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Je vous propose une échelle des différentes manières dont les joueurs de jeu de rôle peuvent influer sur l’évolution de l’histoire durant une partie.

  1. Le choix des moyens : quand les joueurs inventent eux-mêmes la solution des problèmes. Le problème en question et situation suivante peuvent être prévus (par exemple dans un scénario).
  2. Conséquences immédiates : quand les décisions des joueurs modèlent l’évolution de la situation. La moindre nuance dans une décision d’un joueur peut radicalement modifier la situation en devenir. La scène suivante ne peut pas être prévue. Quand une partie fonctionne sans conséquences immédiates, c’est par exemple que la succession des scènes est prévue dans le scénario. Quand elle fonctionne avec conséquences immédiates, c’est que le fil de l’histoire n’est pas prévu et qu’il découle des actes des PJ.
  3. Victoire ou défaite : quand les décisions des joueurs peuvent conduire la fin de la partie vers une victoire ou une défaite strictes, c’est à dire incontestable et sans ambiguïté. Les deux issues peuvent être prévues (par exemple dans un scénario).
  4. Fin ouverte : quand les fins possibles sont multiples et peuvent être en demi-teintes et découlent des décisions des joueurs. La moindre nuance dans une décision d’un joueur peut radicalement modifier la fin de l’histoire. Impossible donc de prévoir la fin.
  5. Liberté de prise de parti : quand le camp que défend le joueur n’est pas imposé au début de la partie et/ou que le joueur peut en changer en cours de route.

Quelques précisions

Chacun de ces types d’impact est indépendant des autres, mais peut s’y associer. Par exemple le 3. peut se trouver avec le 2. ou sans lui.

Tous les cas de figure sont possibles, par exemple, un scénario en chapelet avec une fin parfaitement ouverte utiliserait le point 4. sans le point 2. Un scénario en arborescence avec plusieurs fins possibles pourrait utiliser le point 5. sans utiliser le point 4., etc.

Il n’est pas question d’espaces de créativité ou de partage des responsabilités (ou partage de narration), mais bien de la façon dont les décisions prises via leurs personnages modifient l’histoire (on peut parler de “Positionnement de personnage” en quelque sorte). Par exemple, dans un jeu comme La Saveur du Ciel, le partage de Responsabilités est très large, tandis que le déroulement de l’histoire est écrit à l’avance.

Inversement, dans Dogs in the Vineyard, le partage de Responsabilités est plutôt serré, tandis que l’emprise des joueurs sur l’histoire est grande.

Prenons quelques exemples

Sens Renaissance

  1. Oui : Les joueurs inventent les solutions à la plupart des problèmes.
  2. Non : Les points de passage obligés priment sur les conséquences des décisions des joueurs.
  3. Non : Ils ne peuvent pas vraiment échouer, ils verront la fin de la campagne, quitte à créer de nouveaux personnages en cours de route.
  4. Non : la fin est prévue dans les scénarios du livre.
  5. Non : quand un joueur rejoint l’antagoniste, il devient un PNJ ou joue à part du groupe.

Prosopopée

  1. Oui : Les joueurs inventent les solutions aux problèmes.
  2. Oui : Leurs décisions modèlent l’évolution de la situation.
  3. Non : Ils ne peuvent pas échouer.
  4. Non : La seule fin possible est la victoire.
  5. Non : Les joueurs ne peuvent qu’aider les villageois à résoudre leurs problèmes.

Monostatos

  1. Oui : Les joueurs inventent les solutions aux problèmes.
  2. Oui : Leurs décisions modèlent l’évolution de la situation.
  3. Oui : Ils peuvent gagner ou perdre.
  4. Non : Pas de fin en demi-teinte. Néanmoins une fin en status quo est possible.
  5. Non : Le camp des PJ est imposé et en changer est synonyme de défaite.

Dogs in the Vineyard

  1. Oui : Les joueurs inventent les solutions aux problèmes.
  2. Oui : Leurs décisions modèlent l’évolution de la situation.
  3. Non : Il n’y a pas vraiment de victoire ou d’échec, dû aux implications morales complexes des décisions des joueurs.
  4. Oui : Les fins peuvent être en demi-teinte.
  5. Non : Arrêter la mission revient à arrêter de jouer le PJ. Néanmoins, les joueurs peuvent prendre le parti de n’importe quel PNJ et être en désaccord entre-eux.

Apocalypse World

  1. Oui : Les joueurs inventent les solutions aux problèmes.
  2. Oui : Leurs décisions modèlent l’évolution de la situation.
  3. Non : Les conséquences des décisions des joueurs impliquent des issues en nuances de gris.
  4. Oui : Les fins peuvent être en demi-teinte.
  5. Oui : Ils peuvent prendre parti librement et en changer en cours de partie.

 

Commentaires et questions bienvenues !

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En ce moment, je cogite à mes expériences rôlistes passées, notamment celles où l’on jouait avec scénario. J’ai un lointain projet qui devrait, si je ne fais pas fausse route, tirer parti de ces quelques réflexions.

Scénario : Pour rappel, ce que j’appelle un scénario, c’est une préparation préalable à la partie qui prévoit des situations et des événements qui s’imposeront au déroulement de l’histoire jouée. Autrement dit, des points de passage obligés. Prévoir la fin de l’histoire (ou plusieurs fins possibles) entre dans cette définition.

Rappel : je ne considère pas la méthode de préparation de Dogs in the Vineyard comme un scénario : tout ce qui est écrit s’est déjà passé quand les PJ arrivent dans le village. On ne prévoit donc jamais ce qu’il va arriver pendant la partie, ni comment ça doit arriver.

Dirigisme : J’appelle dirigisme toute préparation préalable qui nécessite de passer en force (voir la définition de Force dans le Provisonal glossary), c’est-à-dire, de faire prévaloir les événements scénaristiques aux décisions des joueurs et à leur capacité d’influer sur l’évolution de l’histoire. Ma définition du dirigisme est probablement plus large que celles communément admises : je cherche à supprimer au maximum le passage en force.

Participationnisme : Le sujet de cet article est de la façon d’optimiser une pratique participationniste, c’est-à-dire, une pratique où l’histoire est prévue à l’avance et les joueurs le savent et agissent dans la direction du scénario autant que possible.

Je distingue participationnisme de dirigisme, car le second n’est qu’une dérive du premier. Il est, je pense, possible d’écrire des scénarios avec des situations prévues à l’avance, sans devoir passer en force. C’est de cela que j’aimerais discuter aujourd’hui.

Le participationnisme se distingue de l’illusionnisme, car le MJ ne cherche pas à tromper les joueurs sur ce qu’il se passe vraiment.

Voici mes pistes sur la façon dont un scénario préservera au maximum le MJ de devoir passer en force :

  1. Le scénario ne prévoit jamais de solutions aux problèmes qu’il pose. Prévoir les solutions tend à prédéterminer quelles décisions des joueurs sont valables. C’est une entrave à la liberté et à l’importance des décisions des joueurs.
  2. Le MJ ne prend le contrôle sur l’histoire que dans les interstices (les ellipses, par exemple), c’est l’endroit où il peut introduire de nouvelles situations prévues à l’avance. En ne prenant le contrôle de l’histoire que dans les ellipses, il laisse les joueurs libres de leurs mouvements le reste du temps.
  3. Il ne présume jamais de l’endroit où les joueurs doivent aller, ni de ce qu’ils doivent faire. De cette façon, il est libre de faire progresser l’intrigue quelles que soient les décisions des joueurs.
  4. Les PJ doivent être construits de telle manière que suivre le scénario pour le joueur est en adéquation avec le fait de défendre les intérêts de son personnage (éviter la fameuse dichotomie du joueur qui veut jouer son perso de manière cohérente, mais cela le ferait sortir du scénar). De cette manière, suivre le scénar devient plus naturel pour les joueurs.
  5. Quand il impose une situation aux PJ, il doit se servir de leurs obligations, contraintes et devoirs légitimes pour les mettre en scène, de façon à ne jamais prendre de décisions à leur place.
  6. Le MJ doit abandonner toute idée de manipulation des joueurs pour les amener à un effet de surprise du type « Hahaha, je vous ai bien eus ! » car cela le conduirait probablement à de l’illusionnisme, ce qui nécessite fréquemment de passer en force pour être sûr de ne pas gâcher son scénario.

Le MJ peut donc écrire un scénario, avec des événements spontanés et même prévoir une ou plusieurs fins. S’il respecte tous ces points, je pense qu’il peut éviter tout dirigisme.

La solution qui vient à l’esprit, quand on parle de faire passer en force le scénario, c’est de ne pas hésiter à laisser tomber le scénar pour suivre les envies des joueurs. Cette solution ne m’intéresse pas. Si je veux suivre les joueurs en les laissant conduire l’histoire, une préparation telle que celle de Dogs in the Vineyard ou un jeu comme Apocalypse World font très bien l’affaire. Si j’écris un scénario dont je suis fier, je veux pouvoir le faire découvrir jusqu’au bout, sans quoi, je joue sans.

Exemple : Ma campagne Intrigues à Poudlard.

Certaines parties de ma campagne Intrigues à Poudlard se sont pas mal rapprochées de cette forme de participationnisme non dirigiste, sans toutefois l’atteindre vraiment.

Mon diagnostic :

  1. Quand j’ai tout simplement arrêté de prévoir les solutions aux problèmes du scénario (on lance les dés pour voir si ça marche et on s’en remet au résultat), les décisions des joueurs prenaient de l’importance, comptaient vraiment.
  2. Comme les personnages sont à Poudlard et que chaque partie équivaut à une année scolaire, les ellipses étaient nombreuses et il m’arrivait fréquemment de prendre la main sur l’histoire durant les ellipses. Les joueurs étaient parfaitement libres de leurs mouvements le reste du temps. Quand ils résolvaient (positivement ou négativement) un problème, je cadrais une ellipse pour introduire la prochaine situation (les situations étaient organisées chronologiquement au long de l’année scolaire).
  3. Pour ce qui est de ne jamais présumer de ce que doivent faire les joueurs, c’est une des choses que j’ai eu le plus de mal à éviter, mais j’ai eu depuis le loisir de découvrir d’autres façons de faire : il suffit de ne pas décider comment les joueurs obtiendront les indices et révélations, mais seulement d’en préciser le contenu (par exemple : « le professeur Slughorn rôde la nuit dans les couloirs », plutôt que « le professeur Slughorn est passé à 2h30 dans le couloir de l’aile nord, il a frappé au bureau d’Albus Dumbledore à 3h00 ») et de ne pas déterminer ni de quelle façon les joueurs vont les découvrir, ni la manière dont ils doivent s’y prendre.
  4. Pour ce qui est de « suivre le scénar soit en adéquation avec les intérêts des PJ », ça m’a également posé problème dans cette campagne avec notamment des joueurs qui ne suivaient pas le fil rouge pour des prétextes de « cohérence avec leur personnage », mais pour le palier, il suffit de poser quelques contraintes à la création des personnages, par exemple : les PJ sont très curieux (comme dans le film), ils ne se laissent pas impressionner par les interdits et les dangers, ils sont courageux, voire téméraires et ils vont toujours fourrer le nez là où ça sent mauvais, quitte à se mettre en danger. C’est une forme de contrat entre joueurs et MJ qui nécessite généralement d’abandonner tous les PJ craintifs, peureux, parano, pour jouer plutôt sur la curiosité, la transgression des règles, etc. Il est également utile de mettre l’accent sur les relations entre élèves, élèves et professeurs, voire avec la famille.
  5. Poudlard est un cadre parfait pour les obligations, contraintes et devoirs, les personnages vivant en pension dans une école isolée, ils font beaucoup de choses que leur statut d’étudiants en école de magie impose au quotidien : je pouvais cadrer mes scènes sur un cours, sur un moment dans le dortoir, au réfectoire, en récréation, dans le club extrascolaire d’un des PJ, lors d’un match de Quidditch, pendant un exam, etc. C’était légitime pour le MJ de prendre le contrôle sur la situation dans ces moments-là, car les joueurs n’ont pas de raisons de contredire le fait que leurs PJ vont en cours, mangent au réfectoire, dorment dans un dortoir, etc. C’est un setting qui fourmille de contraintes que le MJ peut utiliser pour cadrer ses scènes et ne jamais forcer les PJ à faire quelque chose qui devrait relever d’une décision des joueurs.
  6. Pour ce qui est de la manipulation des joueurs, l’idée, c’est d’éviter le coup du commanditaire qui est en fait l’antagoniste et qui roule les PJ dans la farine, et autres effets de manche du MJ. Ainsi que toutes les techniques de manipulation des joueurs qui conduiraient à de l’illusionnisme.

 

Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des questions, des choses à ajouter ?

Voilà une question qui m’a valu de belles déconvenues autant joueur que MJ : quand un jeu propose de créer toute une variété de personnages avec des compétences et des talents hétéroclites, mais qui ne s’imbriquent pas dans une partie, le joueur tend à se trouver inefficace et n’a donc aucun moyen d’appréhender les enjeux forts du scénario.

C’est vrai : quoi de pire que de construire un personnage possédant de super-facultés-qu’on-crève-d’envie-de-les-expérimenter et de ne jamais pouvoir les utiliser dans la partie, voire, dans la campagne ?

Les responsables

Les scénarios qui prévoient à l’avance les enjeux que devront affronter les PJ entrent en contradiction avec une proposition de PJ possibles beaucoup trop lâche en regard de ce que l’on peut vraiment jouer avec le jeu, ou de ce que vous-même souhaitez en faire = la marge de compatibilité entre la partie jouée et les types de PJ risquent de se trouver extrêmement faiblarde.

J’ai vu un barde sans talents de combat devoir rejoindre une bataille contre des créatures ignobles, un joueur avec la compétence « accouchement », jamais utilisée sur une campagne jouée sur presque deux ans, des personnages avec un background ou des croyances jamais mise en application, et des personnages ne pouvant rien faire dans une situation donnée (à la pelle) !

Des solutions

  • Choisir la forme de vos histoires : établir ce que font les PJ dans vos histoires, si le jeu repose sur l’enquête, les PJ doivent être des enquêteurs, donnez-leur donc de quoi enquêter, le reste est un plus ; si le jeu est orienté baston, donnez-leur de quoi se battre et faites en sorte qu’aucun participant ne soit trop faible dans ses disciplines martiales pour assurer un combat ; si c’est une romance, donnez-leur le moyen de la construire par leurs histoires personnelles, leurs croyances, leurs relations etc. de plus, si ces éléments ont une répercussion sur les mécaniques de jeu, c’est encore plus fort. Plus vous chercherez à diversifier la forme de vos histoires dans un seul et même jeu et plus vous risquerez de distendre la marge de compatibilité.
  • Proposer des compétences/talents/traits/pouvoirs/background qui peuvent être utilisés dans un maximum de situations, histoire d’éviter les parties ou chacun joue quand enfin l’enjeu de la situation se rapporte à ses capacités. La spécialisation à l’extrême, c’est le mal.
  • Écrire des scénarios adaptés à la forme de vos histoires et ne permettez pas aux joueurs de créer des personnages inadaptés à vos scénarios (c’est tellement évident et pourtant, si peu mis en pratique).
  • Écrire des préparations de situations ouvertes, plutôt que des scénarios composés en successions de scènes et d’événements rigides. Moins l’évolution de l’histoire est prédéterminée, plus les joueurs pourront placer leurs compétences/talents/traits/pouvoirs/background dans les situations rencontrées. Celui qui « lutte contre les hérésies », plutôt que d’attendre de rencontrer un hérétique, pourra le suggérer au MJ, qui lui-même peut consulter les fiches de personnage et adapter ses situations en fonction de leur contenu, celui qui est médecin pourra rencontrer des cas où ses compétences médicales seront nécessaires etc.
  • Écrire des pré-tirés fortement liés aux enjeux de votre scénario, ou de votre préparation de situation.

Bien sûr, il ne s’agit pas de faire tout cela à la fois, mais de choisir un cocktail de ces solutions selon votre convenance.

Même si votre jeu propose de jouer des personnages inadaptés aux situations qu’ils vont rencontrer, leur inadaptation doit être gérée comme une façon de rendre les personnages efficaces dans l’évolution souhaitée pour l’histoire, par exemple : en reportant l’inaptitude sur des conséquences désastreuses de leurs actions, sans faire en sorte que les PJ ratent tout ce qu’ils entreprennent, ce qui peut vite tourner au festival de l’ennui.

Et vous, comment évitez-vous ces incompatibilités ?

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