson de morceaux de monstres, d’animaux et de végétaux dans le but de gagner en puissance afin de zigouiller le big boss de l’histoire avec un fond vaguement écologique. Ashitaka ne m’a jamais semblé aussi loin.

D’ailleurs, je recommande vivement cette vidéo de La Chaîne du Canapé qui décortique Spec Ops en pointant ses dissonances ludo-narratives, j’y retrouve pas mal de points communs avec mon sentiment pour Zelda :

Zelda est un excellent jeu, mais il ne m’a pas posé l’once d’une question éthique. Pour finir, voici une liste de jeux vidéo qui, à mon avis parviennent brillamment à nous questionner et à nous remuer : Shadow of the Colossus de Fumito Ueda ; Undertale de Toby Fox ; Papers please de Lucas Pope ou encore Life is Strange du studio Dontnod (et j’en oublie un paquet). Comme quoi, c’est possible !

La nature reprend toujours ses droits.

1Au sujet de l’influence de Princesse Mononoké et plus largement des créations du studio Ghibli sur le dernier Zelda, voir la vidéo de Beyond Ghibli : With Eyes Unclouded – How Studio Ghibli Inspired Breath of the Wild (en anglais) https://www.youtube.com/watch?v=2fPz7kGduT4

2Dans les faits, peu m’importe de savoir si Nintendo a essayé ou pas de créer une problématique similaire, ce qui m’intéresse, c’est de comparer les deux œuvres et ce qu’elles racontent, parce que je trouve ça lourd de sens, mais au fond, je n’exprime qu’un regret personnel.

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One Response to Ma petite critique de Zelda Breath of the Wild

  1. BayouJujuNo Gravatar dit :

    Je te rejoins sur la fable onirique et la comparaison, mais malheureusement la comparaison s’arrête assez vite dans le fond…

    En grande partie à cause d’un manichéisme un peu trop forcé.

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