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Aujourd’hui, je vous propose un exemple d’application de partage de narration.

Dans Prosopopée, on joue des sages, des vagabonds, voyageant de village en village pour aider les humains à résoudre leurs problèmes avec la nature et le surnaturel.

Les Pj sont censés comprendre le fonctionnement du monde mieux que quiconque, voire, posséder une science des esprits, des choses invisibles etc.

J’avais deux choix : écrire une encyclopédie et laisser les joueurs se perdre dedans à chaque fois qu’un problème se présente à eux, ou alors laisser les joueurs inventer les solutions aux problèmes.

En laissant les joueurs inventer les solutions, on évite toute lourdeur lors des résolutions d’action, les personnages donnent l’impression de posséder toutes sortes de connaissances lorsque les joueurs inventent des remèdes, des théories, des solutions pour rééquilibrer le monde.

Exemple : presque tous les habitants du village sont endormis, il s’agit d’un problème de difficulté 4.

Joueur A réunit ses dés et raconte que dans les marécages à côté, une fleur produit un pollen, parfois utilisé pour ses vertus médicinales. « À trop forte dose, ce pollen devient un puissant soporifique. Je prépare un antidote que j’administre aux villageois. » (Joueur A lance les dés, c’est un succès, il raconte le résultat de son action) « Quand les villageois sont réveillés, je leur explique qu’il suffit de prendre cet antidote quotidiennement pour ne plus succomber au sommeil. Prenez-le tôt dans la journée pour ne pas subir d’insomnies. »

C’est une solution élégante, économique et du plus bel effet pour les jeux de rôle où les PJ sont censés connaître le monde et ne pas être des ignorants, si vous ne voulez pas faire lire une encyclopédie aux joueurs, voire la leur faire apprendre par cœur.

Le partage de narration a également d’autres vertus, notamment pour permettre à un personnage possédant des talents exceptionnels de préserver une image de héros puissant même dans la défaite.

Une partie de JDR où le MJ a un maximum de contrôle devrait laisser aux joueurs au minimum le contrôle de la volonté de leurs PJ. Mais ce n’est pas toujours un acquis. Un espace de créativité est une partie du système qui donne du pouvoir aux joueurs sur certains éléments spécifiques de la fiction.

Les espaces de créativité canalisent les responsabilités, l’emprise des joueurs sur la partie. En donnant d’importants espaces de créativité aux joueurs, le MJ partage un peu de son autorité, il accepte de ne plus avoir un contrôle directif sur la partie. En terme de contrat social, donner une participation plus importante aux joueurs tend à favoriser leur implication dans la partie en les responsabilisant (voir « contrôle coopératif »). La qualité de la partie dépend à présent d’eux autant – ou presque – que du MJ.

Quelques exemples

Voici quelques exemples d’espaces de créativité :

  • interpréter un personnage ;
  • créativité tactique ;
  • zoomer, dézoomer (voir réification)
  • illustrer la manière dont une chose prédéterminée advient ;
  • inventer une manière d’utiliser un pouvoir « ouvert » ;
  • effectuer une narration de résultat ;
  • décrire le décor ;
  • contrôler des PNJ ;
  • etc.

Chacun de ces exemples est pris hors contexte. Il s’agit d’espaces de créativité bruts.

Certains d’entre-eux ont un impact faible sur l’évolution de la partie, d’autres au contraire ont un impact fort.

« Interpréter un personnage », « zoomer, dézoomer » ou « inventer une manière d’utiliser un pouvoir ouvert » sont des espaces de créativité faibles, car ils n’ont que peu d’impact sur le déroulement de la partie.

« Effectuer une narration de résultat », « décrire le décor » ou « contrôler les PNJ » sont des espaces de créativité forts car ils ont un grand impact sur le déroulement de la partie. Généralement, ce type d’espaces de créativité nécessitent un système adapté à l’emprise qu’ils confèrent aux joueurs.

Les espaces de créativité sont intimement liés à la nature des choix que vous désirez explorer dans vos parties. Ils sont un moyen de renforcer l’importance de ces choix, de les développer comme élément fondamental du système.

Implication sur le système

Lorsqu’on donne aux joueurs la possibilité de modifier durant la partie d’importants éléments de la fiction, il faut s’attendre à ce qu’ils interfèrent avec une préparation figée de la partie.

Les espaces de créativité forts nécessitent un système qui prend en compte les incertitudes qu’ils génèrent.

Par exemple, laisser les joueurs effectuer les narrations de résultat durant une partie s’accorde mal avec un scénario prévoyant une certaine évolution de l’histoire, puisque cela renforce l’emprise des joueurs sur son développement. Cette technique s’accorde bien avec des préparations de situation ouvertes, voire pas de préparation de situation du tout.

Décrire le décor s’accorde mal avec un univers figé par avance, puisque les joueurs pourraient être amenés à contredire les informations prévues.

Contrôler les PNJ dilue l’une des principales responsabilités du MJ, cela demande d’adapter le rôle du MJ, voire de le répartir entre tous les participants.

Note : ces espaces de créativité peuvent être complètement dévolus aux joueurs ou partiellement : la narration de résultat par le joueur peut se faire seulement sur les victoires, seulement sur les échecs, sur tous les résultats, à la charge du joueur en position défensive lors d’un conflit, limité ou complètement libre…

La description du décor peut se limiter aux lieux que connaît le PJ, peut être partielle, soumise à conditions ou intégrale.

Contrôler les PNJ peut se limiter aux alliés, à certaines relations du PJ ou être ouverte à tous.

Implication dans la proposition créative

Les espaces de créativité dévolus aux joueurs sont fortement liés à la proposition créative d’un jeu ou d’une partie de JDR, voici différentes manières dont un espace de créativité peut s’inscrire dans une proposition créative :

  • dans D&D, les joueurs (pas les personnages) ont comme principal espace de créativité, celui de gérer au mieux les ressources de leurs personnages disponibles et celles du décor, compte tenu des ressources de l’adversaire (avantages de distance, d’angle d’attaque, d’équipement contre équipement, d’utilisation judicieuse des dons, des sorts etc.). Le système est fait de telle manière que les joueurs qui feront les choix les plus efficaces au meilleur moment économiseront leurs points de vie et de magie durant les combats et parviendront mieux à accomplir leurs quêtes.
  • Sens propose aux joueurs (et non aux personnages) de se focaliser sur la manière « appropriée » d’interpréter son personnage : les joueurs savent que le MJ juge la pertinence de leurs choix et la qualité de l’interprétation qu’ils font de leurs personnages. Le cadre est l’univers en lui-même et les références sont les « faits » (= traits) notés sur la fiche de personnage, choisis par le joueur lui-même. Durant le jeu, le MJ récompensera, via les « points d’immersion », la créativité des joueurs en jugeant de la pertinence et du respect des faits et de l’esthétique voulue pour la fiction. Ce phénomène se répète de différentes manières à différents niveaux du jeu (la réification fonctionne également sur un principe proche : le joueur précise de quelle manière il cherche à appréhender un problème, le MJ répond favorablement ou non s’il juge l’approche du joueur appropriée et créative).
  • Un jeu comme Dogs in the Vineyard propose de jouer des prêtres-juges dont le rôle est de chasser le péché d’une communauté pieuse de l’ouest américain au XIXe siècle. Les joueurs (et pas les personnages) vont donc choisir comment juger les pécheurs (un sermon ou une balle dans la tête ?). Les joueurs peuvent narrer leurs victoires lorsqu’ils remportent un « conflit », mais ils peuvent aussi choisir partiellement les conséquences que le conflit aura sur leurs personnages. Ici, les joueurs ont un grand espace de créativité sur l’évolution de l’histoire : le choix de leurs actes au cœur de situations de crise et l’exploration de leurs conséquences. La préparation de la partie se résume à une série de révélations et maintient une vraie indétermination quant à la tournure que l’histoire va prendre. Ce simple fait offre aux joueurs de décider comment ils vont appréhender et régler les problèmes, ce qui constitue également un important espace de créativité.
  • Dans Zombie Cinema, les joueurs (pas les personnages) se partagent les responsabilités du MJ et peuvent donc décrire le décor, les PNJ et l’évolution de l’histoire. Ça c’est un bon gros espace de créativité ! Principalement, le jeu est conçu de telle manière que l’histoire finit par amener les joueurs à faire se conduire leurs personnages comme des héros, des antihéros ou même de parfaits salauds. L’espace de créativité de ZC se focalise sur le caractère vertueux ou immoral des personnages, le contexte étant finalement plutôt secondaire. Les joueurs peuvent soutenir les joueurs en prêtant leur dé durant un conflit afin d’augmenter leurs chances de succès. Ce choix est généralement porté sur la sympathie ou l’antipathie éprouvée à l’égard d’un des belligérants. De même, un joueur peut sauver le personnage d’un autre de la menace zombie en sacrifiant son personnage. On se sacrifie généralement pour les personnages pour lesquels on éprouve de la sympathie.

Vertus des espaces de créativité

L’espace de créativité offre aux joueurs la possibilité de s’exprimer, de participer activement et grandement au développement de la fiction. Ce faisant, ils peuvent orienter la partie de manière à ce qu’elle s’adapte à leurs envies. Le cadre que constitue le système permet d’éviter que les participants ne partent dans des directions incompatibles. L’augmentation des échanges entre les participants favorise l’harmonisation des attentes et de leurs réponses.

Il existe un très grand nombre de façons d’amener des espaces de créativité dans vos jeux ou durant vos parties. Ils n’ont pas besoin d’être très grands pour remplir leur rôle. Quelle que soit leur nature, ils permettent de renforcer la cohésion autour de votre table s’ils sont convenablement soutenus par l’ensemble de votre système.

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