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Adam Smith est pour l’autorégulation des systèmes de jeu qui, grâce à la main invisible du MJ, garantit l’harmonie à la table de jeu de rôle.

J’appelle “Économie” d’un jeu la façon dont l’ensemble de ses mécaniques s’articulent. Voici, dans les grandes lignes, le fonctionnement de l’économie de Démiurges :

  • Les Confrontations permettent de résoudre les conflits et désaccords entre deux personnages ou plus en lançant des dés.
  • Pour augmenter ses chances de gagner une Confrontation, le joueur mobilise ses Ressources en fonction de la situation, des personnages concernés, de ses actions et par choix (Caractéristiques, Traits et Pouvoirs).
  • À l’issue de la Confrontation, le joueur peut gagner ou perdre l’enjeu de la Confrontation et infliger ou subir des Retombées. Selon les dés qu’il joue, le joueur peut choisir de privilégier l’enjeu ou les Retombées au détriment de l’autre.
  • Il peut également sauver l’enjeu en sacrifiant quelque chose qui lui est cher.
  • Donc le joueur a toujours la possibilité de gagner l’Enjeu s’il le souhaite vraiment, mais si les dés sont contre lui, il devra en payer le prix.
    • Les dés servent surtout à faire monter les enchères pour gagner l’enjeu du conflit et éviter les Retombées.
  • Infliger des Retombées signifie changer quelque chose sur la fiche du personnage qui les subit. Les Ressources du joueur s’en trouvent modifiées :
    • En cas de blessure, une Caractéristique est cochée (avec risque de mort si la blessure est très grave) et inutilisable jusqu’à ce qu’un soin soit prodigué.
    • En cas de Retombée psychologique, l’adversaire crée un nouveau Trait sur la fiche du personnage (qui peut refléter un point de vue différent ou antagoniste par rapport à ce que le PJ défendait jusque-là) ou modifie un des Traits existants.
    • L’Expérience permet au joueur de faire évoluer ses Caractéristiques, Traits ou pouvoirs dans le sens qu’il entend (contrairement aux Retombées).
  • Le participant qui gagne l’Enjeu raconte de quelle façon la situation évolue.
  • Le participant qui inflige des Retombées à un autre personnage modifie ses Ressources. Lorsqu’une nouvelle Confrontation a lieu, le joueur ayant reçu des Retombées peut choisir d’utiliser ou non le nouveau Trait qui lui a été créé ou un Trait qui a été modifié et donc d’éventuellement trahir ses anciennes positions.

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Pour approfondir le sujet :

https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

À présent parlons un peu des mécaniques de Démiurges :

16-Prothèse-013Les personnages sont définis par 4 Caractéristiques et par des Traits.

Les Traits, si vous ne voyez pas de quoi il s’agit, ce sont des mots ou de courtes phrases qui définissent qui est le personnage et ce qui est important pour lui. Ainsi, vous pouvez définir que votre personnage est très rebelle, qu’elle est fondamentalement pour l’égalité entre ceux qui ont des pouvoirs et ceux qui n’en ont pas ou encore qu’elle est jalouse du talent de son frère pour l’alchimie.

À chaque fois que vous agissez dans le sens d’un de vos Traits, vous obtenez des dés supplémentaires à lancer au cours d’une confrontation avec d’autres personnages.

Les Traits ont deux rôles majeurs dans le jeu : ils permettent de placer l’histoire du PJ, ses convictions et ses relations au coeur des confrontations. Mais ils prennent tout leur sens quand ils interagissent avec les pouvoirs : la raison pour laquelle un personnage agit devient aussi importante que la manière dont il agit. Exemples :

  • Face au meurtrier de son frère, le joueur l’attaque pour assouvir sa vengeance. Il utilise son Trait “Je ne peux pas pardonner le meurtre de Tantale” pour produire une décharge de foudre d’une violence inouïe, exprimant toute la rage qu’il nourrit depuis tant d’années. Le Trait lui offre un bonus de 3 dés.
  • La joueuse veut convertir Maât à sa cause : “les démiurges doivent disparaître pour le bien de l’humanité”. Durant le conflit, son Trait du même nom lui offre un bonus de 2 dés pour introduire cette idée par psychométrie dans l’esprit de Maât.

L’autre rôle, c’est que les Traits marquent l’évolution psychologique et morale du PJ, car à chaque confrontation, de nouveaux Traits se créent et d’autres changent. Si un ennemi parvient à m’infliger des “Retombées” (conséquences d’un Conflit sur la fiche de personnage), il peut m’écrire un nouveau Trait qui va dans le sens de la cause qu’il défend ou affaiblir un de mes Traits qui s’oppose à ses idées.

Traits et Caractéristiques permettent de prendre en compte l’effet des pouvoirs sur le corps et l’esprit des personnages : si le personnage se transforme, se soigne ou cherche à augmenter ses capacités, par exemple…

Le joueur peut éviter ces “Retombées” en renonçant à ses objectifs immédiats (ou inversement accepter de subir des Retombées pour obtenir son objectif immédiat), ce qui met le joueur face à des choix, par exemple :

  • Risquer sa vie pour un cause qui nous est chère.
  • Mettre en jeu son intégrité pour atteindre un idéal.
  • Risquer de perdre la raison pour soigner un esprit malade.
  • Laisser nos démons refaire surface pour mettre fin aux actes d’un véritable monstre.
  • Etc.

Enfin, s’il désire remporter à tout prix la confrontation, le joueur peut sacrifier quelque chose de cher à son personnage parmi ses Traits.

Ces mécaniques de résolution favorisent l’empowerment des joueurs et leur permettent de prendre le contrôle sur l’histoire et de faire évoluer les choses comme ils le souhaitent. D’où l’importance que la préparation du MJ soit “ouverte”.

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Questions bienvenues !

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Cet article, aborde deux concepts essentiels pour la suite de mes réflexions : l’Absorption et la Combativité.

Je tiens le concept d’Absorption d’Axel Fourdrinier (Meta), qui l’évoque dans ce commentaire du podcast de la Cellule La Réflexion sopposetelle à limmersion ? et dont nous avons discuté par la suite en privé.

La Combativité est un concept de ma création que l’on pourrait rapprocher de l’Empowerment, concept utilisé notamment dans le jeu vidéo, d’après cette discussion.

Il me semble pertinent d’utiliser un concept spécifique pour le jeu de rôle qui, contrairement au jeu vidéo donne d’emblée une part créative au joueur et un potentiel d’action extrêmement vaste (pour ne pas dire infini) car non scripté1.

Ces deux concepts remplacent avantageusement l’idée “d’immersion” qui pèche par subjectivité et par l’absence de reconnaissance de la diversité des pratiques que porte notre activité, se rendant responsable de nombreuses incompréhensions2. Pour ces raisons, je n’emploierai plus ce terme dans le reste de l’article.

J’expose ici ma vision des choses, nourrie par mes diverses expériences du jeu de rôle.

La Combativité ou peser sur les enjeux

La Combativité est une posture3 d’un joueur qui épouse le combat de son personnage en cherchant à obtenir une issue à son avantage. Elle est tournée vers le faire du personnage, plus précisément l’accomplissement et l’élaboration d’objectifs.

Le joueur en posture combative se tourne vers un futur, proche ou distant : un objectif qu’il cherche à atteindre (ou une menace qu’il cherche à fuir). Il se focalise prioritairement sur les moyens d’atteindre l’objectif en question et les enjeux qui le sous-tendent. Le joueur peut poursuivre plusieurs objectifs, y compris s’ils sont en conflit l’un avec l’autre.

Un joueur en posture combative agit pour obtenir ce qu’il souhaite et se protéger de ce qu’il ne souhaite pas. Cette posture implique un rapport de force entre personnages et entre participants. Or, dans un jeu de rôle, la fiction étant souple et libre d’interprétation, il est difficile d’obtenir véritablement ce que l’on souhaite dès qu’un conflit entre en jeu contre un autre participant.

L’arbitraire d’un jugement (du MJ ou d’un autre participant) nuit à la Combativité dans la mesure où il est difficile de prédire quand un choix pèsera en faveur du joueur ou non4. Le joueur en posture combative a besoin de savoir quand une de ses décisions va augmenter ses chances de succès ou non. D’où le recours à des chiffres, dés, etc.

En épousant la volonté de son personnage et son envie d’atteindre ses objectifs, le joueur a besoin d’un marqueur de progression vers son objectif.

La Combativité est une recherche d’emprise sur la situation de la fiction : le joueur poursuit prioritairement son objectif et des moyens pour l’atteindre. Elle est indispensable à une pratique compétitive, mais elle n’en est pas synonyme, car la Combativité peut parfaitement enrichir une pratique du jeu de rôle dramatique ou contemplative.

Les mécaniques5 offrent un contrôle sur la fiction, pour marquer une prise de pouvoir efficace et incontestable et faire évoluer la situation dans le sens qui importe au joueur.

Le rôle des mécaniques vis à vis de la Combativité

Les mécaniques offrent une prise sur les événements de la fiction à un joueur en posture combative. Mais pour renforcer la Combativité, c’est-à-dire encourager et récompenser cette posture, il faut que le joueur puisse influencer l’issue d’un conflit, par exemple en dépensant des ressources, en élaborant des choix tactiques, moraux ou autres. Il doit se sentir responsable de l’issue du conflit, y compris si elle est négative, sans quoi, lancer un dé peut paraître aussi arbitraire qu’un jugement de MJ.

L’utilisation de mécaniques transparentes (c’est-à-dire sans règle ou procédure cachée) et offrant une prise au joueur renforce la Combativité. Les mécaniques deviennent alors le moyen par lequel la volonté du joueur impacte le devenir de l’histoire et sont un facteur favorisant l’implication du joueur dans la fiction.

On peut rendre cette approche plus satisfaisante avec des règles appropriées, mais la posture combative ne peut pas être produite par le système, seulement encouragée (comme souvent, le Système est avant tout incitateur). Un joueur peut également se trouver en posture combative si rien ne l’y encourage.

Un joueur prioritairement en posture combative dans une pratique qui ne l’encourage pas, peut se sentir impuissant, le système ne lui offrant aucun moyen de contrôle sur l’évolution de l’histoire.

La Résistance, moteur d’enjeux concrets

Le seul fait d’obtenir du pouvoir n’est pas suffisant pour renforcer la Combativité durant une partie, il faut aussi une contrepartie, un obstacle, un risque, la possibilité d’une perte, d’un affaiblissement, d’un échec…

La Résistance peut se définir comme un jeu de contrôle et de perte de contrôle sur les événements de la fiction : lorsqu’un élément fictionnel résiste, il se soustrait au contrôle du joueur. Celui-ci, en cherchant à prendre le contrôle pour que la situation tourne à son avantage ou pour atteindre son objectif, prend le risque d’améliorer ou d’aggraver sa situation, ou les deux à la fois. La Résistance est un enjeu réel (mécanique) permettant de concrétiser des enjeux fictionnels6.

L’intérêt d’une victoire se mesure au risque, à la difficulté ou au prix à payer qui la contrebalance. La victoire étant synonyme de gagner du pouvoir sur les événements, les faire évoluer au plus proche de sa volonté. La Résistance et la possibilité de la surmonter rendent la Combativité opérationnelle.

L’Efficacité7 est la capacité du joueur à surmonter la Résistance lors d’une épreuve ou d’un conflit. L’Efficacité peut varier en fonction des succès/échecs et des décisions prises au fil du jeu. La perspective d’une progression en matière d’Efficacité est une motivation supplémentaire pour jouer combatif : quand un personnage voit ses performances s’amenuiser (via des malus, une perte de points de Caractéristiques, etc.), cela pose au joueur la nécessité de gagner en Efficacité afin de remonter la pente pour les enjeux à venir. Un joueur dont le personnage possède plusieurs choix en balance modifiant son Efficacité (sacrifice, options tactiques, etc.) pourra choisir d’augmenter son Efficacité ou de la sacrifier au profit d’une alternative ou d’un autre but. Sacrifier l’Efficacité au profit d’une cause (sauver un ami, par exemple) entre parfaitement dans la posture de Combativité, puisque l’ami étant censé compter sur le plan affectif pour le personnage, le sauver peut devenir un nouvel objectif pour le joueur et compte parmi les enjeux dignes d’être défendus.

En revanche, les décisions néfastes pour le personnage sans contrepartie sont en contradiction avec cette approche : La Combativité n’étant possible que si le joueur défend les intérêts de son personnage. Être en posture combative, c’est non seulement défendre les intérêts de son personnage, mais c’est aussi trouver les moyens pour les mener à terme.

La Combativité rapproche le joueur de son personnage dans la mesure où sa soif de vaincre épouse celle de son personnage. Les volontés se mettent au diapason et renforcent la synesthésie8, à condition que les enjeux mécaniques interagissent avec les événements de la fiction.

La Combativité est donc une façon pour le joueur de faire siens les objectifs, besoins et désirs de son personnage et de chercher une osmose avec sa volonté. Tout ce qui dans une pratique du jeu de rôle demande au joueur de prendre des décisions étrangères aux intérêts de son personnage affaiblit la Combativité. C’est une posture d’accomplissement et de responsabilité du joueur face aux conséquences de ses actes, positives comme négatives, ses succès comme ses échecs.

L’Absorption ou le personnage comme deuxième peau

Si la Combativité est orientée vers le faire, l’Absorption consiste à rechercher une connexion avec l’être du personnage : les actions symboliques, anecdotiques ou sans prise réelle sur le cours de la fiction peuvent tout à fait participer de cette connexion.

C’est une posture créative : il s’agit d’inventer une personnalité, un langage, un passé, une culture à son personnage et de se comporter et d’agir avec un soin particulier pour donner du sens, de l’épaisseur, de la cohérence à tout ce qui le compose, et le connecter avec la réalité du monde dans lequel il vit (certains appellent cela le role-play, mais je préfère laisser de côté ce terme qui veut tout et rien dire).

Un joueur qui priorise la posture d’Absorption n’a pas besoin de grand chose d’autre que d’espace et de temps pour s’exprimer, parfois au point où l’intrusion de mécaniques peut briser sa concentration. Mais ce qui compte plus que toute autre chose, c’est une complicité et une écoute entre les participants (MJ comme joueurs)9.

Les phases libres en matière d’enjeux favorisent une posture d’Absorption (un matériau fictionnel riche en possibilités créatives aide également) ; dans les pratiques où les enjeux sont bien présents, mais sans possibilité réelle pour les joueurs d’impacter leur devenir, cette posture est également favorisée, comme par exemple le jeu de rôle dit sans règle10 ou le MJ statue sur l’issue de la plupart des actions, mais aussi les pratiques dans lesquelles les mécaniques n’offrent aucune prise au joueur pour influencer le résultat de ses actions (Sens Renaissance de Romaric Briand, par exemple, en dehors de sa mécanique de “Miracles” offre peu de moyens aux joueurs de peser sur l’issue des conflits importants). Un combat violent peut tout à fait être l’occasion d’explorer l’essence du personnage lorsque le système du jeu ne permet pas la Combativité, car l’Absorption est une posture dénuée de Combativité, davantage orientée vers une certaine forme de contemplation, d’introspection, de célébration, d’exploration de son rôle, de son statut, de son identité, de sa nature dans un contexte donné.

Si les choses n’évoluent pas comme souhaitées, avoir le dernier mot n’est pas la préoccupation première du joueur absorbé, mais plutôt : que ressent son personnage, comment réagira-t-il, qu’est-ce que ça implique pour lui, comment s’adapter à ce changement ? Dans certaines pratiques, si le joueur ressent le besoin de reprendre le dessus, il est possible de changer pour une posture combative en cours de partie et de revenir en Absorption plus tard.

L’Absorption comme performance du joueur

Les joueurs qui jouent prioritairement en Absorption ont souvent un rapport à leur pratique de l’ordre de la performance artistique (éventuellement mais pas nécessairement théâtrale).

La qualité créative du joueur devient l’enjeu principal de sa prestation. La dynamique de groupe (le fait de bien se connaître et de savoir satisfaire aux attentes des autres) est essentielle pour une pratique centrée sur l’Absorption, notamment si le système n’appuie pas franchement cette orientation.

Jouer sans mécaniques de résolution

Comme dit plus haut, les mécaniques peuvent rompre la concentration d’un joueur absorbé quand celui-ci a besoin de tenir les rênes de son personnage.

Le problème peut être particulièrement marqué lors de l’utilisation de mécaniques de résolution de conflits sociaux (c’est-à-dire un conflit lors d’une discussion entre deux personnages ou plus, tel une dispute ou une intimidation purement verbales…) particulièrement fondés pour une approche combative, car ce qui compte, c’est qui va obtenir gain de cause et quelles seront les conséquences de ce conflit sur les personnages. De telles mécaniques obligent le joueur a modifier l’orientation de ses décisions pour des raisons externes à sa propre volonté ; les joueurs pouvant justifier a posteriori les éléments plus ou moins conscients11 qui ont fait pencher la balance en la faveur de l’un ou l’autre des personnages.

Pour une pratique centrée sur l’Absorption, le joueur ne peut accepter qu’un dé ou une autre personne exerce un contrôle sur sa volonté12.

Certains mouvements d’auteurs de jeux de rôle ont développé des jeux spécifiquement orientés vers une pratique sans mécanique : le Norwegian style ou l’American Freeform.

Certains de ces jeux utilisent une structure afin d’encadrer l’évolution de l’histoire (scénario, découpage par scènes…) et se concentrent en partie sur un mélange entre jeu de rôle sur table et grandeur nature.

Les systèmes qui alternent les deux postures jouent quant à eux sur un découpage avec et sans mécaniques, par exemple Bliss Stage de Ben Lehman.

Exemples de systèmes qui renforcent l’Absorption et la Combativité en alternance

Bliss Stage : Dans Bliss Stage, les scènes de mission mettent en place des mécaniques pour établir les conséquences des jets de dés dans le “monde du rêve” (dream world) : les jets de dés lors d’un combat par exemple, dans le monde du rêve peuvent affecter le succès de la mission, la sécurité du pilote, la sécurité des relations (du monde réel) qui ont été invoquées sous la forme d’équipement dans le monde du rêve….

Ainsi, des dégâts subis pour l’équipement peut affecter le “stress” ou la “confiance” entre le personnage du joueur et une ou plusieurs de ses relations.

Cette corrélation est mécaniquement symbolique et produit une causalité psychologique en jeu.

Ces conséquences modifient la nature de la relation entre les personnages. Pendant les scènes “d’interlude”, les mécaniques n’interviennent qu’avant et après la fiction. Les joueurs sont parfaitement libres d’interagir.

Alors que pendant les scènes de mission les joueurs peuvent être encouragés à la Combativité via les mécaniques (en élaborant une prise de risque plus importante afin d’augmenter leurs chances de succès, par exemple), les scènes d’interlude leur permettent quant à elles de jouer librement leurs personnages, sans le concours d’aucune mécanique (compte-tenu de l’évolution de leurs relations), ce qui encourage l’Absorption.

Le jeu permet l’alternance de Combativité et d’Absorption d’une phase à l’autre. C’est néanmoins les participants qui adapteront ou non leur posture. Il est donc possible, voire encouragé, d’alterner ces deux postures.

Prosopopée : Prosopopée propose également une alternance entre Absorption et Combativité : le gros d’une partie de Prosopopée est fait d’une conversation entre joueurs sur les événements de la fiction, au sujet des personnages et du monde tout autour. Les enjeux de résolution des problèmes sont au second plan.

Les mécaniques interviennent pour baliser cette conversation en l’interrompant le moins possible. L’Absorption prime.

Lorsque les joueurs décident de résoudre un Problème, ils basculent en Combativité pour faire évoluer les enjeux de la partie et l’histoire elle-même jusqu’à son dénouement, après avoir brodé autour. La Combativité va et vient, elle permet de donner une direction, un horizon à la partie. Une motivation pour aller au delà de la contemplation (qui pourtant constitue la majeure partie de l’expérience). Les deux postures s’articulent pour structurer la partie et l’histoire, lui donner une dynamique.

Défendre les intérêts de son personnage13 en Absorption

Quand on joue l’Absorption, défend-t-on les intérêts de son personnage ?

Agir conformément à ce que la condition du personnage présuppose peut être question de vie ou de mort, par exemple : si je joue un simple mercenaire, il est préférable que je fasse montre de déférence et de loyauté au roi, sans quoi je risque d’être jeté au cachot. Dans ce cas, le joueur défend les intérêts de son personnage en se comportant de manière attendue (y compris sans recours à des mécaniques). Dès lors que le comportement du personnage implique des enjeux fictionnels, sociaux, par exemple, on peut considérer qu’il concerne ses intérêts.

Mais, dès lors que le comportement du personnage est détaché de tout enjeu dans la situation de la fiction, ce que crée le joueur ne relève plus que de la Couleur14 et du Canon esthétique15. Couleur et Canon esthétique sont fondamentaux à toute pratique de jeu de rôle, il s’agit du plus petit degré de participation possible pour un joueur, y compris en mode Auteur16.

Un joueur se limitant à produire de la Couleur et à respecter le Canon esthétique de la partie ne défend pas les intérêts de son personnage. Cela doit impliquer un enjeu fictionnel, ce que la recherche de vraisemblance seule ne permet pas.

Les Petites Choses Oubliées de Sylvie Guillaume et Christoph Boeckle, Perdus sous la Pluie de Vivien Féasson (alias Mangelune) ou encore Happy Together de Gaël Sacré (en cours de création) ne renforcent que l’Absorption. Leurs règles ne renforcent pas la Combativité, car ces jeux ne disposent d’aucune mécanique de résolution et donc ils n’incitent ni n’encouragent à se disputer les enjeux de la partie via des moyens mécaniques de prise de contrôle ou de pouvoir. Ils proposent d’élaborer une histoire par des moyens plutôt apaisés, amicaux, contemplatifs, conciliés ou par concession ; donc non-combatifs. Ce ne sont pas pour autant des jeux en mode auteur, car les décisions qui sont prises au cours du jeu, le sont par et pour les personnages.

À noter que si l’Absorption peut fonctionner dans une pratique où les joueurs ont peu d’impact sur le déroulement de l’histoire, ces trois exemples ont la particularité d’offrir beaucoup de pouvoir narratif aux joueurs.

Le cas de Perdus sous la Pluie

Perdus sous la Pluie est un peu à part, car il utilise des mécaniques d’agression, mais il ne renforce pas la Combativité, notamment car ce ne sont pas de mécaniques de résolution. En premier lieu, à la fin de la partie, il ne restera qu’un enfant, les autres disparaissant et se faisant dévorer par les sirènes de l’averse (sortes de croquemitaines de l’univers du jeu), ce qui scelle le destin des personnages. La principale question est : qui survivra ? Le gros de l’enjeu est relationnel et affectif, les mécaniques ne faisant qu’appuyer le jugement des joueurs sur les enfants : qui est le plus sympathique, qui est un poids pour le groupe, qui est le plus antipathique, etc. Chaque joueur possède une réserve de jetons et la mécanique du jeu consiste à plumer les réserves des autres. Quand un joueur n’en a plus, son personnage disparaît.

Quand un joueur-aversité (un de ceux qui jouent l’adversité) retire un jeton au joueur sur lequel se centre la scène, celui-ci n’a pas la possibilité de le disputer. En revanche, il peut demander l’aide d’un autre joueur ou par rancœur s’en retirer un pour agresser un joueur-aversité en s’auto-détruisant. Ces options, bien que dans l’agression et l’aide, ne permettant pas de disputer une décision, ne renforcent pas la Combativité, car pour qu’il y ait combativité, il doit y avoir résistance et ce qui résiste doit pouvoir céder, ce qui n’est pas le cas ici.

À l’issue du jeu, l’enfant qui a été le moins agressé/qui a été le plus aidé tout en ne versant pas trop dans les comportement auto-destructeurs est celui qui a le plus de chances de survivre à la fin. Le jeu place les joueurs en situation de reproduire l’injustice de la cour de récréation.

Les limites de l’Absorption

En jeu de rôle sur table, quels que soient ses efforts, le joueur se trouve dans une situation différente de son personnage : quand le personnage déplace des meubles à la recherche d’indices, ou se bat contre un ennemi, le joueur reste la majeure partie du temps assis à une table ou sur un canapé, face à ses amis ou partenaires de jeu, en train de construire verbalement des situations fictives. Jouer principalement en Absorption, si le joueur se centre sur son personnage, peut se résumer à ne faire qu’un avec lui. Mais cela pose un certain nombre de difficultés, car plusieurs processus spécifiques au jeu de rôle sur table accroissent le sentiment de dissonance :

  1. La majorité des actions et enjeux physiques sont décrits verbalement.
  2. La manière dont le personnage s’habille ou l’apparence de sa maison sont un mélange entre ce que le monde permet et ce que le personnage a choisi, voire fabriqué. Qui donc doit les décrire ? Si c’est le joueur, cela signifie qu’il sort de la volonté de son personnage et qu’il prend la liberté de décrire des possibilités du monde ; si c’est le MJ, cela signifie qu’il empiète sur la volonté du personnage en ne se limitant plus à son contrôle sur le monde17.
  3. Le personnage n’existe pas vraiment, il est une construction commune et ses pensées ne sont pas celles du joueur18.
  4. Lors d’une situation réelle, les enjeux ont des implications sur notre vie, il est sans doute impossible de se mettre suffisamment à la place d’un personnage de jeu de rôle afin d’imaginer et ressentir toute la portée d’un enjeu tel que : se faire plaquer par la personne que l’on aime, se blesser gravement, perdre un proche19, etc. La logique d’un joueur en Absorption voudrait qu’il imagine ce que cela peut représenter pour le personnage et à quel point cela peut l’affliger de manière à le faire réagir de façon adéquate, ou intéressante. L’enjeu de se faire plaquer dans la réalité touche notre ego, notre histoire, notre situation sur le long terme, nos possibilités futures (logement, répartition des affaires, etc.). Une émotion qui se déclenche instantanément en nous dans notre vie réelle demande un effort d’imagination et de créativité pour la fabriquer dans une partie de jeu de rôle, mais cet effort la condamne à ne pas pouvoir être naturelle. Un acteur de théâtre peut fouiller des souvenirs personnels pour provoquer l’émotion, mais pour un joueur de jeu de rôle, cela signifie chercher des ressources externes à la situation de la fiction et donc cela crée une distance avec le personnage. De plus, l’acteur de théâtre a la possibilité de préparer son rôle, alors que le rôliste est condamné à l’improvisation. Ce n’est pas un souci, nul n’est tenu de rester en Absorption en permanence, mais peut-être qu’un moment censé être important est un moment où l’on souhaite se connecter au plus près de son personnage.
  5. À la différence de l’acteur de théâtre, le joueur de jeu de rôle recherche prioritairement son propre plaisir, sa propre satisfaction et celles des autres participants pendant une partie ; les joueurs sont aussi les destinataires de la partie, ils ne jouent pas pour un public ne prenant pas part à la construction de la fiction.
  6. Pour améliorer sa performance, le joueur pourra prendre du recul, réfléchir à ce qu’il va dire, à sa cohérence, notamment lorsqu’une action ou un comportement censé être spontané ne peut pas l’être pour le joueur (par exemple, un personnage censé pleurer alors que le joueur ne sait pas le faire sur commande, ou un personnage censé posséder une élocution particulière que le joueur n’a pas), mais aussi à juger ce que vont dire les autres vis-à-vis de la cohérence de la fiction, ce qui passe difficilement par le personnage : la pratique peut permettre au joueur de faciliter et fluidifier cette gymnastique mentale, mais il ne peut jamais passer outre, car son cerveau n’oublie jamais complètement que son corps se trouve dans une situation toute autre que celle qu’il se représente. Son expérience du personnage fictif est majoritairement dissociée de son corps, ce qui en soi rend l’expérience foncièrement étrangère à celle de son quotidien.

Les joueurs résolvent certains de ces paradoxes en partant du principe qu’ils ne peuvent jouer que des personnages qui leur ressemblent relativement : ils ne vont pas jouer un personnage qui possède des talents ou un tempérament qu’ils n’ont pas eux-mêmes ou qu’ils seront en peine de reproduire20. Une approche qui accepte ces paradoxes peut s’en détacher et trouver son bonheur dans un jeu de distanciation et d’empathie avec son personnage, plutôt que de rechercher la fusion.

Notons au passage que la créativité, l’effort et la concentration que peuvent demander les pratiques orientées vers l’Absorption justifient le fait que cette seule posture se suffise dans des pratiques totalement dénuées de Combativité, voire de mécaniques.

Jouer prioritairement ou exclusivement en Absorption peut exiger un apprentissage, notamment pour jouer avec un groupe auquel on n’est pas accoutumé, ce qui est pertinent avec une approche du jeu de rôle plus proche de la performance.

Conclusion

Aucune de ces deux postures n’est exclusive dans une partie de jeu de rôle : bien que l’on puisse jouer avec une seule des deux, il est fréquent qu’on les alterne.

Chacune des deux approches peut apporter quelque chose à une pratique du jeu de rôle : négliger la Combativité peut donner au joueur qui en fait sa priorité le sentiment de se débattre en vain, surtout si le Contrat Social n’est pas clair à ce sujet ; négliger l’Absorption peut donner au joueur qui en fait sa priorité le sentiment que le jeu étouffe sa créativité, ne lui laisse pas de place pour vivre et ressentir son personnage. Vous pouvez voir l’interaction entre ces deux postures comme une respiration dans un morceau de musique, ou chacune renforce l’autre, mais chaque joueur ou pratique peut accorder plus d’importance à l’une ou l’autre.

En ce qui me concerne, si mes jeux et pratiques préférées font la part belle à la Combativité, je n’aime pas celles qui ne laissent aucune place à l’Absorption. Dans l’idéal, il me faut une quantité importante d’Absorption pour que la Combativité tire sa substantifique moelle. Pour autant, j’aime jouer aux jeux que j’ai présentés qui ne renforcent que l’Absorption, mais dans un jeu qui ne renforce rien, jouer l’Absorption en roue libre me lasse vite. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai mis des mécaniques de résolution à Prosopopée : pour avoir un peu de Combativité afin de ne pas s’épuiser en Absorption dès lors que notre groupe de joueurs n’est pas rôdé à jouer exclusivement en Absorption.

Notons que les jeux et pratiques qui encouragent une franche Combativité offriront le plus souvent aux joueurs un fort impact sur l’histoire21. Les jeux et pratiques qui encouragent une Absorption intense offrent généralement peu d’impact aux joueurs sur l’histoire. Mais ce ne sont que des tendances, ce n’est pas un règle (le partage de Responsabilités n’a rien à voir là-dedans, on peut jouer l’Absorption et la Combativité avec un partage large ou serré de responsabilités).

Enfin, il arrive que des joueurs fassent un rejet de l’une des deux postures au profit de l’autre. Cet article ne vise pas à les stigmatiser, mais au contraire, à permettre de mieux identifier les préférences de chacun afin de trouver un terrain d’entente plus facilement quand c’est nécessaire.

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1 Je développe ce sujet dans l’article Récits en fractale sur L’Intermède : http://www.lintermede.com/analysejeuxderolefictionsanalogiquesinteractives.php et dans Le JdR est potentialité : http://www.limbicsystemsjdr.com/lejdrestpotentialite/

2 Le fil de discussion suivant, sur Les Ateliers Imaginaires fait partie des échanges qui ont motivé le présent article ; on y voit les différents intervenants présenter leur vision de l’immersion sans véritablement se comprendre : http://lesateliersimaginaires.com/forum/viewtopic.php?f=71&t=3440

3 J’emploie ici le terme posture dans son acception générale, sans référence au concept homonyme de Ron Edwards développé dans l’article LNS et autres sujets de théorie rôliste, chapitre trois : Postures http://ptgptb.free.fr/forge/gns3.htm

4 J’aborde également la question dans l’article À Propos des Mécaniques de résolution, point 1 : http://www.limbicsystemsjdr.com/aproposdesmecaniquesderesolution/ il est utile de garder à l’esprit que cet article s’intéresse à une pratique orientée vers la Combativité.

5 Une mécanique est L’ensemble des règles visant à résoudre les situations conflictuelles entre personnages, ou visant à surmonter un obstacle ou un danger. Une mécanique de résolution implique de créer une résistance mécanique et des moyens de la surmonter. Définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/m%C3%A9caniques_de_r%C3%A9solution?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4

6 Pour creuser plus loin les questions de résistance, lire la définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/r%C3%A9sistance_asym%C3%A9trique?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4 et l’article La Résistance asymétrique : http://www.limbicsystemsjdr.com/laresistanceasymetrique/

7 Voir Effectiveness sur le Provisional Glossary de The Forge : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html et l’article suivant de Vincent Baker : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497

8 “La synesthésie est un concept né de la constatation qu’un joueur ne pouvait pas ressentir ce qu’est censé ressentir son personnage. Cela induit l’importance de donner au joueur des enjeux ludiques ou créatifs et de créer une résistance asymétrique de façon à connecter les niveaux réels et fictionnels du jeu. De façon plus pragmatique, la synesthésie est une façon de penser le renforcement du lien entre personnage et joueur.” Définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/synesth%C3%A9sie?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4

9 Le blog d’Eugénie Je ne suis pas MJ mais propose beaucoup de matière à ce sujet, comme la série des quatre articles Concéder : https://jenesuispasmjmais.wordpress.com/2015/06/16/conceder-1/

10 Le site AnthologieLe guide du jeu de rôle sans règle, en détaille une approche spécifique dans l’article : Les Règles du jeu de rôle sans règle d’Éric Lestrade : http://sansregle.free.fr/index.php?page=article&id=1

11 Dans l’article Vide fertile : la spirale invisible, je propose l’exemple des mécaniques de Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, facilitant des décisions déraisonnables en jeu, en l’associant à la notion d’inconscient : http://www.limbicsystemsjdr.com/videfertilelaspiraleinvisible/

12 Frédéric Ferro justifie une telle approche selon l’existentialisme sartrien lors de sa conférence des Quarante ans du jeu de rôle : Personnage et personnalité http://www.cendrones.fr/journeesdetudeslesquaranteansdujeuderole/

13 Prendre des décisions, avec comme priorité de défendre ce qui compte pour son personnage, c’est-à-dire remplir ses devoirs, défendre ses causes, ses relations, ses valeurs, rester en vie, préserver son intégrité, etc. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/d%C3%A9fendre_les_int%C3%A9r%C3%AAts_d_un_personnage?DokuWiki=tam8b1f3b34bjo3gi87o8diem2

14 Couleur : Tout apport descriptif au cours de la partie de jeu de rôle. Parfois détachée des enjeux fictionnels et ludiques, la couleur est un élément essentiel au jeu. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/couleur

15 Célébrer le canon de la fiction, signifie produire un ensemble d’images et d’événements fictifs conformes aux attentes et aux exigences des participants. http://www.limbicsystemsjdr.com/comprendrelesimulationnismeatraversprosopopee/

16 Mode auteur ou joueur auteur : Consiste à jouer sans jamais vraiment défendre les intérêts d’un personnage. Les participants privilégieront les enjeux externes aux intérêts de leurs personnages, comme le fait de “raconter le truc le plus cool” ou “placer une description sans rapport avec les intérêts de son personnage pour gagner un bonus”, etc. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/joueurauteur

17 Je développe ce point dans l’article La Volonté et le monde : http://www.limbicsystemsjdr.com/lavolonteetlemonde/

18 À ce sujet, lire l’article de Gregory Pogorzelski sur le blog Du Bruit derrière le paravent : Personnages fictifs et vie intérieure http://awarestudios.blogspot.fr/2014/03/personnagesfictifsetvieinterieure.html

19 Voir synesthésie : La synesthésie est un concept né de la constatation qu’un joueur ne pouvait pas ressentir ce qu’est censé ressentir son personnage. Cela induit l’importance de donner au joueur des enjeux ludiques ou créatifs et de créer une résistance asymétrique de façon à connecter les niveaux réels et fictionnels du jeu. De façon plus pragmatique, la synesthésie est une façon de penser le renforcement du lien entre personnage et joueur. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/synesth%C3%A9sie

20 “Je crois que pour un grand nombre de romanciers et de tragiques, le personnage est suscité par le drame et non le drame par le personnage ; et que le héros d’Eschyle comme de Shakespeare, de Dostoïevski comme de Stendhal sont des “virtualités” de leur auteur, autour desquelles s’ordonne et s’agite, comme des objets dans certains tableaux surréalistes, une foule en trompe-l’œil”. André Malraux

21 L’impact des joueurs sur l’histoire, c’est l’importance de leurs choix sur l’évolution de la situation, voir l’article L’influence des joueurs sur la fiction pour plus d’informations : http://www.limbicsystemsjdr.com/linfluencedesjoueurssurlafiction/

Les mécaniques de résolution correspondent à un panel assez large de pratiques. Ce sont les moyens qu’utilisent les joueurs et le MJ pour statuer sur le résultat de décisions fictives pour lesquelles plusieurs participants engagés dans la situation ne veulent pas la même issue.

C’est à la fois un moyen de départager les participants et un vecteur de résistance.

Au cours d’une partie, le meneur de jeu peut décider qu’une action réussit ou échoue, c’est une technique de résolution. Ce qui m’intéresse ici, ce sont les mécaniques formelles : celles qui utilisent des comparaisons de valeurs fixes ou aléatoires quel qu’en soit l’outil.

Pourquoi utiliser des mécaniques formelles ?

  1. L’impartialité

  2. La prévisibilité

  3. L’indétermination

  4. L’influence

  5. Les risques

  6. Catalyser l’histoire

  7. La spontanéité

1. L’impartialité

Comme je le disais, on pourrait se contenter de laisser le MJ statuer sur le résultat et les conséquences de chaque action, mais il arrive souvent que l’arbitraire des décisions du MJ soient problématiques : comme celui qui décide est juge et partie : il gère l’adversité et décide de ce que ses opposants réalisent effectivement, ses décisions seront souvent perçues comme « trop gentilles » pour éviter de frustrer les joueurs et pour ne pas faire foirer son scénario dans certains cas ou « trop dures » car il a peur de paraître trop gentil ou qu’il ne veut pas que les joueurs avancent trop vite dans les révélations de son intrigue. Même s’il essaye d’être juste, les joueurs ne peuvent en aucun cas connaître les motivations de son choix final. Cela ne permet pas de bien canaliser les frustrations.

L’autorité d’une mécanique de résolution – dès lors que tout le monde est d’accord pour adopter telle et telle technique se place en terme d’autorité – est au dessus de celle de n’importe lequel des participants puisque c’est le groupe par contrat ou consensus qui a choisi ou validé le moyen de résolution.

L’impartialité exige une certaine transparence et un respect des règles établies. Le MJ qui falsifie le résultat contrevient à ce principe et invalide le principe d’impartialité, de prévisibilité, d’indétermination et d’influence ; ce qui revient à jouer sans mécanique de résolution formelle.

2. La prévisibilité

La prévisibilité consiste à maintenir une causalité entre l’intention du joueur, son action et leur résultat. Ainsi, si je décide d’utiliser mon pouvoir de faire tomber la foudre pour faire fuir les opposants, je m’attends à ce que, quels que soient les moyens utilisés, ils répondent à ces attentes : est-ce que je parviens à faire tomber la foudre et/ou est-ce que j’arrive à faire fuir les opposants.

Une bonne prévisibilité implique deux choses : le joueur qui entreprend l’action doit être assuré que le MJ ou quel que soit le participant qui joue l’adversité, ne doit pas déjouer, dérouter arbitrairement son intention ni amener des conséquences qui transgressent la causalité.

Cela se résume à respecter l’échec ou la réussite obtenu mécaniquement et l’implication des actions entreprises et des intentions énoncées, sans quoi la prévisibilité deviendrait caduque.

C’est humain d’essayer de prévoir le résultat de nos actions, si cette prévision est déjouée par la mécanique de résolution, c’est le risque nécessaire ; si c’est le MJ qui décide que non, ça peut sembler arbitraire et illégitime, surtout quand les dés (ou quel que soit l’indicateur de résultat) indiquait une issue positive.

3. L’indétermination

L’indétermination, c’est le fait d’avoir une part d’imprévisible dans le résultat ou les conséquences de l’acte du personnage.

Si le résultat est toujours strictement ce que le joueur veut, prévoit, voire annonce sans possibilité de surprise ou d’enrichissement, alors les événements deviennent trop mécaniques, l’impression de réel est ternie, fragilisée.

Il est donc important de permettre aux participants d’ajouter des nuances quant à la manière dont les choses adviennent et surtout de ne jamais définir à l’avance les résultats des actions entreprises.

4. L’influence

L’influence c’est la façon dont le système permet au joueur d’influer sur l’issue d’un conflit : quand la mécanique se résume à cela : « quand vous tentez telle action, lancez tel dé, si le résultat est équivalent à telle marge, c’est réussi, sinon c’est raté », cela tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa sa résolution. « Le dé décide » entend-on parfois.

C’est la même chose pour les valeurs fixes, le fait d’être soumis à la rigidité d’un niveau (chiffré ou non) sans pouvoir l’augmenter (généralement moyennant contrepartie) tend à affaiblir l’implication du joueur quant à sa résolution.

L’influence peut être amenée de différentes manières :

  • faire un effort qui sera mécaniquement récompensé par une augmentation des chances d’obtention de l’issue désirée par le joueur ;

  • faire un effort qui sera potentiellement récompensé par un ou plusieurs autres participants s’ils jugent que l’effort fourni est suffisant (ou en proportion de l’effort fourni) ;

  • faire un choix, suivre un comportement qui augmente les chances d’obtenir l’issue désirée moyennant cependant une contrepartie ;

  • choisir de forcer un résultat non désirée moyennant une contrepartie pour en transformer l’issue d’une façon qui convienne davantage au joueur.

5. Les risques

Les risques sont les conséquences « négatives » d’un conflit (je mets négatif entre guillemets car il peut s’agir parfois de la moins mauvaise issue au conflit pour le joueur qui s’y confronte).

Dans beaucoup de jeux, les seuls risques sont les blessures qui conduisent à la mort, la mise hors jeu et perdre ou casser son équipement. Il y a pourtant tellement à faire : qu’ils soient directs (vise le personnage lui-même), indirects (menace d’un proche par exemple), qu’ils soient physiques, psychologiques, sociaux, qu’ils mettent en péril l’intégrité du personnage, ses buts, ses idéaux etc. le risque est un élément essentiel de la mécanique de résolution.

Quand la mécanique de résolution d’un jeu ne comporte pas de réel risque pour les PJ ou pour ce qui leur est cher, les personnages n’écopent d’aucune conséquence négative lors de leurs conflits. Le seul fait de créer une jauge de vie et une jauge de folie en enchaînant les plaies et les délires psychotiques me paraît être la modélisation de risques la plus basique et inféconde pour l’histoire jouée.

Les risques bien amenés permettent à une relation des PJ de ne pas être uniquement décorative et c’est la même chose pour les causes, les croyances etc. Cela fait participer les éléments de background du personnage aux conflits en faisant d’eux des enjeux, mis parfois en balance avec ce que le personnage cherche à obtenir sur l’instant.

Pour intégrer les risques, vous pouvez déterminer une répercussion des coups adverses sur des jauges, sur les caractéristiques du personnage, sur ses Traits, etc. Le but principal est de créer une conséquence mécanique aux conflits et donc assurer que le personnage ne restera pas inchangé face aux événements importants pour le jeu. Si vous voulez qu’il ne change pas et qu’il soit un héros « intouchable », reportez les risques sur la population qu’il doit sauver ou dont il doit garantir la sécurité, sur ses idéaux etc.

Je pense qu’il y a quatre types de risques :

  • les risques directs, visant le personnage lui-même (être blessé physiquement, psychologiquement, socialement, attaqué sur ses croyances, son histoire, ses valeurs etc.) ;

  • les risques diminuant les ressources du personnage et donc sa capacité à atteindre son but (perte de puissance, de points d’une jauge, de ressources matérielles etc.) ;

  • les risques indirects, visant ce qui est cher pour le personnage (ses relations, des PNJ qu’il protège, le gain de puissance de l’adversité etc.) ;

  • les risques entachant la réalisation même de l’objectif du personnage (pousser à l’abandon, la trahison, le pousser à utiliser des méthodes répréhensibles, causer des conséquences indésirables entachant la résolution de son objectif etc. ).

6. Catalyser l’histoire

En amenant de l’imprévu et des conséquences fécondes pour l’histoire, les mécaniques de résolution permettent de donner à l’histoire une évolution insoupçonnable, de développer des enjeux, d’en créer de nouveaux, de changer les personnages, ce qui s’avère dynamisant pour l’histoire.

7. La spontanéité

Se passer de mécaniques de résolution formelles ne vous prive pas nécessairement de tout cela, mais pour l’atteindre, il faudra généralement le prévoir à l’avance ou se forcer à le faire. La présence de telles mécaniques n’a pour but et effet que de permettre aux participants d’appréhender tout cela avec spontanéité plutôt que par calcul, permettant d’explorer des enjeux que les participants n’auraient jamais abordé en leur âme et conscience. Cela peut permettre également de mettre de l’inconscient au milieu des choix conscients. C’est une manière de tirer parti de tous les cerveaux autour de la table plutôt que d’un seul.

Les mécaniques de résolution formelles brisent de surcroît la tentation d’être consensuel, ce qui insufflerait une dynamique molle à la fiction.

***

Note : vous remarquerez que dans les mécaniques de résolution comme sur la structure générale d’une partie, principalement dans l’agencement de ses enjeux, il y a une similitude frappante quant au fait que le joueur doit pouvoir se projeter, être incertain de l’évolution de la ou des situations mais avoir une influence sur son issue (voir les articles « faire des ricochets sur l’eau » et « en cause et conséquence de la fiction »).