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Le MJ incarne la principale résistance du jeu. Cette résistance s’articule, avec le soutien des règles du jeu autour de trois points :

  • Confrontation : lorsque deux personnages sont en désaccord, les règles permettent de les départager, moyennant quelques conséquences négatives. Le MJ incarne les PNJ qui cherchent à atteindre des objectifs parfois à la frontière de la monstruosité et de la folie. Les PJ peuvent s’opposer ou s’allier selon leurs envies. Les PJ peuvent également s’opposer entre eux en cas de désaccord.
  • Négociation/chantage : Cependant, côté PNJ comme PJ, tout n’est pas blanc ou noir, mais en nuances de gris. Les mauvais actes ont souvent de bonnes motivations et les bons actes peuvent en avoir de mauvaises. Les joueurs peuvent faire face à des dilemmes.
  • Sympathie/antipathie : le capital sympathie ou antipathie d’un personnage joue un rôle important dans le crédit et le pardon que les joueurs peuvent lui accorder. De plus, les circonstances atténuantes sont souvent brouillées ou enfouies sous une histoire complexe. Il est fondamental d’apprendre qui est vraiment autrui et les véritables raisons qui l’ont poussées à devenir celui qu’il est.

Éventuellement par des découvertes et des descriptions, le MJ peut produire une certaine fascination, mais sans rétention d’informations. Le but est de comprendre rapidement les raisons d’agir des PNJ et de déclencher des conflits qui vont s’envenimer jusqu’à résoudre les situations, pas de jouer à mener l’enquête.

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Pour plus d’informations sur les résistances asymétriques :

https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

J’ai déjà parlé de la relation entre joueur et MJ comme la volonté et le monde. La réalité résiste, il nous est impossible, en tant qu’êtres humains, de casser un rocher à mains nues et pour convaincre quelqu’un il faut bien souvent du temps, des nerfs et de la sueur. Ce qui m’intéresse dans cet article, c’est la tension fertilisante qui existe entre différents participants. Le JDR donne une illusion de réalité en créant un rapport de force entre les différents participants, pour une bonne dynamique, il est important de créer une résistance saine. J’appelle cela la résistance asymétrique : elle fonctionne du fait que les rôles des participants diffèrent à une partie de jeu de rôle.

Ne pas confondre avec le « passage en force », la résistance asymétrique est une dynamique voulue par les participants. Une résistance saine utilise le système en tant que médiateur entre les participants, alors que le passage en force est la manière dont un participant impose ses idées à un groupe réfractaire, ou de telle façon que ça porte préjudice à d’autres participants en niant leur liberté ou leurs choix.

La résistance asymétrique est le contraire du consensus, le consensus est utilisé pour que tout le monde soit d’accord sur la partie jouée ensemble, éviter les grands désaccords et les fourvoiements de direction, mais cela ne signifie pas établir ce que la partie sera avant de la jouer, mais plutôt définir les limites et la démarche créative que l’on souhaite. Le consensus peut être recherché en amont d’une partie ou d’une scène, mais s’il est utilisé à tout autre moment de la partie, il tend à ramollir le jeu en se substituant à la résistance asymétrique, l’histoire ne menace plus de prendre une direction différente de celle désirée, elle se soumet aux envies des participants. Cela peut être intéressant de choisir le type d’histoire jouée, mais en aucun cas il n’est intéressant d’avoir un contrôle sur l’évolution de l’histoire.

La résistance asymétrique quant à elle se situe au cœur de ce qui est important : si les joueurs cherchent à accomplir une chose, il faudra d’autres participants qui s’y opposeront, qui leur donneront la réplique. La situation est la rencontre entre les personnages et le contexte. Si un seul joueur gère seul l’ensemble d’une situation, aucune résistance ne lui est opposée. Il faut donc des partenaires de jeux qui complèteront les situations. Le fait même qu’un autre participant ait la charge de contrôler des parties de la fiction auxquelles je n’ai pas accès constitue la base de la résistance asymétrique.

Le système de résolution constitue souvent le nœud de la résistance, mais il en existe d’autres : il peut s’agir de la mise en œuvre d’un cycle d’approbation : si mon personnage agit de façon héroïque, un autre participant me récompense, s’il juge que c’est bien le cas, d’un bonus. La résistance se situe ici entre l’adéquation avec la règle et la créativité dont fait preuve le premier joueur et le jugement du second. Plus le second sera exigeant et le premier peu imaginatif et plus la résistance sera rigide. Plus le second sera généreux et le premier imaginatif et plus la résistance sera souple. Mais l’important n’est pas d’avoir une résistance trop rigide, ce qui risquerait de décourager les participants, ni d’en avoir une trop souple également, sans quoi la partie risque de paraître fade (voir la question du consensus). Si vous n’avez aucune assurance d’avoir une résistance équilibrée, n’hésitez pas à instaurer une progression.

La résistance asymétrique, c’est la manière dont les interactions entre les personnes réelles rendent les issues incertaines des choix et propositions des participants. La résistance implique que chacun ne peut pas faire tout ce qu’il veut. La résistance asymétrique donne aux participants une emprise partagée et c’est ce partage qui fait que chaque personnage est limité.

  • Confrontation : lorsque deux participants veulent des choses contradictoires, il y a Confrontation. Les systèmes de résolution visent à résoudre ces désaccords, grâce à l’impartialité du système. Les participants doivent avoir une prise sur le système de résolution. S’il fonctionne sans le concours des participants, ce n’est pas une résistance asymétrique, juste une résistance mécanique. Si un joueur peut faire abandonner l’autre, il y a rapport de force, que ce soit en l’intimidant, en négociant etc. comme nous allons le voir dans les points suivants. Dans le cas où c’est un seul joueur qui arbitre, il faut contrebalancer son pouvoir afin d’éviter que l’arbitraire de ses décisions ne rende la résistance trop rigide ou trop souple, inéquitable, voire consensuelle entre les participants.

On pourrait imaginer que la Confrontation est présente dans tous les jeux, mais ce n’est pas forcément le cas. Un jeu comme Breaking the Ice de Emily Care Boss fonde les échanges uniquement sur les interactions positives, l’incertitude reposant sur leur fréquence, leur quantité et la clémence des dés.

Dans Prosopopée, il existe des mécaniques de résolution qui ne mettent pas en opposition les participants entre eux, mais qui les opposent à une résistance mécanique.

  • Compétition/défis : plusieurs participants se disputent un enjeu et usent de leurs ressources personnelles (logique, inventivité, calcul…) pour l’atteindre. Il y a jugement porté sur l’aptitude et la performance du participant. Les mécaniques qui permettent de surmonter cette résistance doivent être impartiales. Les participants créent les opportunités, estiment les risques, peuvent s’intimider, jouer au bluff, etc. Si cette résistance se joue sans les participants, elle n’est plus asymétrique, mais une résistance mécanique, comme cela peut arriver dans certaines pratiques n’offrant pas aux participants la possibilité d’influer sur le résultat des Conflits.

  • Négociation/chantage : consiste pour un participant à mettre en balance plusieurs enjeux d’un autre participant, afin de lui imposer un choix dont on ne peut prévoir à l’avance lequel sera fait. Aucun choix ne doit être dénué de contreparties. Cela peut donner lieu à de véritables dilemmes, mais ce n’est pas obligatoire, le simple fait de promettre une perte induit un jugement de valeur sur le choix produit.

Cette dynamique est fortement prescrite par les règles de jeux comme Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, Polaris de Ben Lehman et bien d’autres. Elle prend racine dans la manière dont les situations se constituent et se trouve verrouillée durant les Conflits, afin que les joueurs ne puissent pas trouver d’autres moyens de faire et se confrontent donc à la situation comme à un choix difficile, plutôt qu’un problème auquel il faut trouver la meilleure solution.

  • Séduction : un participant cherche à coller aux attentes d’un ou plusieurs autres, ou à les surprendre positivement. La séduction doit s’inscrire dans le respect d’un canon esthétique et le développer, ou doit chercher à entrer en résonance avec la sensibilité des participants.

Dans Prosopopée, les joueurs doivent se récompenser quand l’un d’entre eux narre quelque chose qui leur plait. Les joueurs sont donc invités à accorder de l’importance à la qualité de leurs narrations et à explorer leur créativité.

Dans Breaking the Ice, le Guide récompense le Joueur actif quand celui-ci met son personnage à son avantage ou quand il agit de manière flatteuse envers le personnage du Guide. Ici, la séduction joue par résonance avec le processus de séduction entre deux personnes.

  • Sympathie/antipathie : les participants, feront en sorte d’attirer la sympathie d’un joueur pour un personnage en dévoilant qui il est, son histoire, ses faiblesses et ses souffrances. Il peut également jouer sur l’antipathie et plus subtilement sur un jeu de sympathie/antipathie du personnage qui commet des actes immoraux mais avec de bonnes raisons, ou l’inverse. C’est généralement par les actes des personnages que se joue cette résistance.

Zombie Cinema de Eero Tuovinen donne une certaine importance à cette dynamique : le principe de « soutien » demande au joueur de prêter son dé gratuitement à un autre joueur pour augmenter ses chances de résoudre favorablement un Conflit. Ce qu’éprouve le joueur qui soutient envers le personnage tendra à justifier son choix. La mécanique de sacrifice joue d’une façon similaire, car elle permet de sauver la vie à un personnage. Un joueur ne le fera pas pour n’importe quel personnage, car cela peut mettre en danger, voire faire mourir le sien.

  • Rétention/fascination : cette résistance tire parti des mystères et des secrets. Elle met un participant en position de force (généralement le MJ), car il possède des informations que les autres n’ont pas et dont le but est de les amener à s’y intéresser, à créer une soif de découverte ou de compréhension. Il distillera les informations en fonction des choix des autres participants. Le but est d’utiliser ces moyens pour intriguer le joueur et le faire aller de l’avant. Il est important que les autres participants aient en contrepartie des espaces de créativité et une emprise sur certains enjeux afin d’éviter d’avoir l’impression d’être menés par le bout du nez. Il est préférable que les informations soient données selon un procédé transparent ; pas consensuel, mais le sentiment que le don d’information est arbitraire peut nuire à la l’implication des joueurs.

Sens Renaissance de Romaric Briand utilise ce procédé, car les secrets du monde ne se dévoilent que petit à petit et seul le MJ en est le gardien. C’est un procédé courant dans le monde du JDR, mais il confine souvent au participationnisme ou à l’illusionnisme, ce qui n’est pas, à mon avis la meilleure façon d’en tirer parti…

Innommable de Christoph Boeckle dans ses versions 007 à 009 utilise également ce procédé pour faire aller les joueurs de l’avant : le MJ a préparé une menace qui se dévoile progressivement par des indices et des évènements ambigus. Les joueurs ont une prise indirecte sur la nature de la source de la menace (généralement, un secret occulte, une créature indicible), par l’intermédiaire de monologues faisant sombrer les personnages entre surnaturel et folie, ils donnent forme à la menace. Le MJ, lui contrôle essentiellement les adversaires : humains voulant tirer parti de la source.

C’est assez rare, mais je suis convaincu qu’il est possible de donner des informations secrètes à plusieurs participants et de les intégrer à la partie petit à petit.

Il existe d’autres relations un peu différentes, plus ou moins fonctionnelles :

  • Participationnisme : un des participants (le MJ) connaît l’histoire à l’avance et les autres joueurs acceptent de la suivre, quitte à sacrifier leur liberté. Ils s’efforcent de coller aux attentes de celui qui dirige. Il est important que les joueurs aient pleine connaissance du fonctionnement de la partie et qu’ils l’acceptent, sans quoi, il peut y avoir friction. Ce principe joue donc sur un consensus, avec toutefois un enjeu de taille : celui qui dirige a pour tâche de donner aux autres quelque chose qui leur plait suffisamment pour justifier son contrôle sur l’Espace Imaginé et Partagé. Il s’agit souvent d’une forme de rétention/fascination poussée jusqu’à l’extrême. La différence se situe à l’endroit que la rétention peut être produite sur des éléments indépendants des choix des joueurs, alors que le participationnisme s’efforce de faire s’accomplir la destinée des personnages avec la complicité des joueurs.

  • Illusionnisme : le MJ fait croire aux joueurs qu’ils sont libres, mais il orchestre tout secrètement. Les choix des joueurs n’ont pas de réelle importance puisqu’ils mèneront toujours là où le MJ l’a prévu. L’illusionnisme constitue un rapport de force vicié, car l’enjeu est généralement trop grand pour le MJ pour pouvoir maintenir l’illusion en permanence. Dès que les joueurs s’en rendent compte, le jeu risque d’être rompu pour eux. L’illusionnisme compile un ensemble de Techniques visant à cacher la manière dont les décisions sont véritablement prises, par exemple, le MJ décide des niveaux de difficulté sans en parler aux joueurs afin de pouvoir les modifier secrètement et ainsi décider ce qui réussit et ce qui échoue conformément à l’histoire qu’il veut obtenir, sans se soucier réellement des résultats des dés. Les joueurs, eux, lancent leurs dés pensant que le résultat importe, ce qui n’est pas le cas. Si les joueurs se rendent compte que ça ne sert à rien, ils n’auront plus d’intérêt à lancer les dés.

Il est important de garder à l’esprit que les différents rôles mis en œuvre n’ont pas besoin d’être figés sur toute la durée d’une partie, il peut y avoir alternance : le joueur jugeant devient le joueur jugé, celui qui dresse les confrontations peut devenir celui qui les subit en cours de partie, etc.

Une séance de JDR n’utilise généralement pas qu’une seule de ces résistances asymétriques. Il n’est pas évident de prédire quelle sera la résistance asymétrique à l’œuvre durant une partie et pour les créateurs de jeux, je suggère de vérifier pendant les parties les dynamiques à l’œuvre pour les renforcer ensuite.

Je n’ai jamais vu une partie toutes les mêler sans créer des clivages entre les participants, mais on peut facilement en mélanger jusqu’à trois. Elles sont liées aux démarches créatives, mais on ne peut pas les y limiter : un jeu de rôle qui soutient une démarche créative « story now » comme Zombie Cinema fonctionne par un mélange de Confrontation (les joueurs sont souvent en opposition, les mécaniques de résolution de Conflit permettent de les départager), de sympathie/antipathie (les autres joueurs choisissent de soutenir un joueur en fonction de la situation, la sympathie/antipathie pour le personnage jouant un grand rôle ; le fait de pouvoir se sacrifier pour sauver un PJ fonctionne aussi sur ce principe) et de négociation (la règle de sacrifice et le choix de lancer ou non un Conflit peuvent amener les joueurs à privilégier un choix en sacrifiant autre chose).

Breaking the Ice fonctionnant selon une proposition créative similaire à Zombie Cinema n’utilise pourtant pas la Confrontation et place la séduction au premier plan. Il peut donc y avoir des différences nettes de résistances asymétriques dans des jeux soutenant le même type de démarche créative.

Chaque partie de Zombie Cinema se centre plus sur certaines résistances asymétriques que sur d’autres, certains pourront faire des efforts pour rendre leurs personnages sympathiques quand d’autres se concentreront sur la négociation/chantage.

Les questions que l’on doit se poser lors d’un game design, sera qui assume quel part de ces schémas : sont-ils plusieurs à assumer le même rôle ? Ou est-ce une personne indépendante ? Cette organisation peut-elle changer pendant la partie ? Y a-t-il des exceptions ?

C’est en différenciant les rôles et les tâches des participants, que ce soit de façon temporaire ou permanente, que vous produirez ces dynamiques de résistance asymétrique. Quand vous avez repéré celles qui prédominent dans les parties de votre jeu, vous devriez parvenir plus facilement à discriminer les techniques qui y sont appropriées et celles qui les parasitent.

Par exemple, il peut être difficile de faire fonctionner une résistance fondée sur la séduction s’il y a une compétition qui positionne un participant à la fois comme juge et compétiteur, tout comme l’utilisation de secrets peut donner aux joueurs le sentiment que les choix d’un « chantage » ne sont pas les seuls possibles et qu’en creusant ils pourront contourner le dilemme proposé…

Les commentaires sont toujours les bienvenus.

Mon jeu Démiurges a accompagné mes réflexions théoriques, en a bénéficié et les a souvent nourries. Ce portrait théorique illustre concrètement ces développements théoriques tels qu’ils ont influencé le développement du jeu. Je publierai environ un article par semaine sur le sujet.

Voici les 18 billets réunis. Questions et commentaires bienvenus !

 

#1: La Préparation de partie

Démiurges comporte une méthode de préparation de partie, dite en Canevas.

Le MJ ne prépare qu’une situation initiale, les PNJ qui la composent, les enjeux qui les opposent et relie tout cela aux PJ. Les conflits sont latents et n’attendent que d’éclater.

L’avantage de cette préparation est que la liberté d’action des joueurs ne contredit pas la préparation du MJ. Les joueurs peuvent résoudre les choses comme ils l’entendent. Le MJ jette de l’huile sur le feu et regarde comment les choses évoluent. Une fois les enjeux résolus, il clôt la partie.

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Pour plus d’information, voir ces deux articles :

https://www.limbicsystemsjdr.com/comment-ecrire-un-scenario-non-dirigiste/

https://www.limbicsystemsjdr.com/article-se-liberer-des-paradoxes-du-scenario-sur-le-maraudeur/

La méthode de Canevas de Démiurges est également présentée ici :

https://www.limbicsystemsjdr.com/demiurges-preparation-de-parties/

 

#2: schéma d’évolutivité narrative

L’évolutivité narrative est une façon d’évaluer la liberté d’action et la prise qu’ont les joueurs sur l’histoire au cours d’une partie ou dans un jeu de rôle.

Les schémas d’évolutivité narrative reposent sur trois points : le départ, l’arrivée et le corps, qui correspondent à la capacité qu’ont les joueurs d’influer sur ces moments dans la partie.

La méthode de préparation de parties en Canevas repose sur une situation initiale centrée sur une poignée de PNJ.

  • Départ : À quel point le départ est-il prévu par le MJ ou le scénario avant de jouer ? Dans le cas de Démiurges, le MJ prépare une Situation Initiale, donc le point de départ est prévu. Mais il peut être influencé par les relations des PJ, car le début d’une partie de Démiurges commence généralement par des scènes dans lesquelles ces relations sont explorées avant que la situation initiale soit lancée.
  • Arrivée : La fin est-elle prévue à l’avance ? Dans Démiurges, la fin n’est pas prévue à l’avance, tout est possible. Le MJ joue pour voir ce qu’il va se passer, les actions des PJ ont un rôle crucial dans la construction de la fin de la partie. Si un PNJ principal meurt, la partie peut se poursuivre.
  • Corps : Le corps de la partie englobe tout ce qu’il y a entre le départ et l’arrivée ; à quel point les actions des joueurs sont encadrées ou libres et dans quelle mesure les joueurs peuvent ajouter des enjeux périphériques. Dans Démiurges, les joueurs peuvent faire évoluer l’histoire de façon libre et imprévue et y apporter des enjeux périphériques à la préparation du MJ.

Une partie de Démiurges correspond aux schémas en Semi-Arène ou en Cône, selon les cas de figure. Les joueurs ont une très grande liberté de Positionnement dans une partie dont les enjeux initiaux sont conditionnés par la préparation du MJ.

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Pour plus d’informations (les exemples concernant Démiurges dans l’article suivant parlent d’une ancienne version du jeu très différente de l’actuelle) :

https://www.limbicsystemsjdr.com/schemas-d-evolutivite-narrative/

 

#3: Synesthésie

Les Traits sont des mots ou courtes phrases que le joueur invente, définissant le PJ et ce qui compte pour lui. Quand un joueur agit conformément à un de ses Traits durant une Confrontation, il gagne des dés pour l’aider.
Les Traits donnent du sens aux pouvoirs utilisés et créent un lien entre le vécu, les convictions, les liens du personnage, et ses actes et la manifestation de son pouvoir.

Par exemple : pour soigner son frère, Ilona utilise sa Caractéristique Intellect (2) son Trait de médecine (1), sa relation avec son frère (2), son Trait reflétant sa conviction que toute vie est précieuse (3) et son pouvoir d’alchimie (2). Elle lance 10 dés.

A l’issue d’une Confrontation, un joueur peut imposer un Trait à un autre personnage, qui représente comment la situation peut l’avoir fait changer d’avis et peut avoir instillé le doute en lui. Le joueur est toujours libre de ne pas utiliser ces Traits contraires à ses valeurs initiales. Mais l’avantage qu’ils confèrent pendant un conflit peut être décisif et il peut être fortement tenté de les utiliser. Cette tension est un élément important de la synesthésie du jeu. Il met le joueur dans une position de tension interne et de doute qui reflète les contradictions psychologiques du personnage.

Par exemple : Bachir considère que la liberté est ce qu’il y a de plus important. Au cours d’un conflit contre un adversaire dangereux, il se rend compte qu’il ne parviendra jamais à le faire changer et refuse de l’emprisonner. S’il ne le tue pas, il mourra. À l’issue du conflit, le MJ écrit sur la fiche de Bachir un nouveau Trait : “Parfois la mort est la seule solution.”

Plus tard dans la campagne, alors que jusqu’ici il s’abstenait d’utiliser ce nouveau Trait, Bachir finit par s’en servir en donnant la mort à un criminel (sans l’aide de ce Trait, il n’aurait pas pu emporter la Confrontation). Il ressemble de plus en plus à ceux qu’il combat.

Autre exemple : Maât tente de dissuader Friedrich de modifier l’esprit d’un criminel. L’argumentation de Maât porte sur le fait que changer l’esprit d’une personne contre son gré est une violation de son intégrité. Maât est victorieuse, elle ajoute le Trait suivant sur la fiche de Friedrich : “Je n’ai pas le droit de changer les autres selon mon bon vouloir.”

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Le concept de Synesthésie tel que je l’emploie en JdR est développé ici :

https://www.limbicsystemsjdr.com/retour-sur-la-synesthesie/

 

#4: le Partage des Responsabilités

Les Responsabilités sont ce qu’un participant peut raconter dans la fiction et son droit de valider ou invalider les propositions des autres. On appelle souvent le partage des Responsabilités “partage de narration”. Voici celui de Démiurges :

  • Les joueurs interprètent leurs personnages, leurs actes, paroles et pensées.
  • Le MJ joue les PNJ, il les fait agir vers leurs objectifs, décrit le décor et révèle son Canevas (sa préparation de partie).
  • Les joueurs ont un droit de veto sur ce qui définit leurs personnages : Le joueur décide à quoi ressemble son personnage, comment il s’habille, comment il s’exprime, etc. Si un PJ possède un appartement, il peut décider à quoi il ressemble et ce qu’il contient, dans la mesure où cela reste crédible avec le niveau social du personnage. S’il laisse le MJ le décrire, il peut redéfinir ce qui ne lui convient pas.
  • Le MJ a un droit de veto sur tout ce qui concerne son Canevas (si des éléments de son Canevas concernent le passé des PJ il a un droit de veto dessus).
  • Quand les joueurs posent des questions au MJ sur le décor et sur leurs moyens d’agir, le MJ répond toujours oui ou leur retourne la question. Ce qui revient pour les joueurs à pouvoir décrire des éléments de décor à condition qu’ils s’inscrivent dans les besoins d’un action et qu’ils ne contredisent pas ce qui a été dit avant.
  • Chaque participant (MJ et joueur) garde le contrôle sur son personnage pendant les narrations de résultat des conflits, mais ils doivent se soumettre au résultat des dés (victoire ou défaite). C’est donc le joueur lui-même qui décrit les blessures reçues par son personnage, mais il est contraint par la narration d’action de son adversaire (si l’adversaire raconte qu’il tire dans la jambe de mon personnage, je dois raconter une blessure par balle à cet endroit).
  • Celui qui gagne l’enjeu d’un conflit (joueur ou MJ) raconte comment il l’obtient.
  • La crédibilité des propositions est garantie par le niveau d’exigence du groupe. Le MJ a le dernier mot, mais il doit prêter attention à l’avis du joueur le plus exigeant.

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Pour en savoir plus sur le concept de Responsabilités, lire l’article suivant :

https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

 

#5: Le Truc Impossible Avant Le Petit Dèj

Ce sont les joueurs qui conduisent l’histoire : le MJ prépare des PNJ, plante la situation initiale, agit dans le sens des intérêts des PNJ, mais suit les décisions des joueurs et joue pour voir ce qui va se passer. Le MJ est en retrait, il crée des difficultés et donne le change aux joueurs, mais ne dirige pas l’histoire et n’a aucun plan de ce qu’il doit se passer.

Ainsi, on évite des règles paradoxales dans lesquelles les PJ sont prétendument les protagonistes de l’histoire, mais où le déroulement prévu à l’avance du scénario contraint leurs actions et dépossède les joueurs de la possibilité d’impacter l’évolution de la partie. Contrairement à d’autres jeux de rôles, le MJ ne dirige pas l’histoire dans Démiurges, il ne fait que poser un cadre et jouer les PNJ en fonction de leurs objectifs.

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Le truc impossible avant le petit dèj est un concept de Ron Edwards développé sur cet article de M.J.Young traduit en VF sur PTGPTB :

http://ptgptb.fr/theorie-101-2eme-partie-le-truc-impossible-avant-le-petit-dej

 

#6: Faire des ricochets sur l’eau

Du fait d’une préparation en situation initiale, il est important d’avoir de quoi rebondir et créer des péripéties afin d’éviter l’essoufflement de la tension en cours de partie.

D’où la métaphore des ricochets sur l’eau qui illustre l’idée que dans un jeu sans scénario, il faut un moyen de relancer la tension de la partie après le coup d’envoi et faire rebondir le galet pour ne pas le laisser couler.

Le premier élément du jeu qui permet de dynamiser la partie, c’est la mécanique de résolution : à chaque fois qu’on lance les dés pour résoudre une confrontation, la situation s’en trouve transformée. On ne reste pas bloqué devant une porte qui ne veut pas s’ouvrir, face à un PNJ qui fait de la rétention d’information ou parce que les joueurs ont raté un indice. Quand une confrontation est jouée, la situation change, mais aussi les personnages qui l’ont disputée, en recevant une blessure ou un nouveau Trait reflétant le point de vue adverse. De nouvelles Confrontations découlent des conséquences des choix (qu’un PNJ peut toujours remettre en question) faits par les joueurs.

Le deuxième élément, c’est le fait que ce sont les PNJ qui portent le gros des enjeux de la préparation. Ils permettent de créer une adversité et une intrigue dynamiques et d’aller trouver les PJ si les PJ ne viennent pas à eux.

Le troisième, ce sont les révélations contenues dans la préparation du MJ qui permettent de compliquer une situation, changer l’angle de compréhension d’un problème, donner plusieurs couches d’épaisseur aux PNJ et rythmer la partie.

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La métaphore des ricochets est développée dans cet article :

https://www.limbicsystemsjdr.com/faire-des-ricochets-sur-leau/

 

#7: La résistance asymétrique

Le MJ incarne la principale résistance du jeu. Cette résistance s’articule, avec le soutien des règles du jeu autour de trois points :

  • Confrontation : lorsque deux personnages sont en désaccord, les règles permettent de les départager, moyennant quelques conséquences négatives. Le MJ incarne les PNJ qui cherchent à atteindre des objectifs parfois à la frontière de la monstruosité et de la folie. Les PJ peuvent s’opposer ou s’allier selon leurs envies. Les PJ peuvent également s’opposer entre eux en cas de désaccord.
  • Négociation/chantage : Cependant, côté PNJ comme PJ, tout n’est pas blanc ou noir, mais en nuances de gris. Les mauvais actes ont souvent de bonnes motivations et les bons actes peuvent en avoir de mauvaises. Les joueurs peuvent faire face à des dilemmes.
  • Sympathie/antipathie : le capital sympathie ou antipathie d’un personnage joue un rôle important dans le crédit et le pardon que les joueurs peuvent lui accorder. De plus, les circonstances atténuantes sont souvent brouillées ou enfouies sous une histoire complexe. Il est fondamental d’apprendre qui est vraiment autrui et les véritables raisons qui l’ont poussées à devenir celui qu’il est.

Éventuellement par des découvertes et des descriptions, le MJ peut produire une certaine fascination, mais sans rétention d’informations. Le but est de comprendre rapidement les raisons d’agir des PNJ et de déclencher des conflits qui vont s’envenimer jusqu’à résoudre les situations, pas de jouer à mener l’enquête.

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Pour plus d’informations sur les résistances asymétriques :

https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

 

#8: Personne ne sera blessé ou Je ne vous abandonnerai pas ?

Personne ne sera blessé est une démarche sociale excluant l’idée d’aborder des thèmes sensibles ou difficiles, de manière à éviter toute forme de malaise ; cette démarche met une limite franche, parfois explicite, les participants doivent s’y conformer.

Je ne vous abandonnerai pas signifie que l’on souhaite aborder des thèmes sensibles ou difficiles et que l’on compte réunir les conditions adéquates à ce que cela se passe bien, y compris en faisant attention les uns aux autres.

Démiurges est particulièrement efficace sous l’angle Je ne vous abandonnerai pas. Les thématiques se révèlent souvent complexes dans un monde en nuances de gris. Il n’y a pas de frontière clairement délimitée entre le bien et le mal. Ce sont les actes qui définissent les personnages et ainsi les joueurs peuvent faire face à des situations graves, moralement violentes ou dérangeantes.

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Plus d’informations sur ces concepts de Meguey Baker :

https://www.limbicsystemsjdr.com/un-contrat-social-sain/

 

#9: Espaces de créativité

En plus d’avoir le contrôle sur les actes, les paroles et les pensées de son personnage, le joueur définit la nature de ses relations, ce qu’il crée (via ses pouvoirs ou non) et les choses et lieux qui lui appartiennent. 

Il invente la forme et l’effet de ses pouvoirs (dans le cadre défini par les règles). Ce qui constitue une part importante du fun du jeu.

Voici quelques exemple tirés de parties réelles :

  • Une alchimiste aveugle transmute un pistolet équipé d’une caméra qu’elle connecte à son système nerveux pour viser et tirer avec.
  • Une alchimiste prend possession d’un homme politique en faisant de son corps un golem pour changer la société de l’intérieur.
  • Un alchimiste du corps soigne des animaux errants qui deviennent ses compagnons.
  • Un arithmancien contrôle les influx électriques circulant dans un ordinateur pour le pirater et en modifier les données.
  • Un comédien arithmancien améliore l’impact émotionnel de sa voix et produit des effets pyrotechniques pour pousser son public à se révolter contre un gouvernement corrompu.
  • Une antiquaire psychomètre collectionne les objets anciens pour apprendre des arts martiaux oubliés et apprendre à parler toutes les langues de l’Humanité.
  • Un psychomètre lit les pensées d’un criminel pour comprendre les raisons de son acte, puis les efface de sa mémoire pour l’empêcher de recommencer.

Enfin, le joueur raconte le résultat des conflits qu’il remporte et les mauvais coups qu’il subit.

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Plus d’infos sur les espaces de créativité :

https://www.limbicsystemsjdr.com/espaces-de-creativite/

 

#10: Question dramatique

J’identifie trois principales questions dramatiques dans tous types de fictions (interactives ou non):

  1. Le protagoniste atteindra-t-il son objectif ?
  2. Quel prix devra payer le protagoniste pour atteindre son objectif ? et le paiera-t-il ?
  3. On sait que le protagoniste atteindra – ou non – son objectif, comment cela se produira-t-il ?

Dans Démiurges, le principe de victoire ou de défaite est relatif, car les pertes en chemin se bornent rarement à un affaiblissement technique du PJ (perte de ressources, de matériel, etc.). Ce sont ses convictions, ses relations et tout ce qui compte pour lui qui est mis en danger.

Chaque perte fait partie du prix à payer pour atteindre son objectif et quand un joueur renonce ou change de camp, c’est tout à fait acceptable dans le jeu. Le sacrifice est le climax d’une partie ou d’une campagne. Le but du MJ est de tenter le joueur de sacrifier quelque chose qui compte pour son personnage et pour lui.

La question dramatique à laquelle on répond au cours d’une partie de Démiurges est “Quel prix le protagoniste devra-t-il payer pour atteindre son objectif ?

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Pour aller plus loin :

https://www.limbicsystemsjdr.com/3-questions-dramatiques/

 

#11: L’influence des joueurs sur la fiction

Concernant le partage des Responsabilités, les joueurs peuvent contrôler un peu plus que leur personnage: ils peuvent inventer des éléments du décor à partir du moment où ils servent les actions qu’ils entreprennent et ils gardent le contrôle sur ce que subissent leurs personnages.

Pour ce qui est de l’influence sur l’histoire :

  1. Le choix des moyens : les joueurs inventent eux-mêmes les solutions aux problèmes qu’ils rencontrent.
  2. Conséquences immédiates : les décisions des joueurs impactent l’évolution des situations ; l’évolution de l’histoire n’est pas prévue dans un scénario.
  3. Victoire ou défaite : les décisions des joueurs ne conduisent pas l’histoire vers une victoire ou une défaite stricte.
  4. Fin ouverte : la fin n’est pas de prévue et chaque micro-décision des joueurs peut radicalement modifier le dénouement de la partie.
  5. Liberté de prise de parti : le camp que défend le joueur au début de la partie n’est pas prévu ni fixé : il peut changer en cours de route.

Dans le schéma ci-dessous, j’ai placé Démiurges un peu plus à droite que Dogs in the Vineyard ou Apocalypse World pour exprimer le fait que les joueurs décrivent les résultats des Confrontations pour leurs personnages, et qu’ils peuvent enrichir le décor pour les besoins de leurs actions. J’ai tendance à jouer comme ça à DitV, mais ce n’est pas vraiment formalisé dans le texte du jeu.

Un point particulier du game design du jeu particulièrement important concernant l’influence des joueurs sur l’histoire, mais qui n’est pas visible sur ce graphique : à l’issue de chaque partie, les joueurs peuvent choisir comment commence la partie suivante, voire ce qu’ils souhaitent y faire. Ce qui leur offre un pouvoir important sur l’évolution d’une campagne.

 

 

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Pour plus d’informations sur ces concepts, voir les articles suivants :

https://www.limbicsystemsjdr.com/differents-degres-dimpact-des-joueurs-sur-lhistoire/

https://www.limbicsystemsjdr.com/linfluence-des-joueurs-sur-la-fiction/

 

#12: Combativité et Absorption

Dans Démiurges, les PJ se retrouvent au milieu d’une situation conflictuelle dans laquelle ils prennent position. La mécanique de résolution leur permet de prendre le contrôle des enjeux importants en cas de victoire.

De plus, la mécanique de résolution repose sur des choix : subir des conséquences psychologiques/physiques, ou bien obtenir l’enjeu du conflit (voire sacrifier quelque chose qui compte pour le personnage afin de sauver l’Enjeu du conflit). Ceci renforce efficacement la Combativité, car le joueur a la possibilité de modifier l’issue d’un jet de dés et ses choix impactent l’évolution de la situation.

L’Absorption n’est pas en reste, car entre les moments de conflit il y a tout l’espace pour investir son personnage, exprimer sa personnalité, son quotidien et ses relations.

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Pour creuser les concepts de Combativité et Absorption, lire l’article suivant :

https://www.limbicsystemsjdr.com/combativite-absorption/

 

#13: Les choix

  • Choix prévu : un choix est “prévu” quand le MJ ou le scénario ont déterminé quelle était la bonne solution à l’avance. Dans Démiurges, les enjeux initiaux sont prévus, mais évoluent rapidement en une situation imprévue. Les joueurs décident eux-mêmes comment ils résolvent les situations. Aucune solution n’est prévue à l’avance.
  • Choix adapté : un choix est “adapté” quand le MJ juge si une décision d’un joueur fonctionne ou non. Dans Démiurges, le MJ ne juge pas quelles solutions sont suffisamment bonnes ou pas pour réussir. Toute solution est bonne par défaut. Tous les participants estiment quelles propositions manquent de crédibilité et encouragent le joueur à corriger le tir.
  • Choix optimisé : un choix est optimisé quand le joueur cherche les conditions les plus propices à sa réussite. Dans Démiurges, les joueurs peuvent tenter d’optimiser l’utilisation de leurs ressources (Caractéristique, Traits et pouvoir) dans le but de gagner. Néanmoins le véritable enjeu de l’utilisation de ces ressources concerne les conséquences des choix et prises de parti du personnage dans une situation donnée et sa responsabilité dans les problèmes qu’il a provoqués, que sur une quelconque dimension tactique. En effet : utiliser un Trait lié à la violence dans un conflit contre quelqu’un de proche peut être avantageux, mais c’est prendre le risque d’affecter durablement la relation.
  • Choix formel : un choix est “formel” quand il est conforme aux attentes du MJ, du scénario, de l’univers ou du genre établi. Il n’en est pas moins créatif. Dans Démiurges, les joueurs ont toute latitude de décrire leurs personnages, leur comportement, leur apparence, mais aussi ce qui leur appartient, ce qu’ils créent ou encore leurs pouvoirs. Néanmoins, l’esthétique est inféodée aux exigences dramatiques des situations (là où d’autres jeux ou pratiques privilégient un rapport inversé).
  • Choix ouvert : un choix est “ouvert” quand les situations et enjeux posés par le MJ n’ont pas de “bonne solution”. Dans Démiurges, les joueurs sont libres d’aborder et de résoudre les situations et les enjeux qui les composent comme ils l’entendent. Mais assumeront-ils les conséquences de leurs choix jusqu’au bout ?

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Pour approfondir le sujet: https://www.limbicsystemsjdr.com/question-de-choix/

Les choix portés par la mécanique du jeu sont développés dans le billet suivant: https://www.limbicsystemsjdr.com/demiurges-mecaniques-de-resolution/

 

#14: les trois dimensions

Action : les joueurs sont-ils libres de suivre les objectifs et de défendre les causes de leur choix, ou bien sont-ils contraints par le jeu ou par le scénario ? Dans Démiurges, le MJ prépare les enjeux initiaux de la partie, sans prévoir comment les événements vont les faire évoluer. Cependant, en campagne, les joueurs choisissent le fil conducteur sous la forme d’un “but commun” et décident de la transition entre chaque parties, ce qui leur donne une prise importante sur l’évolution de l’histoire. Une fois les enjeux du Canevas révélés, les joueurs sont parfaitement libres : les PJ peuvent prendre le parti de n’importe quel PNJ et s’opposer entre-eux jusqu’à éventuellement devenir antagonistes.

Focus : la répartition de la parole entre les participants est elle contrainte ou formalisée ? Dans Démiurges, les joueurs peuvent prendre la parole et intervenir n’importe quand dès lors que leur personnage est présent dans la scène. Si un PJ n’est pas présent, son joueur peut l’y intégrer. Il n’y a pas de répartition formalisée du temps de parole par un découpage de scènes ni de “coups de projecteurs” sur un PJ à la fois, par exemple.

Espace : les PJ sont-ils contraints dans leurs déplacements, de façon avouée ou non ? Les huis-clos ou les points de passage obligés sont une forme de contrainte spatiale. Dans Démiurges, les joueurs ne sont pas contraints dans leurs déplacements. Les enjeux et révélations importantes préparées par le MJ sont entre les mains des PNJ. Ainsi, si un PJ s’enfuit et quitte la ville, les PNJ ont des raisons de le retrouver et de le maintenir au cœur des conflits. Cela dit, les PNJ en question gravitent autour d’un lieu principal, si un PJ le quitte, les autres lieux devront être créés au pied levé par le MJ.

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Voir cette article pour aller plus loin :

https://www.limbicsystemsjdr.com/les-trois-dimensions/

 

#15: Le jeu nécessite-t-il une forme de compensation ?

Compenser signifie prendre plaisir à une partie pour des raisons qui ne sont pas induites par le jeu.

Démiurges est entièrement bâti autour d’une proposition créative claire et les comportements et techniques adaptées sont indiquées dans le manuel. La proposition créative du jeu est révélée lorsqu’on y joue en lâcher prise, c’est-à-dire sans y incorporer d’habitudes de jeu venant d’autres types de pratiques.

Hans sait jouer en lâcher prise.

C’est donc un jeu qui ne demande pas aux joueurs de compenser, dans la mesure où ils épousent la proposition du jeu (j’appelle parfois cette approche “catalyser”).

Côté MJ, le jeu propose toutes les techniques de maîtrise et de préparation pour garantir une cohérence optimale entre toutes les composantes du système. Le but de cette cohérence est de permettre au MJ de se focaliser sur le cœur de la pratique proposée : jouer l’adversité, suivre les initiatives des joueurs, placer les révélations de sa préparation au meilleur moment (sans avoir à tordre, réécrire ou remiser en cours de partie ce qu’il a préparé, pour pouvoir suivre les joueurs), faire monter la tension et appliquer les règles (sans avoir à les changer, les adapter ou les bricoler en cours de partie).

Bien entendu, si le groupe souhaite modifier l’approche initiale du jeu, rien ne l’en empêche. Cependant je ne peux garantir que la qualité de l’expérience que j’ai travaillée à consolider longuement et c’est celle qui est prescrite dans le livre du jeu.

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Plus d’infos sur la compensation :

http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/compenser

 

#16: l’économie du jeu

Adam Smith est pour l’autorégulation des systèmes de jeu qui, grâce à la main invisible du MJ, garantit l’harmonie à la table de jeu de rôle.

J’appelle “Économie” d’un jeu la façon dont l’ensemble de ses mécaniques s’articulent. Voici, dans les grandes lignes, le fonctionnement de l’économie de Démiurges :

  • Les Confrontations permettent de résoudre les conflits et désaccords entre deux personnages ou plus en lançant des dés.
  • Pour augmenter ses chances de gagner une Confrontation, le joueur mobilise ses Ressources en fonction de la situation, des personnages concernés, de ses actions et par choix (Caractéristiques, Traits et Pouvoirs).
  • À l’issue de la Confrontation, le joueur peut gagner ou perdre l’enjeu de la Confrontation et infliger ou subir des Retombées. Selon les dés qu’il joue, le joueur peut choisir de privilégier l’enjeu ou les Retombées au détriment de l’autre.
  • Il peut également sauver l’enjeu en sacrifiant quelque chose qui lui est cher.
  • Donc le joueur a toujours la possibilité de gagner l’Enjeu s’il le souhaite vraiment, mais si les dés sont contre lui, il devra en payer le prix.
    • Les dés servent surtout à faire monter les enchères pour gagner l’enjeu du conflit et éviter les Retombées.
  • Infliger des Retombées signifie changer quelque chose sur la fiche du personnage qui les subit. Les Ressources du joueur s’en trouvent modifiées :
    • En cas de blessure, une Caractéristique est cochée (avec risque de mort si la blessure est très grave) et inutilisable jusqu’à ce qu’un soin soit prodigué.
    • En cas de Retombée psychologique, l’adversaire crée un nouveau Trait sur la fiche du personnage (qui peut refléter un point de vue différent ou antagoniste par rapport à ce que le PJ défendait jusque-là) ou modifie un des Traits existants.
    • L’Expérience permet au joueur de faire évoluer ses Caractéristiques, Traits ou pouvoirs dans le sens qu’il entend (contrairement aux Retombées).
  • Le participant qui gagne l’Enjeu raconte de quelle façon la situation évolue.
  • Le participant qui inflige des Retombées à un autre personnage modifie ses Ressources. Lorsqu’une nouvelle Confrontation a lieu, le joueur ayant reçu des Retombées peut choisir d’utiliser ou non le nouveau Trait qui lui a été créé ou un Trait qui a été modifié et donc d’éventuellement trahir ses anciennes positions.

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Pour approfondir le sujet :

https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

 

#17: La Prémisse

Francis Bacon, Autoportrait

La prémisse est la problématique d’un JdR, autrement dit, la question qu’il pose. Les joueurs, de par leurs décisions, répondront via les actes de leurs personnages à cette question (qui ne peut donc pas être résolue par le jeu, l’univers ou un scénario, la question est ouverte et chaque acte des PJ sera une bribe de réponse de la part joueurs).

La prémisse de Démiurges est : “Dépasser la condition humaine fait-il de nous des monstres ?”

En effet, les pouvoirs des PJ leur permettent d’échapper aux limites du corps, de l’esprit et de la société. Au cours du jeu, ils sont amenés à faire face à des personnages tourmentés, parfois monstrueux et pour accomplir leur rêve, ils peuvent être amenés à commettre des actes proches de leurs adversaires et évoluer vers une perte d’humanité.

Les Traits des personnages reflètent leur évolution psychologique et l’impact qu’ont leurs adversaires sur leur éthique. L’ensemble de leurs Traits esquisse leurs tensions internes et contradictions, leurs idéaux et tout ce qui compte pour eux. Et tout cela peut être altéré, voire remodelé par les événements de la partie.

La phrase de Nietzsche “Qui trop combat le dragon devient dragon lui-même.” exprime sans doute formidablement ce principe au cœur de Démiurges.

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Le concept de Prémisse est expliqué par Ron Edwards dans l’essai Narrativism: Story Now, au chapitre Premise :

http://www.indie-rpgs.com/_articles/narr_essay.html

Il s’inspire du concept de « Premise » décrit par Lajos Egri dans The Art of Dramatic Writing.

 

#18: Vide fertile

Parfois la vie naît dans des endroits inattendus – Cowboy Bebop, Toys in the Attic

Le Vide Fertile dans Démiurges repose sur deux axes :

1) Tout d’abord, l’évolution de l’histoire de chaque partie se fait par synergie entre les décisions des joueurs et du MJ. Rien n’est écrit à l’avance et les décisions de chacun peuvent conduire à des dénouements imprévisibles. Ce principe repose sur le fait que les joueurs dirigent l’histoire et que le MJ répond à leurs initiatives en compliquant la situation et en se servant de son Canevas pour introduire des problématiques profondes dans la partie. Mais ce n’est pas le Vide fertile : cela crée les conditions pour que le Vide Fertile puisse exister dans ce jeu.

2) Face à des choix difficiles, les joueurs sont amenés à peser scrupuleusement leur façon d’agir. Leurs Traits étant un moyen d’augmenter leurs chances de succès, les joueurs sont tentés d’agir dans leur sens.

Plus le jeu avance et plus les joueurs vont avoir sur leurs fiches des Traits créés par leurs adversaires. Ils sont libres de ne jamais les utiliser, mais s’ils le font, ils augmentent leurs chances de succès. Les actes des PJ seront le reflet de leur évolution psychologique et morale.

Par exemple, un PJ refusant la violence, en combattant des adversaires violents, peut voir sur sa fiche apparaître au fil des Confrontations un ou plusieurs Traits le tentant de trahir ses convictions sur le sujet. S’il utilise un de ses Traits validant l’utilité de la violence, comment le justifier auprès de ses relations ? Ses adversaires vont-ils lui paraître plus proches de lui ?

En campagne, l’évolution des PJ peut se révéler spectaculaire.

Le joueur peut éprouver une tension entre l’être et les actions de son personnage. C’est le cœur du Vide Fertile de Démiurges. Pour obtenir quelque chose ou se protéger d’une autre, les joueurs doivent faire des sacrifices. Ce qu’ils acceptent, ou abandonnent, ainsi que leurs concessions vont modifier leurs personnages. Les Traits sur la fiche sont le reflet de cette évolution. Même un personnage qui reste droit dans ses bottes le fait au détriment d’autres personnages ou de sa propre intégrité physique et psychologique.

Une partie de l’évolution des PJ échappe aux joueurs, pour les mener là où ils ne seraient probablement jamais allés par eux-mêmes.

Cette tension est d’autant plus efficace du fait que l’histoire s’écrit par les actes des PJ. L’histoire jouée est faite des conséquences des décisions des joueurs. Les joueurs sont pleinement responsables des conséquences de leurs actes qui façonnent l’histoire jouée.

Démiurges est un jeu dans lequel il n’y a pas de frontière clairement tracée entre ce qui est bien ou mal. Il n’y a pas de héros ou de méchants, tout a des conséquences et les actes mauvais sont souvent mus par de bonnes raisons et les actes bons par de mauvaises.

Votre personnage ira-t-il jusqu’à devenir inhumain ? Que sacrifiera-t-il pour ne pas franchir la ligne rouge ? Vous laisserez-vous surprendre par son évolution ?

3) Un point supplémentaire qui n’était pas vraiment prémédité, c’est que les joueurs partent souvent dans des débats philosophiques (entre eux ou avec le MJ) par l’intermédiaire de leurs personnages. Les situations reposant sur des enjeux non manichéens ; le fait que chaque PJ ait sa propre conception du monde ; que les PNJ soient en nuances de gris ; et que la mécanique permette de résoudre les problèmes par la discussion, tout cela concourt à ce que les joueurs s’engagent volontiers dans ces discussions plus ou moins tendues pour défendre le point de vue de leur personnage face à des problématiques complexes.

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Pour lire plus avant sur le concept de Vide Fertile, inventé à l’origine par Vincent Baker, suivez le lapin blanc :

https://www.limbicsystemsjdr.com/vide-fertile-la-spirale-invisible/

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Cet article, aborde deux concepts essentiels pour la suite de mes réflexions : l’Absorption et la Combativité.

Je tiens le concept d’Absorption d’Axel Fourdrinier (Meta), qui l’évoque dans ce commentaire du podcast de la Cellule La Réflexion sopposetelle à limmersion ? et dont nous avons discuté par la suite en privé.

La Combativité est un concept de ma création que l’on pourrait rapprocher de l’Empowerment, concept utilisé notamment dans le jeu vidéo, d’après cette discussion.

Il me semble pertinent d’utiliser un concept spécifique pour le jeu de rôle qui, contrairement au jeu vidéo donne d’emblée une part créative au joueur et un potentiel d’action extrêmement vaste (pour ne pas dire infini) car non scripté1.

Ces deux concepts remplacent avantageusement l’idée “d’immersion” qui pèche par subjectivité et par l’absence de reconnaissance de la diversité des pratiques que porte notre activité, se rendant responsable de nombreuses incompréhensions2. Pour ces raisons, je n’emploierai plus ce terme dans le reste de l’article.

J’expose ici ma vision des choses, nourrie par mes diverses expériences du jeu de rôle.

La Combativité ou peser sur les enjeux

La Combativité est une posture3 d’un joueur qui épouse le combat de son personnage en cherchant à obtenir une issue à son avantage. Elle est tournée vers le faire du personnage, plus précisément l’accomplissement et l’élaboration d’objectifs.

Le joueur en posture combative se tourne vers un futur, proche ou distant : un objectif qu’il cherche à atteindre (ou une menace qu’il cherche à fuir). Il se focalise prioritairement sur les moyens d’atteindre l’objectif en question et les enjeux qui le sous-tendent. Le joueur peut poursuivre plusieurs objectifs, y compris s’ils sont en conflit l’un avec l’autre.

Un joueur en posture combative agit pour obtenir ce qu’il souhaite et se protéger de ce qu’il ne souhaite pas. Cette posture implique un rapport de force entre personnages et entre participants. Or, dans un jeu de rôle, la fiction étant souple et libre d’interprétation, il est difficile d’obtenir véritablement ce que l’on souhaite dès qu’un conflit entre en jeu contre un autre participant.

L’arbitraire d’un jugement (du MJ ou d’un autre participant) nuit à la Combativité dans la mesure où il est difficile de prédire quand un choix pèsera en faveur du joueur ou non4. Le joueur en posture combative a besoin de savoir quand une de ses décisions va augmenter ses chances de succès ou non. D’où le recours à des chiffres, dés, etc.

En épousant la volonté de son personnage et son envie d’atteindre ses objectifs, le joueur a besoin d’un marqueur de progression vers son objectif.

La Combativité est une recherche d’emprise sur la situation de la fiction : le joueur poursuit prioritairement son objectif et des moyens pour l’atteindre. Elle est indispensable à une pratique compétitive, mais elle n’en est pas synonyme, car la Combativité peut parfaitement enrichir une pratique du jeu de rôle dramatique ou contemplative.

Les mécaniques5 offrent un contrôle sur la fiction, pour marquer une prise de pouvoir efficace et incontestable et faire évoluer la situation dans le sens qui importe au joueur.

Le rôle des mécaniques vis à vis de la Combativité

Les mécaniques offrent une prise sur les événements de la fiction à un joueur en posture combative. Mais pour renforcer la Combativité, c’est-à-dire encourager et récompenser cette posture, il faut que le joueur puisse influencer l’issue d’un conflit, par exemple en dépensant des ressources, en élaborant des choix tactiques, moraux ou autres. Il doit se sentir responsable de l’issue du conflit, y compris si elle est négative, sans quoi, lancer un dé peut paraître aussi arbitraire qu’un jugement de MJ.

L’utilisation de mécaniques transparentes (c’est-à-dire sans règle ou procédure cachée) et offrant une prise au joueur renforce la Combativité. Les mécaniques deviennent alors le moyen par lequel la volonté du joueur impacte le devenir de l’histoire et sont un facteur favorisant l’implication du joueur dans la fiction.

On peut rendre cette approche plus satisfaisante avec des règles appropriées, mais la posture combative ne peut pas être produite par le système, seulement encouragée (comme souvent, le Système est avant tout incitateur). Un joueur peut également se trouver en posture combative si rien ne l’y encourage.

Un joueur prioritairement en posture combative dans une pratique qui ne l’encourage pas, peut se sentir impuissant, le système ne lui offrant aucun moyen de contrôle sur l’évolution de l’histoire.

La Résistance, moteur d’enjeux concrets

Le seul fait d’obtenir du pouvoir n’est pas suffisant pour renforcer la Combativité durant une partie, il faut aussi une contrepartie, un obstacle, un risque, la possibilité d’une perte, d’un affaiblissement, d’un échec…

La Résistance peut se définir comme un jeu de contrôle et de perte de contrôle sur les événements de la fiction : lorsqu’un élément fictionnel résiste, il se soustrait au contrôle du joueur. Celui-ci, en cherchant à prendre le contrôle pour que la situation tourne à son avantage ou pour atteindre son objectif, prend le risque d’améliorer ou d’aggraver sa situation, ou les deux à la fois. La Résistance est un enjeu réel (mécanique) permettant de concrétiser des enjeux fictionnels6.

L’intérêt d’une victoire se mesure au risque, à la difficulté ou au prix à payer qui la contrebalance. La victoire étant synonyme de gagner du pouvoir sur les événements, les faire évoluer au plus proche de sa volonté. La Résistance et la possibilité de la surmonter rendent la Combativité opérationnelle.

L’Efficacité7 est la capacité du joueur à surmonter la Résistance lors d’une épreuve ou d’un conflit. L’Efficacité peut varier en fonction des succès/échecs et des décisions prises au fil du jeu. La perspective d’une progression en matière d’Efficacité est une motivation supplémentaire pour jouer combatif : quand un personnage voit ses performances s’amenuiser (via des malus, une perte de points de Caractéristiques, etc.), cela pose au joueur la nécessité de gagner en Efficacité afin de remonter la pente pour les enjeux à venir. Un joueur dont le personnage possède plusieurs choix en balance modifiant son Efficacité (sacrifice, options tactiques, etc.) pourra choisir d’augmenter son Efficacité ou de la sacrifier au profit d’une alternative ou d’un autre but. Sacrifier l’Efficacité au profit d’une cause (sauver un ami, par exemple) entre parfaitement dans la posture de Combativité, puisque l’ami étant censé compter sur le plan affectif pour le personnage, le sauver peut devenir un nouvel objectif pour le joueur et compte parmi les enjeux dignes d’être défendus.

En revanche, les décisions néfastes pour le personnage sans contrepartie sont en contradiction avec cette approche : La Combativité n’étant possible que si le joueur défend les intérêts de son personnage. Être en posture combative, c’est non seulement défendre les intérêts de son personnage, mais c’est aussi trouver les moyens pour les mener à terme.

La Combativité rapproche le joueur de son personnage dans la mesure où sa soif de vaincre épouse celle de son personnage. Les volontés se mettent au diapason et renforcent la synesthésie8, à condition que les enjeux mécaniques interagissent avec les événements de la fiction.

La Combativité est donc une façon pour le joueur de faire siens les objectifs, besoins et désirs de son personnage et de chercher une osmose avec sa volonté. Tout ce qui dans une pratique du jeu de rôle demande au joueur de prendre des décisions étrangères aux intérêts de son personnage affaiblit la Combativité. C’est une posture d’accomplissement et de responsabilité du joueur face aux conséquences de ses actes, positives comme négatives, ses succès comme ses échecs.

L’Absorption ou le personnage comme deuxième peau

Si la Combativité est orientée vers le faire, l’Absorption consiste à rechercher une connexion avec l’être du personnage : les actions symboliques, anecdotiques ou sans prise réelle sur le cours de la fiction peuvent tout à fait participer de cette connexion.

C’est une posture créative : il s’agit d’inventer une personnalité, un langage, un passé, une culture à son personnage et de se comporter et d’agir avec un soin particulier pour donner du sens, de l’épaisseur, de la cohérence à tout ce qui le compose, et le connecter avec la réalité du monde dans lequel il vit (certains appellent cela le role-play, mais je préfère laisser de côté ce terme qui veut tout et rien dire).

Un joueur qui priorise la posture d’Absorption n’a pas besoin de grand chose d’autre que d’espace et de temps pour s’exprimer, parfois au point où l’intrusion de mécaniques peut briser sa concentration. Mais ce qui compte plus que toute autre chose, c’est une complicité et une écoute entre les participants (MJ comme joueurs)9.

Les phases libres en matière d’enjeux favorisent une posture d’Absorption (un matériau fictionnel riche en possibilités créatives aide également) ; dans les pratiques où les enjeux sont bien présents, mais sans possibilité réelle pour les joueurs d’impacter leur devenir, cette posture est également favorisée, comme par exemple le jeu de rôle dit sans règle10 ou le MJ statue sur l’issue de la plupart des actions, mais aussi les pratiques dans lesquelles les mécaniques n’offrent aucune prise au joueur pour influencer le résultat de ses actions (Sens Renaissance de Romaric Briand, par exemple, en dehors de sa mécanique de “Miracles” offre peu de moyens aux joueurs de peser sur l’issue des conflits importants). Un combat violent peut tout à fait être l’occasion d’explorer l’essence du personnage lorsque le système du jeu ne permet pas la Combativité, car l’Absorption est une posture dénuée de Combativité, davantage orientée vers une certaine forme de contemplation, d’introspection, de célébration, d’exploration de son rôle, de son statut, de son identité, de sa nature dans un contexte donné.

Si les choses n’évoluent pas comme souhaitées, avoir le dernier mot n’est pas la préoccupation première du joueur absorbé, mais plutôt : que ressent son personnage, comment réagira-t-il, qu’est-ce que ça implique pour lui, comment s’adapter à ce changement ? Dans certaines pratiques, si le joueur ressent le besoin de reprendre le dessus, il est possible de changer pour une posture combative en cours de partie et de revenir en Absorption plus tard.

L’Absorption comme performance du joueur

Les joueurs qui jouent prioritairement en Absorption ont souvent un rapport à leur pratique de l’ordre de la performance artistique (éventuellement mais pas nécessairement théâtrale).

La qualité créative du joueur devient l’enjeu principal de sa prestation. La dynamique de groupe (le fait de bien se connaître et de savoir satisfaire aux attentes des autres) est essentielle pour une pratique centrée sur l’Absorption, notamment si le système n’appuie pas franchement cette orientation.

Jouer sans mécaniques de résolution

Comme dit plus haut, les mécaniques peuvent rompre la concentration d’un joueur absorbé quand celui-ci a besoin de tenir les rênes de son personnage.

Le problème peut être particulièrement marqué lors de l’utilisation de mécaniques de résolution de conflits sociaux (c’est-à-dire un conflit lors d’une discussion entre deux personnages ou plus, tel une dispute ou une intimidation purement verbales…) particulièrement fondés pour une approche combative, car ce qui compte, c’est qui va obtenir gain de cause et quelles seront les conséquences de ce conflit sur les personnages. De telles mécaniques obligent le joueur a modifier l’orientation de ses décisions pour des raisons externes à sa propre volonté ; les joueurs pouvant justifier a posteriori les éléments plus ou moins conscients11 qui ont fait pencher la balance en la faveur de l’un ou l’autre des personnages.

Pour une pratique centrée sur l’Absorption, le joueur ne peut accepter qu’un dé ou une autre personne exerce un contrôle sur sa volonté12.

Certains mouvements d’auteurs de jeux de rôle ont développé des jeux spécifiquement orientés vers une pratique sans mécanique : le Norwegian style ou l’American Freeform.

Certains de ces jeux utilisent une structure afin d’encadrer l’évolution de l’histoire (scénario, découpage par scènes…) et se concentrent en partie sur un mélange entre jeu de rôle sur table et grandeur nature.

Les systèmes qui alternent les deux postures jouent quant à eux sur un découpage avec et sans mécaniques, par exemple Bliss Stage de Ben Lehman.

Exemples de systèmes qui renforcent l’Absorption et la Combativité en alternance

Bliss Stage : Dans Bliss Stage, les scènes de mission mettent en place des mécaniques pour établir les conséquences des jets de dés dans le “monde du rêve” (dream world) : les jets de dés lors d’un combat par exemple, dans le monde du rêve peuvent affecter le succès de la mission, la sécurité du pilote, la sécurité des relations (du monde réel) qui ont été invoquées sous la forme d’équipement dans le monde du rêve….

Ainsi, des dégâts subis pour l’équipement peut affecter le “stress” ou la “confiance” entre le personnage du joueur et une ou plusieurs de ses relations.

Cette corrélation est mécaniquement symbolique et produit une causalité psychologique en jeu.

Ces conséquences modifient la nature de la relation entre les personnages. Pendant les scènes “d’interlude”, les mécaniques n’interviennent qu’avant et après la fiction. Les joueurs sont parfaitement libres d’interagir.

Alors que pendant les scènes de mission les joueurs peuvent être encouragés à la Combativité via les mécaniques (en élaborant une prise de risque plus importante afin d’augmenter leurs chances de succès, par exemple), les scènes d’interlude leur permettent quant à elles de jouer librement leurs personnages, sans le concours d’aucune mécanique (compte-tenu de l’évolution de leurs relations), ce qui encourage l’Absorption.

Le jeu permet l’alternance de Combativité et d’Absorption d’une phase à l’autre. C’est néanmoins les participants qui adapteront ou non leur posture. Il est donc possible, voire encouragé, d’alterner ces deux postures.

Prosopopée : Prosopopée propose également une alternance entre Absorption et Combativité : le gros d’une partie de Prosopopée est fait d’une conversation entre joueurs sur les événements de la fiction, au sujet des personnages et du monde tout autour. Les enjeux de résolution des problèmes sont au second plan.

Les mécaniques interviennent pour baliser cette conversation en l’interrompant le moins possible. L’Absorption prime.

Lorsque les joueurs décident de résoudre un Problème, ils basculent en Combativité pour faire évoluer les enjeux de la partie et l’histoire elle-même jusqu’à son dénouement, après avoir brodé autour. La Combativité va et vient, elle permet de donner une direction, un horizon à la partie. Une motivation pour aller au delà de la contemplation (qui pourtant constitue la majeure partie de l’expérience). Les deux postures s’articulent pour structurer la partie et l’histoire, lui donner une dynamique.

Défendre les intérêts de son personnage13 en Absorption

Quand on joue l’Absorption, défend-t-on les intérêts de son personnage ?

Agir conformément à ce que la condition du personnage présuppose peut être question de vie ou de mort, par exemple : si je joue un simple mercenaire, il est préférable que je fasse montre de déférence et de loyauté au roi, sans quoi je risque d’être jeté au cachot. Dans ce cas, le joueur défend les intérêts de son personnage en se comportant de manière attendue (y compris sans recours à des mécaniques). Dès lors que le comportement du personnage implique des enjeux fictionnels, sociaux, par exemple, on peut considérer qu’il concerne ses intérêts.

Mais, dès lors que le comportement du personnage est détaché de tout enjeu dans la situation de la fiction, ce que crée le joueur ne relève plus que de la Couleur14 et du Canon esthétique15. Couleur et Canon esthétique sont fondamentaux à toute pratique de jeu de rôle, il s’agit du plus petit degré de participation possible pour un joueur, y compris en mode Auteur16.

Un joueur se limitant à produire de la Couleur et à respecter le Canon esthétique de la partie ne défend pas les intérêts de son personnage. Cela doit impliquer un enjeu fictionnel, ce que la recherche de vraisemblance seule ne permet pas.

Les Petites Choses Oubliées de Sylvie Guillaume et Christoph Boeckle, Perdus sous la Pluie de Vivien Féasson (alias Mangelune) ou encore Happy Together de Gaël Sacré (en cours de création) ne renforcent que l’Absorption. Leurs règles ne renforcent pas la Combativité, car ces jeux ne disposent d’aucune mécanique de résolution et donc ils n’incitent ni n’encouragent à se disputer les enjeux de la partie via des moyens mécaniques de prise de contrôle ou de pouvoir. Ils proposent d’élaborer une histoire par des moyens plutôt apaisés, amicaux, contemplatifs, conciliés ou par concession ; donc non-combatifs. Ce ne sont pas pour autant des jeux en mode auteur, car les décisions qui sont prises au cours du jeu, le sont par et pour les personnages.

À noter que si l’Absorption peut fonctionner dans une pratique où les joueurs ont peu d’impact sur le déroulement de l’histoire, ces trois exemples ont la particularité d’offrir beaucoup de pouvoir narratif aux joueurs.

Le cas de Perdus sous la Pluie

Perdus sous la Pluie est un peu à part, car il utilise des mécaniques d’agression, mais il ne renforce pas la Combativité, notamment car ce ne sont pas de mécaniques de résolution. En premier lieu, à la fin de la partie, il ne restera qu’un enfant, les autres disparaissant et se faisant dévorer par les sirènes de l’averse (sortes de croquemitaines de l’univers du jeu), ce qui scelle le destin des personnages. La principale question est : qui survivra ? Le gros de l’enjeu est relationnel et affectif, les mécaniques ne faisant qu’appuyer le jugement des joueurs sur les enfants : qui est le plus sympathique, qui est un poids pour le groupe, qui est le plus antipathique, etc. Chaque joueur possède une réserve de jetons et la mécanique du jeu consiste à plumer les réserves des autres. Quand un joueur n’en a plus, son personnage disparaît.

Quand un joueur-aversité (un de ceux qui jouent l’adversité) retire un jeton au joueur sur lequel se centre la scène, celui-ci n’a pas la possibilité de le disputer. En revanche, il peut demander l’aide d’un autre joueur ou par rancœur s’en retirer un pour agresser un joueur-aversité en s’auto-détruisant. Ces options, bien que dans l’agression et l’aide, ne permettant pas de disputer une décision, ne renforcent pas la Combativité, car pour qu’il y ait combativité, il doit y avoir résistance et ce qui résiste doit pouvoir céder, ce qui n’est pas le cas ici.

À l’issue du jeu, l’enfant qui a été le moins agressé/qui a été le plus aidé tout en ne versant pas trop dans les comportement auto-destructeurs est celui qui a le plus de chances de survivre à la fin. Le jeu place les joueurs en situation de reproduire l’injustice de la cour de récréation.

Les limites de l’Absorption

En jeu de rôle sur table, quels que soient ses efforts, le joueur se trouve dans une situation différente de son personnage : quand le personnage déplace des meubles à la recherche d’indices, ou se bat contre un ennemi, le joueur reste la majeure partie du temps assis à une table ou sur un canapé, face à ses amis ou partenaires de jeu, en train de construire verbalement des situations fictives. Jouer principalement en Absorption, si le joueur se centre sur son personnage, peut se résumer à ne faire qu’un avec lui. Mais cela pose un certain nombre de difficultés, car plusieurs processus spécifiques au jeu de rôle sur table accroissent le sentiment de dissonance :

  1. La majorité des actions et enjeux physiques sont décrits verbalement.
  2. La manière dont le personnage s’habille ou l’apparence de sa maison sont un mélange entre ce que le monde permet et ce que le personnage a choisi, voire fabriqué. Qui donc doit les décrire ? Si c’est le joueur, cela signifie qu’il sort de la volonté de son personnage et qu’il prend la liberté de décrire des possibilités du monde ; si c’est le MJ, cela signifie qu’il empiète sur la volonté du personnage en ne se limitant plus à son contrôle sur le monde17.
  3. Le personnage n’existe pas vraiment, il est une construction commune et ses pensées ne sont pas celles du joueur18.
  4. Lors d’une situation réelle, les enjeux ont des implications sur notre vie, il est sans doute impossible de se mettre suffisamment à la place d’un personnage de jeu de rôle afin d’imaginer et ressentir toute la portée d’un enjeu tel que : se faire plaquer par la personne que l’on aime, se blesser gravement, perdre un proche19, etc. La logique d’un joueur en Absorption voudrait qu’il imagine ce que cela peut représenter pour le personnage et à quel point cela peut l’affliger de manière à le faire réagir de façon adéquate, ou intéressante. L’enjeu de se faire plaquer dans la réalité touche notre ego, notre histoire, notre situation sur le long terme, nos possibilités futures (logement, répartition des affaires, etc.). Une émotion qui se déclenche instantanément en nous dans notre vie réelle demande un effort d’imagination et de créativité pour la fabriquer dans une partie de jeu de rôle, mais cet effort la condamne à ne pas pouvoir être naturelle. Un acteur de théâtre peut fouiller des souvenirs personnels pour provoquer l’émotion, mais pour un joueur de jeu de rôle, cela signifie chercher des ressources externes à la situation de la fiction et donc cela crée une distance avec le personnage. De plus, l’acteur de théâtre a la possibilité de préparer son rôle, alors que le rôliste est condamné à l’improvisation. Ce n’est pas un souci, nul n’est tenu de rester en Absorption en permanence, mais peut-être qu’un moment censé être important est un moment où l’on souhaite se connecter au plus près de son personnage.
  5. À la différence de l’acteur de théâtre, le joueur de jeu de rôle recherche prioritairement son propre plaisir, sa propre satisfaction et celles des autres participants pendant une partie ; les joueurs sont aussi les destinataires de la partie, ils ne jouent pas pour un public ne prenant pas part à la construction de la fiction.
  6. Pour améliorer sa performance, le joueur pourra prendre du recul, réfléchir à ce qu’il va dire, à sa cohérence, notamment lorsqu’une action ou un comportement censé être spontané ne peut pas l’être pour le joueur (par exemple, un personnage censé pleurer alors que le joueur ne sait pas le faire sur commande, ou un personnage censé posséder une élocution particulière que le joueur n’a pas), mais aussi à juger ce que vont dire les autres vis-à-vis de la cohérence de la fiction, ce qui passe difficilement par le personnage : la pratique peut permettre au joueur de faciliter et fluidifier cette gymnastique mentale, mais il ne peut jamais passer outre, car son cerveau n’oublie jamais complètement que son corps se trouve dans une situation toute autre que celle qu’il se représente. Son expérience du personnage fictif est majoritairement dissociée de son corps, ce qui en soi rend l’expérience foncièrement étrangère à celle de son quotidien.

Les joueurs résolvent certains de ces paradoxes en partant du principe qu’ils ne peuvent jouer que des personnages qui leur ressemblent relativement : ils ne vont pas jouer un personnage qui possède des talents ou un tempérament qu’ils n’ont pas eux-mêmes ou qu’ils seront en peine de reproduire20. Une approche qui accepte ces paradoxes peut s’en détacher et trouver son bonheur dans un jeu de distanciation et d’empathie avec son personnage, plutôt que de rechercher la fusion.

Notons au passage que la créativité, l’effort et la concentration que peuvent demander les pratiques orientées vers l’Absorption justifient le fait que cette seule posture se suffise dans des pratiques totalement dénuées de Combativité, voire de mécaniques.

Jouer prioritairement ou exclusivement en Absorption peut exiger un apprentissage, notamment pour jouer avec un groupe auquel on n’est pas accoutumé, ce qui est pertinent avec une approche du jeu de rôle plus proche de la performance.

Conclusion

Aucune de ces deux postures n’est exclusive dans une partie de jeu de rôle : bien que l’on puisse jouer avec une seule des deux, il est fréquent qu’on les alterne.

Chacune des deux approches peut apporter quelque chose à une pratique du jeu de rôle : négliger la Combativité peut donner au joueur qui en fait sa priorité le sentiment de se débattre en vain, surtout si le Contrat Social n’est pas clair à ce sujet ; négliger l’Absorption peut donner au joueur qui en fait sa priorité le sentiment que le jeu étouffe sa créativité, ne lui laisse pas de place pour vivre et ressentir son personnage. Vous pouvez voir l’interaction entre ces deux postures comme une respiration dans un morceau de musique, ou chacune renforce l’autre, mais chaque joueur ou pratique peut accorder plus d’importance à l’une ou l’autre.

En ce qui me concerne, si mes jeux et pratiques préférées font la part belle à la Combativité, je n’aime pas celles qui ne laissent aucune place à l’Absorption. Dans l’idéal, il me faut une quantité importante d’Absorption pour que la Combativité tire sa substantifique moelle. Pour autant, j’aime jouer aux jeux que j’ai présentés qui ne renforcent que l’Absorption, mais dans un jeu qui ne renforce rien, jouer l’Absorption en roue libre me lasse vite. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai mis des mécaniques de résolution à Prosopopée : pour avoir un peu de Combativité afin de ne pas s’épuiser en Absorption dès lors que notre groupe de joueurs n’est pas rôdé à jouer exclusivement en Absorption.

Notons que les jeux et pratiques qui encouragent une franche Combativité offriront le plus souvent aux joueurs un fort impact sur l’histoire21. Les jeux et pratiques qui encouragent une Absorption intense offrent généralement peu d’impact aux joueurs sur l’histoire. Mais ce ne sont que des tendances, ce n’est pas un règle (le partage de Responsabilités n’a rien à voir là-dedans, on peut jouer l’Absorption et la Combativité avec un partage large ou serré de responsabilités).

Enfin, il arrive que des joueurs fassent un rejet de l’une des deux postures au profit de l’autre. Cet article ne vise pas à les stigmatiser, mais au contraire, à permettre de mieux identifier les préférences de chacun afin de trouver un terrain d’entente plus facilement quand c’est nécessaire.

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1 Je développe ce sujet dans l’article Récits en fractale sur L’Intermède : http://www.lintermede.com/analysejeuxderolefictionsanalogiquesinteractives.php et dans Le JdR est potentialité : http://www.limbicsystemsjdr.com/lejdrestpotentialite/

2 Le fil de discussion suivant, sur Les Ateliers Imaginaires fait partie des échanges qui ont motivé le présent article ; on y voit les différents intervenants présenter leur vision de l’immersion sans véritablement se comprendre : http://lesateliersimaginaires.com/forum/viewtopic.php?f=71&t=3440

3 J’emploie ici le terme posture dans son acception générale, sans référence au concept homonyme de Ron Edwards développé dans l’article LNS et autres sujets de théorie rôliste, chapitre trois : Postures http://ptgptb.free.fr/forge/gns3.htm

4 J’aborde également la question dans l’article À Propos des Mécaniques de résolution, point 1 : http://www.limbicsystemsjdr.com/aproposdesmecaniquesderesolution/ il est utile de garder à l’esprit que cet article s’intéresse à une pratique orientée vers la Combativité.

5 Une mécanique est L’ensemble des règles visant à résoudre les situations conflictuelles entre personnages, ou visant à surmonter un obstacle ou un danger. Une mécanique de résolution implique de créer une résistance mécanique et des moyens de la surmonter. Définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/m%C3%A9caniques_de_r%C3%A9solution?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4

6 Pour creuser plus loin les questions de résistance, lire la définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/r%C3%A9sistance_asym%C3%A9trique?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4 et l’article La Résistance asymétrique : http://www.limbicsystemsjdr.com/laresistanceasymetrique/

7 Voir Effectiveness sur le Provisional Glossary de The Forge : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html et l’article suivant de Vincent Baker : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497

8 “La synesthésie est un concept né de la constatation qu’un joueur ne pouvait pas ressentir ce qu’est censé ressentir son personnage. Cela induit l’importance de donner au joueur des enjeux ludiques ou créatifs et de créer une résistance asymétrique de façon à connecter les niveaux réels et fictionnels du jeu. De façon plus pragmatique, la synesthésie est une façon de penser le renforcement du lien entre personnage et joueur.” Définition du Glossaire imaginairien : http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/synesth%C3%A9sie?DokuWiki=0s7rh8vs4c2dsrhue08lmdd1p4

9 Le blog d’Eugénie Je ne suis pas MJ mais propose beaucoup de matière à ce sujet, comme la série des quatre articles Concéder : https://jenesuispasmjmais.wordpress.com/2015/06/16/conceder-1/

10 Le site AnthologieLe guide du jeu de rôle sans règle, en détaille une approche spécifique dans l’article : Les Règles du jeu de rôle sans règle d’Éric Lestrade : http://sansregle.free.fr/index.php?page=article&id=1

11 Dans l’article Vide fertile : la spirale invisible, je propose l’exemple des mécaniques de Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, facilitant des décisions déraisonnables en jeu, en l’associant à la notion d’inconscient : http://www.limbicsystemsjdr.com/videfertilelaspiraleinvisible/

12 Frédéric Ferro justifie une telle approche selon l’existentialisme sartrien lors de sa conférence des Quarante ans du jeu de rôle : Personnage et personnalité http://www.cendrones.fr/journeesdetudeslesquaranteansdujeuderole/

13 Prendre des décisions, avec comme priorité de défendre ce qui compte pour son personnage, c’est-à-dire remplir ses devoirs, défendre ses causes, ses relations, ses valeurs, rester en vie, préserver son intégrité, etc. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/d%C3%A9fendre_les_int%C3%A9r%C3%AAts_d_un_personnage?DokuWiki=tam8b1f3b34bjo3gi87o8diem2

14 Couleur : Tout apport descriptif au cours de la partie de jeu de rôle. Parfois détachée des enjeux fictionnels et ludiques, la couleur est un élément essentiel au jeu. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/couleur

15 Célébrer le canon de la fiction, signifie produire un ensemble d’images et d’événements fictifs conformes aux attentes et aux exigences des participants. http://www.limbicsystemsjdr.com/comprendrelesimulationnismeatraversprosopopee/

16 Mode auteur ou joueur auteur : Consiste à jouer sans jamais vraiment défendre les intérêts d’un personnage. Les participants privilégieront les enjeux externes aux intérêts de leurs personnages, comme le fait de “raconter le truc le plus cool” ou “placer une description sans rapport avec les intérêts de son personnage pour gagner un bonus”, etc. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/joueurauteur

17 Je développe ce point dans l’article La Volonté et le monde : http://www.limbicsystemsjdr.com/lavolonteetlemonde/

18 À ce sujet, lire l’article de Gregory Pogorzelski sur le blog Du Bruit derrière le paravent : Personnages fictifs et vie intérieure http://awarestudios.blogspot.fr/2014/03/personnagesfictifsetvieinterieure.html

19 Voir synesthésie : La synesthésie est un concept né de la constatation qu’un joueur ne pouvait pas ressentir ce qu’est censé ressentir son personnage. Cela induit l’importance de donner au joueur des enjeux ludiques ou créatifs et de créer une résistance asymétrique de façon à connecter les niveaux réels et fictionnels du jeu. De façon plus pragmatique, la synesthésie est une façon de penser le renforcement du lien entre personnage et joueur. http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/synesth%C3%A9sie

20 “Je crois que pour un grand nombre de romanciers et de tragiques, le personnage est suscité par le drame et non le drame par le personnage ; et que le héros d’Eschyle comme de Shakespeare, de Dostoïevski comme de Stendhal sont des “virtualités” de leur auteur, autour desquelles s’ordonne et s’agite, comme des objets dans certains tableaux surréalistes, une foule en trompe-l’œil”. André Malraux

21 L’impact des joueurs sur l’histoire, c’est l’importance de leurs choix sur l’évolution de la situation, voir l’article L’influence des joueurs sur la fiction pour plus d’informations : http://www.limbicsystemsjdr.com/linfluencedesjoueurssurlafiction/

Cet article boucle huit années de réflexions à propos de la conception de jeux. Tout ce que j’ai écrit jusque-là sur la conception de jeux de rôle visait directement ou indirectement ce sujet. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’assimiler et réussir à le formuler. Je vous encourage à me laisser des commentaires si vous souhaitez approfondir la question ou pour de plus amples explications.

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la base d’une mécanique incitative se conçoit comme : “faire A → recevoir récompense B”. Ou “pour recevoir récompense B → il faut faire A”.

L’incitation peut parfois sembler forcée, directive, trop évidente, artificielle, trop externe aux intérêts du personnage, alors que par définition, une incitation est toujours censée laisser le choix au joueur de la suivre ou de ne pas la suivre.

Pour éviter ce biais et affiner les incitations lors de la conception d’un jeu, on peut créer des conditions, des risques ou des conséquences secondaires, par exemple :

  • je peux relancer les dés pour tenter de gagner un conflit que je suis en train de perdre, mais ça augmentera le côté sombre de mon personnage ;
  • je peux gagner un bonus si je commets une action cruelle ;
  • je peux gonfler ma réserve de dés si je gagne des combats, mais un combat est une importante prise de risque ;
  • si je veux gagner un bonus, je dois agir conformément à mes valeurs, ce qui risque de créer des complications dans certaines situations ;
  • etc.

De cette manière, chaque avantage se doublant d’un prix à payer ou d’une contrepartie, la mécanique ne se contente plus de donner une directive, mais un véritable choix à soupeser. La mécanique n’est plus univoque, elle devient une tentation, un quitte ou double, une gestion de ressources à double tranchant, etc.

C’est le premier pas pour concevoir des incitations qui ne soient pas artificielles.

Les idées de récompense et d’encouragement à agir dans un sens donné doivent s’inscrire dans un tout. La carotte ne suffit jamais à obtenir un comportement donné1, elle se contente de le valoriser et donc de donner un signal clair sur l’orientation voulue pour la partie, dans la mesure où cette récompense est cohérente avec le reste du jeu.

Le bâton est généralement contre-productif dans un loisir tel que le jeu de rôle, qui est une activité nécessitant des relations apaisées entre participants et un consentement global pour bien fonctionner. Personne n’est obligé de jouer, les sanctions peuvent donc nuire à la qualité de la partie, dès lors qu’elles semblent injustes.

Une partie de jeu de rôle fonctionne sur une intrication complexe d’éléments en apparence dissociables, mais tout à fait interdépendants, par exemple :

  • Le partage des Responsabilités (sur le monde, les personnages, l’intrigue, c’est-à-dire : qui a le droit de parler à propos de quoi)
  • La présence d’un scénario ou d’une préparation du MJ (et sa structure).
  • La préparation des personnages-joueurs.
  • Les techniques de MJ (si MJ il y a).
  • Le contrat social (comment se met-on d’accord sur ce à quoi on va jouer, les relations entre vraies personnes autour de la table, mais aussi comment on va jouer et comment on résout les éventuels problèmes autour de la table).
  • L’Économie2 du jeu (les paramètres d’évolution des personnages, l’interaction entre toutes les règles, incluant les mécaniques de résolution).

Exemples d’incitations non directives

Ayant joué et mené un bon nombre de scénarios, dans différents jeux, qui visaient à piéger les joueurs et à les mettre au défi de se montrer suffisamment méfiants, préparés et perspicaces pour doubler le MJ afin d’éviter de faire mourir leurs personnages, je me suis rendu à l’évidence que cela tendait à encourager les joueurs à se comporter avec discernement, à prévoir différentes issues possibles avant toute action, à avancer à tâtons et à essayer d’anticiper les pièges du scénario et prendre le MJ à son propre jeu.

Bien sûr, tous les joueurs ne joueront pas forcément le jeu, quelles qu’en soient les raisons, mais cela crée une tendance, souvent d’autant plus forte que cela constitue une pratique prisée par les participants.

Ce comportement m’a sauté aux yeux quand j’ai commencé à jouer différemment : quand ma préparation et mes techniques de MJ ne visent pas à piéger les joueurs et qu’ils en sont conscients, ils ont tendance à agir avec bien plus d’audace, de spontanéité et ce d’autant plus que l’on joue avec des règles transparentes, qui donnent au joueur du contrôle sur la mort de son personnage, par exemple : dans Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, la mort est toujours évitable et découle toujours d’une prise de risque volontaire et calculable de la part du joueur, un PJ ne meurt jamais bêtement, sa mort est toujours un sacrifice. Dans Apocalypse World du même auteur, on peut toujours subir un handicap pour retarder sa mort. Dans Polaris, Chivalric Tragedy at the Utmost North de Ben Lehman, un personnage-joueur ne peut mourir qu’une fois qu’il est devenu vétéran, c’est-à-dire dans le dernier tiers de la campagne, le joueur n’est pour autant pas hors-jeu, puisqu’il peut encore jouer les PNJ.

Les enjeux ne sont plus les mêmes, il ne s’agit plus de déjouer les plans du MJ, mais de jouer des scènes vivantes et extraordinaires parce qu’elles découlent de leurs propres décisions. On joue pour voir où ça va nous mener, quels choix on peut faire et quelles conséquences ils vont avoir.

Les deux façons de jouer valent leur pesant d’or, ce qui m’intéresse, c’est de mettre en lumière à quel point la préparation et les techniques du MJ peuvent avoir une forte influence sur notre façon de jouer.

Bien entendu, tous les joueurs n’adopteront pas le comportement décrit, quelles qu’en soient les raisons, peut-être leur faudra-t-il un temps d’adaptation si ça ne correspond pas à leurs habitudes, ou peut-être ne prendront-ils aucun plaisir dans l’une de ces pratiques (il en existe bien d’autres que celles que je présente ici).

Qu’est-ce que le Vide Fertile ?

En jeu de rôle comme ailleurs, le tout est plus que la somme des parties.

Chaque élément d’un jeu ou d’une pratique crée des incitations, parfois invisibles, ou subtiles et les moindres détails d’une pratique ou de la conception d’un jeu peut modifier en profondeur une expérience, comme nous le montrent les deux exemples ci-dessus. Le Vide Fertile3 est au carrefour de toutes les incitations que produit un système au sens bakerien4, celles qui sont plus ou moins évidentes (les mécaniques, notamment) et celles qui sont invisibles.

Je le résumerais par : “la manière dont l’ensemble des règles, techniques de jeu et de l’éventuelle préparation influent sur la part de liberté de mouvement, de créativité et d’interaction laissée aux participants pendant le jeu”. Autrement dit, les blancs laissés aux participants par le système.

Le but de cet article est d’aborder la façon dont l’ensemble des composantes d’un jeu ou d’une pratique peuvent créer des incitations complexes, qui ne soient pas bêtement directives, mais qui incitent les joueurs à agir ou créer dans une direction commune sans en faire une prescription didactique.

Exemples de Vides Fertiles

Il n’est pas évident de dessiner du vide, il faut généralement se contenter d’esquisser ce qui l’entoure. C’est l’exercice auquel je me suis prêté et pour lequel j’ai choisi deux jeux que j’ai eu le temps d’analyser en profondeur afin d’en comprendre leurs dynamiques et subtilités respectives : j’ai choisi Dogs in the Vineyard et Prosopopée. Le premier parce que son Vide Fertile est remarquable et que j’ai pris le temps de l’analyser sous toutes les coutures (ou presque) et le deuxième étant ma création, je le connais comme ma poche et j’ai pu observer longuement les conséquences de mes choix de conception.

Dogs in the Vineyard de Vincent Baker

Mécaniques de résolution

Dans Dogs in the Vineyard, la mécanique de résolution est un réseau d’incitations complexes :

Au premier niveau, le joueur doit choisir les dés qu’il va avancer pour tenter d’infliger des coups à son adversaire, l’affaiblir, mais aussi économiser ses dés restants. Le jeu l’encourage, à cette étape de jeu, à se montrer efficace et à jouer au mieux pour obtenir gain de cause.

Au deuxième niveau, le joueur a la possibilité d’escalader, c’est à dire de changer de mode d’action pour augmenter le nombre de dés à lancer (passer par exemple du dialogue au combat), ou d’impliquer de nouveaux Traits dans le jeu pour obtenir également des dés supplémentaires. Que le joueur cherche à inverser le rapport de force en sa faveur ou à consolider sa position dominante,

L’escalade tend à aggraver les conséquences du conflit sur l’adversaire, qui peut lui-même escalader en retour. Ainsi, le joueur peut décider de ne pas optimiser ses chances de succès car il ne veut pas faire de mal à son adversaire (qui dans le jeu peut-être un membre de sa famille, une personne appréciable ou respectable, ou un coéquipier) ou parce qu’il ne souhaite pas voir le conflit gagner en violence, car ce serait également une prise de risque pour lui.

Au troisième niveau, le joueur a toujours la possibilité d’abandonner pour limiter les conséquences négatives du conflit. Quand le conflit se termine, on applique les règles pour établir quelles conséquences tout cela aura sur les fiches des participants. Créer ou modifier des Traits, diminuer ou augmenter une Caractéristique, mais aussi à quel point les blessures du personnage sont graves, et quel est le risque de le voir mourir ?

Alors que le premier et le deuxième niveau incitent le joueur à prendre des décisions pour résoudre des enjeux à court terme (je ne veux pas subir ce que l’autre tente de m’infliger immédiatement), le troisième niveau demande de prendre du recul sur les événements5.

Les joueurs ressentent souvent une tension entre leurs objectifs et les conséquences possibles. Leurs décisions parlent de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas et de toute l’ambiguïté entre ces deux valeurs. Le troisième niveau permet de prendre du recul sur ce qui s’est passé et d’en établir les conséquences. C’est le moment où le joueur peut être juge de ses propres actes. Les enjeux immédiats des niveaux 1 et 2 se heurtent à cette prise de recul et les joueurs expriment parfois des regrets, voire de la culpabilité.

C’est une des particularités de la mécanique de résolution de Dogs in the Vineyard, elle est capable de nous faire prendre des décisions déraisonnables, c’est-à-dire de nous amener à faire des choix que l’on peut regretter par la suite, dont les conséquences nous échappent et que l’on n’aurait jamais fait sans le concours de ces mécaniques. Le télescopage de différents enjeux situés à différents niveaux nous met en position de prendre de telles décisions. Et ce phénomène est une source d’émotions intenses et donc de plaisir, pour les amateurs du jeu.

Mais bien sûr, la mécanique seule ne suffit pas, l’ensemble de la structure du jeu est nécessaire pour obtenir un tel résultat et une problématique forte autour des questions de violence et de morale religieuse.

Le rôle des PJ

Les personnages des joueurs ont la responsabilité de guérir les communautés pieuses de leurs péchés et ils ont toute autorité pour appliquer la sentence, par le dialogue, avec leurs poings ou leurs armes à feu. Ils devront d’ailleurs faire face à l’autorité de leur ordre s’ils échouent ou si les choses empirent dans les villages après leur départ.

Cette responsabilité fictionnelle joue un rôle prépondérant : elle place les joueurs en position de juge et de police des mœurs et place sur leurs épaules un lourd fardeau, celui de régler à peu près tous les problèmes sociaux, psychologiques, relationnels et religieux, qui les mettent souvent dans des positions impossibles, comme devoir châtier une personne pour laquelle les joueurs ont de l’affection, par exemple ou stopper des villageois qui pensent être dans leur bon droit de pendre un voleur.

Les hacks de ce jeu peuvent perdre ce qui en fait le sel, dès lors qu’ils omettent de placer les joueurs dans le rôle de police des mœurs, et ce, d’autant plus que les communautés pieuses de l’Utah du 19e siècle n’ont pas du tout le même sens de ce qui est moral que nous et où des choses qui peuvent paraître anodines pour le joueur peuvent mettre un village à feu et à sang. L’intensité des enjeux des mécaniques de résolution dépend en très grande partie de cette position dans laquelle sont mis les personnages des joueurs.

La méthode de préparation de village pour le MJ

Cette méthode propose de créer les problèmes du village par ordre croissant de gravité : de quelle manière les problèmes mineurs, voire anodins ont engendré des problèmes plus importants, allant jusqu’au crime, à la sorcellerie rendant la situation épouvantable.

Les joueurs découvriront petit à petit tout ce qui se trame, ce que les PNJ ont fait et leurs raisons d’agir.

Les thèmes moraux forts sont donc plantés durant cette préparation de village, le rôle de police des mœurs des PJ n’est jamais simple, car chaque PNJ pense être dans son bon droit ou agit par la force du désespoir. Et celui qui pèche n’est pas forcément une mauvaise personne. Tout est en nuances de gris et cette ambiguïté est une force pour le jeu.

De plus, cette méthode de préparation étant parfaitement ouverte, le MJ connaît les problèmes, mais ne sait pas ce que les joueurs vont en faire. Cela permet de se recentrer sur ce qui compte vraiment : explorer les conséquences des actes des personnages. Ainsi, cela permet de se concentrer sur le sens de leurs actes, sur leur justice, leurs excès et leurs entorses aux lois divines.

Les villageois sont toujours là pour rappeler aux joueurs leur rôle et ce que la morale est censée leur dicter (avec toute la subjectivité que cela comporte). Ainsi les conflits s’enchaînent et l’histoire continue de se dérouler, quels que soient les choix des PJs et même grâce aux choix des PJs.

Comment mener le jeu ?

L’un des derniers chapitres du livre donne au MJ les moyens pour renforcer la grande dynamique du jeu, notamment : mener les joueurs au conflit, révéler le village activement, suivre les joueurs à propos de ce qui compte et n’ayez pas de solution en tête.

Ces techniques ne sont pas en soi révolutionnaires, mais mises ensemble, elles catalysent le reste du jeu, elles mettent au premier plan tous les autres enjeux cités plus haut en évitant d’employer des techniques contre-productives.

Le Vide Fertile dans Dogs in the Vineyard

…est le point de convergence de toutes ces incitations :

→ Le jeu place les joueurs en position de juges face à des villageois qui font au mieux face à leurs problèmes quotidiens

→ C’est aux PJ d’exécuter la sentence, ils ont toute l’autorité pour ça

→ Ils devront rendre des comptes si ça tourne mal (le jeu demande au MJ de prévoir ce qui arrive au village si les PJs n’interviennent pas)

→ Les problèmes sont toujours moralement ambivalents

→ Les PJ ont une mission qui peut s’opposer parfois à leurs valeurs, ou à ce qui compte pour le joueur

→ Les joueurs ont une liberté de conscience totale

→ L’histoire n’est que le produit des conséquences de leurs actes et de ceux des PNJ → Ils sont donc entièrement responsables des conséquences de leurs actes

→ Les techniques de MJ servent à appuyer dans ce sens et à le mettre en situation de faire du chantage6 aux joueurs par l’intermédiaire de ses PNJ

→ Lors des conflits, les différents degrés d’enjeux se brouillent pour pousser les joueurs à la faute ou à prendre des décisions regrettables

Les joueurs sont donc pris dans cette spirale, toutes leurs décisions y prennent part et d’intenses problématiques morales émergent pendant les parties. J’ai pu voir des joueurs terrorisés face à un dilemme, de jeunes joueurs qui appréhendaient le jeu sous un angle bourrin et optimisateur, comme une pure question de défi, abandonner un conflit, penauds, pour ne pas faire de mal à un PNJ qu’ils affectionnaient, voire finir par tenter de tout résoudre sans violence.

Il faut comprendre le Vide Fertile comme l’idée qu’une technique ou une règle seule n’est rien, qu’elle ne se définit que dans un tout cohérent7. Si vous prenez n’importe quel bout de Dogs in the Vineyard sans le reste, vous perdrez son Vide Fertile.

Prosopopée, un jeu de ma création

La structure

Prosopopée possède une structure narrative organique : quand le jeu commence, les participants ne savent pas encore de quoi l’histoire et le monde, seront faits. Les personnages doivent découvrir, en même temps que les joueurs, les problèmes du lieu qu’ils visitent, puis les régler. Ces problèmes concernent toujours la relation des communautés humaines avec la nature et le surnaturel.

Deux éléments permettent de donner une dynamique et une direction à l’histoire : les dés d’Offrande et les dés de Problèmes.

Un joueur donne un dé d’Offrande à un autre quand ce qu’il dit lui a plu. Les joueurs amassent donc des dés d’Offrande au fil de la partie. Ils leur serviront à résoudre les Problèmes. Ces dons de dés sont le rythme de la partie. Tant qu’un joueur ne possède pas suffisamment de dés pour résoudre un problème, il devra continuer à mener l’investigation, à dévoiler les lieux, rencontrer leurs habitants et creuser leur histoire. Cela crée un rythme lent, tout à fait adapté à un jeu contemplatif, car il permet que le principal enjeu soit de décrire de belles choses.

C’est rendu possible parce que les joueurs ne sont jamais amenés à résoudre des enjeux par réaction immédiate à des agressions. Le temps long du jeu fonctionne parce qu’il faut du temps pour amasser des dés afin de résoudre ce qui compte vraiment au niveau du macrocosme. Les enjeux sont le “Déséquilibre” du monde, pas les problèmes personnels des personnages. Les joueurs pouvant se concentrer sur les problèmes globaux, plutôt que sur ceux de leurs personnages, il peuvent donc agir avec altruisme et désintéressement.

Les joueurs placent également des dés de Problèmes sur une feuille (appelée Cercle des Couleurs), en les décrivant, ce qui permet d’identifier les problèmes qui comptent vraiment et ceux qui s’avèrent anodins. Le score de ces dés indique leur difficulté.

Les problèmes sont émergeants, personne ne sait au début de la partie de quoi il va retourner. Une fois que les joueurs possèdent suffisamment de dés d’Offrande, ils peuvent résoudre le dé de Problème de leur choix.

Cela donne un caractère imprévisible à la partie :

  • quels seront les problèmes (l’évolution de la partie peut conduire à la création de problèmes inattendus, puisque dépendants de ce que chacun dit) ?
  • dans quel ordre seront-ils résolus (et du coup cela joue sur la compréhension des causes et des conséquences de l’ensemble des problèmes) ?
  • qui va résoudre quel problème et comment ?

De plus, en cas d’échec, certains problèmes sont amenés à changer et notre compréhension de la situation avec.

Voilà pourquoi cette structure est organique et non linéaire : même quand la partie est bien avancée, les choses peuvent changer, échapper aux joueurs. Cela brise le sentiment de toute puissance et la possibilité du consensus quant à la résolution de l’histoire.

Enfin, l’une des spécificités du jeu est que l’on ne peut jamais vraiment échouer (sauf si les joueurs abandonnent d’un commun accord, si la tâche s’avérait trop difficile). La partie s’arrête généralement quand tous les problèmes ont été résolus. Cela inhibe tout défi, toute compétition quant à la réussite ou non des objectifs des joueurs. Le jeu évite tout sentiment de linéarité grâce au caractère organique et imprévisible de l’histoire et de la création commune du monde au pied levé.

Le partage de Responsabilités

Dans Prosopopée, le partage des Responsabilités narratives est très large8, c’est-à-dire que les joueurs ont la liberté de décrire le décor, l’intrigue et les personnages secondaires à loisir. Comme il n’y a pas de préparation préalable, cela permet de ne pas faire reposer la création au pied levé sur une seule personne, la conjugaison des cerveaux produit une synergie créative et le suspense naît de l’impossibilité de prévoir les apports des autres9.

Ce partage large des Responsabilités est ce qui donne aux joueurs un grand espace dans lequel ils peuvent éprouver toute l’amplitude de leur créativité. Ils sont encouragés à se montrer créatifs et le moindre ajout de détail anecdotique peut revêtir une très grande importance pour la suite de l’histoire, ce qui est la plus grande récompense que le jeu offre aux joueurs : que leurs apports à la fiction puissent prendre une grande importance pour la suite de l’histoire, simplement en réincorporant (et éventuellement en développant) ce qui a été dit avant.

De plus, ce partage large des Responsabilités sur la fiction permet également aux joueurs de pouvoir inventer pendant le jeu les solutions et les explications relatives aux problèmes et de conférer à leurs personnages toute la culture et toute la sagesse nécessaire à leur rôle, sans avoir à ingurgiter des encyclopédies avant la partie10.

La création de contenu fictionnel brut et son appréciation (ce que Ron Edwards appelle l’Exploration) sont mises au premier plan, car les enjeux de type “défi” sont inhibés et le positionnement des joueurs par rapport aux notions de bien et de mal est déjà tranché (il faut rétablir l’équilibre entre nature, surnaturel et humains).

Mécaniques de jeu

Pendant le jeu, le renforcement de l’esthétique de la fiction est central. La mécanique de récompense via les dés d’Offrande n’est pas ce qui conduit le joueur à respecter le canon commun11, c’est le fait de devoir construire sur ce qui a été dit avant sans planifier ce que l’histoire devrait devenir.

Le don de dés d’Offrande permet seulement de renforcer l’importance de cet enjeu. Il valide le fait de jouer dans ce sens et il met tout le monde d’accord à ce sujet. Il permet également de communiquer sur ce que les joueurs préfèrent sans interrompre la fiction, donner des pistes quant à la direction que le groupe privilégie pour l’histoire et le monde que l’on crée. Il donne un coup de pouce à une dynamique déjà présente dans le jeu, la valide, la récompense et augmente le plaisir de jouer dans la bonne direction.

Les dés de Problèmes jouent également un rôle important à ce sujet, puisqu’ils permettent aux joueurs de décider quels seront les enjeux principaux de la partie et donc de mettre en valeur les idées et créations des autres, en leur donnant un rôle central dans l’histoire. Quand un joueur place un dé de Problème, il verrouille un élément de la fiction et en fait un élément clef de la partie.

Les joueurs peuvent modifier ce qu’ils veulent comme ils le veulent dans la fiction. Verrouiller un élément de la fiction signifie qu’il n’est plus malléable. Les joueurs le notent sur une fiche, il résiste désormais à la volonté des participants. Le seul moyen de le faire céder est de lancer les dés d’Offrande amassés au cours de la partie. Les dés d’Offrande et les dés de Problèmes participent d’une même boucle, toutes les composantes du jeu interagissent et stimulent la création et les interactions sociales des participants autour de la table dans une direction commune, la fiction et les mécaniques s’alimentent mutuellement, la boucle est bouclée.

Les Médiations (les Caractéristiques du jeu) orientent la manière de résoudre des Problèmes en proposant au joueur d’employer des moyens créatifs, sages, intellectuels, etc. Techniquement, ils ne suffisent pas à inciter les joueurs à limiter la violence, et certaines formes de violence peuvent parfois se révéler justifiées. Mais conjuguées à l’incitation à l’altruisme, au fait que les Médiums ne sont pas affectés eux-mêmes par les Problèmes et qu’ils doivent rétablir l’équilibre entre humains et nature/surnaturel encourage les joueurs à agir à la façon de sages érudits, et donc sans utiliser de méthodes guerrières.

La limite des hacks du jeu tient au fait que les Médiums sont intouchables, que la résolution ne fonctionne pas par action/réaction, mais sur la découverte progressive des problèmes et des moyens de les résoudre, et que les problèmes et les Médiations les poussent à se comporter comme des médiateurs.

Enfin, un petit nombre de conseils permet de faciliter l’appréhension du jeu dans le sens de sa démarche globale, comme par exemple : “Ne nommez pas, décrivez”, “Prenez le temps d’apprécier les silences”, “Personne ne doit planifier l’histoire”, etc.

Le Vide Fertile dans Prosopopée

L’ensemble des éléments du jeu que je viens de décrire (et d’autres encore) créent les conditions et incitent à la contemplation, à la poésie. Les parties ressemblent souvent à un rêve éveillé collectif. C’est le Vide Fertile, qui est le produit de l’ensemble des composantes du jeu et de son impact sur les processus créatifs et sociaux.

→ Les Médiums doivent découvrir les Problèmes entre humains et la nature/le surnaturel

→ Personne ne sait rien de ce que l’on va trouver, ni de l’histoire (il ne faut pas planifier l’histoire)

→ Les dés d’Offrande et de Problèmes donnent un temps de jeu lent et contemplatif, ainsi qu’une structure organique à l’histoire : ils créent de l’incertitude quant à l’évolution de l’histoire, à l’émergence des Problèmes et de comment elle va se résoudre, et en cas d’échec, les Problèmes peuvent changer et échapper aux joueurs

→ On ne peut jamais échouer (sauf abandon collectif) ce qui inhibe les enjeux de défi et de compétition

→ Les dés d’Offrande permettent de communiquer silencieusement sur la direction qui plaît au groupe, ce qui facilite la constitution d’un canon commun

→ Ce qui incite à respecter le canon, c’est le fait de construire sur ce que les autres ont dit

→ Les dés de Problèmes permettent d’établir ce qui compte vraiment pour l’intrigue et de valoriser les apports des autres

→ Ils créent également une résistance sur des éléments de la fiction, qui ne peut être rompue qu’en lançant les dés (ce qui fait boucler l’Économie du jeu)

→ Les Problèmes n’affectent pas les Médiums, ils sont centrés sur les communautés humaines et sur la nature/le surnaturel, les joueurs peuvent donc se montrer altruistes

→ Les Médiations orientent les résolutions de Problèmes dans des directions autres que le combat ou la violence

→ Le large partage de Responsabilités permet de conjuguer la créativité des participants et d’ouvrir de grands espaces de créativité

→ Les joueurs ont toute latitude pour inventer la culture de leurs Médiums et les rendre “sages” de toutes les manière qu’ils désirent

→ Les enjeux de défi et de se positionner par rapport au bien et au mal sont inhibés, l’Exploration au sens de Ron Edwards peut être la priorité des parties

→ Les conseils facilitent une manière de jouer en accord avec le reste

Voilà donc toutes les incitations à l’œuvre dans le jeu (j’ai omis les mineures). Elles convergent toutes pour construire une démarche solide.

Si l’on voulait produire le même effet par une incitation directe, il faudrait donner une injonction au joueur de type : si vous dites quelque chose de poétique/contemplatif/qui contribue au rêve éveillé, vous gagnez un bonus ! Or, les dés d’Offrande ne font pas une telle chose, ils guident le jeu et permettent de valoriser les joueurs qui séduisent le plus les autres (ce qui est déjà la démarche du jeu, même si on enlève les dés d’Offrande, ils ne font que la renforcer), sans influencer le contenu de leurs contributions.

Du coup, les joueurs se trouveraient dans un effort créatif OuLiPien, mais une telle approche met le joueur en situation de performance et cela tend à rompre toute causalité avec les enjeux fictionnels et les intérêts de son personnage (ce que Prosopopée préserve au contraire). Typiquement, ce type d’incitations est inapproprié pour de l’incitation directe si l’on veut obtenir un minimum de nuance, de spontanéité et de fraîcheur. Mieux vaut créer les bonnes conditions, faciliter et renforcer une certaine forme de jeu que donner des injonctions.

Le Vide Fertile consiste à réinsérer les incitations dans une structure organique et en symbiose avec les enjeux de la fiction, en faire une dynamique plutôt que des panneaux indicateurs.

Conclusions

Le Vide Fertile est le contraire de forcer les joueurs à aller dans un sens donné. Il tire partie des potentialités du jeu en matière de choix et de créativité. Le jeu fournit un terreau dans lequel les joueurs puisent, le cadre dans lequel ils peuvent éprouver pleinement leur liberté et ils sont encouragés à créer dans des directions bénéfiques pour le jeu et pour la fiction.

Les éléments du système doivent être conçus en convergence et pour le groupe de joueurs (MJ compris). Tous les jeux possèdent des espaces blancs laissés aux joueurs et au MJ, mais beaucoup ne les transforment pas en une dynamique créative et sociale.

C’est quand le jeu vous fait faire des choses qui vous surprennent vous-mêmes, quand vous avez le sentiment qu’il se produit plus que ce que chacun pourrait apporter individuellement (la conjugaison des cerveaux et du système) que l’on peut parler de Vide Fertile fort.

VAMPIRES, a postmodern roleplaying game, de Victor Gijsbers, donne un exemple d’injonction tuant le Vide Fertile. Un joueur est exhorté à agir avec cruauté dans des scènes prévues à cet effet et les autres jugent le niveau de sa performance (d’autres scènes mettent en jeu des conflits entre vampires). D’une part, l’effort se dissocie des intérêts fictionnels du personnage, les joueurs se trouvent en situation de performance pure pour mettre les autres joueurs mal à l’aise.

Les descriptions peuvent être intenses, mais la motivation des joueurs et la raison pour laquelle on va commettre des actes de cruauté est externe à la fiction : c’est la mécanique qui nous le demande et la qualité de la performance est le fait du joueur et non du jeu, qui se contente de renforcer sa créativité, sans donner le terreau et sans inscrire ces actes dans une causalité d’actions et de décisions qui permettraient de leur donner du sens en faisant de toute cette cruauté l’aboutissement des décisions du joueur. C’est un cas typique où le jeu cherche à créer une motivation, plutôt que de renforcer une motivation déjà existante. Sur la durée, ces scènes finissent par paraître forcées, artificielles, vides de sens.

Dans VAMPIRES, l’incitation devient purement mécanique et détachée des enjeux fictionnels. OK, la cruauté des vampires est leur façon de se nourrir (en gorgeant une réserve de dés) et le but du jeu est de nous pousser à l’inhumanité. Mais cette inhumanité demeure artificielle. Difficile de s’y engager si ce n’est pas le fruit d’un engrenage progressif ou une légitimation par des choix personnels, mais une pure contrainte mécanique. Si on ne le fait pas, notre personnage n’aura pas les moyens de rivaliser avec les autres vampires, donc la boucle de l’Économie du jeu existe et fonctionne, mais elle est mécanique et non organique et étouffe le Vide Fertile.

Certains jeux possèdent du contenu, des règles et des techniques qui s’éparpillent dans plusieurs directions (Cf. Vampire la mascarade, à ne pas confondre avec VAMPIRES, a postmodern roleplaying game dont je viens de parler), d’autres les mettent ensemble en les laissant flotter conjointement sans générer d’interactions fertiles entre elles (Cf. L’Appel de Cthulhu). Le Vide Fertile ne peut exister que si l’ensemble des composantes du jeu convergent et bouclent pour produire une spirale créative et sociale positive. De plus, quand un scénario prévoit trop l’histoire, il remplit le Vide Fertile à l’avance et ne permet pas aux joueurs de se l’approprier.

Dans le schéma de Vincent Baker, l’Économie est la roue et le Vide Fertile est la spirale en son centre, générée par son mouvement.

Tout se joue au niveau préalable au moment où les joueurs (MJ compris) prennent des décisions : l’ensemble des choses en jeu comptent dans ces moments particuliers, la façon dont ils pèsent, orientent, stimulent, créent des tensions, rendent certaines choses possibles, rendent intéressantes, éliminent les options parasites, facilitent, renforcent, créent une émulation, ouvrent et resserrent les possibilités…

Une fiction de faible intérêt (si on la retranscrivait fidèlement après la partie) peut être issue d’une partie de jeu de rôle formidable, car les faits fictionnels énoncés ne retranscrivent jamais la totalité de ce qu’il se passe dans le processus de décision d’un joueur et de l’influence que ses camarades et le système ont dessus, ce que Romaric Briand nomme le Maelstrom12.

Ni le Maelstrom, ni le Vide Fertile ne sont accessibles lorsqu’on assiste à une partie sans y prendre part ou lorsqu’on lit une retranscription de sa fiction. Et ce sont pourtant les deux choses les plus importantes de toute partie de jeu de rôle.

Le Vide Fertile est aussi la raison pour laquelle on ne peut pas juger correctement un jeu de rôle à la lecture de son manuel. Il est impossible de saisir la façon dont ses composantes mises ensemble produiront un Vide Fertile, ni s’il sera fort ou non.

Quand vous écrivez un jeu, le Vide Fertile est tout ce qui compte, la raison pour laquelle vous créez des règles, des techniques et du contenu. Il n’y a pas de recette pour construire un jeu produisant un Vide Fertile fort. Le but de cet article est de le mettre en évidence. Mon meilleur conseil à présent : jouez à des jeux à Vide Fertile fort. Réfléchissez à la façon dont ils le produisent et pourquoi certaines choses émergent fréquemment dans la pratique de certains jeux alors qu’aucune mécanique n’en porte le nom !

Le sujet est immense, et je vous invite à en discuter ici-même. Posez-moi des questions, parlez-nous de vos propres expériences de Vides Fertiles, approfondissons la question, aidons ceux que cela intéresse à consolider le Vide Fertile produit par leurs jeux.

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1 La motivation d’un individu à faire quelque chose dépend du sens qu’il y met, de ses relations avec les personnes avec qui il interagit et de nombreux autres paramètres sur lesquels on ne peut agir. Il est possible de renforcer une motivation déjà présente. Mais pas de créer de la motivation. Voir le concept de renforcement en psychologie sociale : http://fr.wikipedia.org/wiki/Motivation#Les_th.C3.A9ories_du_renforcement

2 L’Économie, “Currency” en anglais, est expliquée plus en détail dans cet article de Vincent Baker (en anglais) : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497 et sur le Provisional Glossary (en anglais) : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html
Vous trouverez à l’adresse suivante un schéma de l’Économie de
Poison’d de Vincent Baker (en anglais) : https://docs.google.com/drawings/pub?id=1AoKhvMN3Nz9rCsbwjzTukWFuavnu5b4b1D6F7oXI84&w=960&h=720

3 Ce concept est présenté par Vincent Baker sous la forme d’un schéma précédant une discussion passionnante (en anglais) : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/119

4 Le système, selon Vincent Baker, est la façon dont on se met d’accord pour prendre des décisions dans la fiction. Cela comprend l’ensemble des règles véritablement utilisées, les techniques habituelles du groupe et celles employées ad hoc. Ainsi, la présence d’un scénario, sa structure, le partage de la narration etc. font partie du système. Voir la définition du Provisional Glossary (en anglais) : http://indierpgs.com/_articles/glossary.html

5 Dan Maruschak identifie ce phénomène comme une différence de “distance psychologique”, d’après les théories des psychologues Yaacov Trope et Nira Liberman (en anglais) : http://www.danmaruschak.com/blog/2013/06/28/foreststreesandrpgs/

6 Voir la résistance asymétrique Négociation/Chantage dans l’article suivant : http://www.limbicsystemsjdr.com/laresistanceasymetrique/

7 Toujours à propos de l’Économie : alors qu’une mécanique pourra sembler adaptée pour un jeu donné et renforcer sa dynamique, elle peut s’avérer un frein pour un autre, voire se trouver inadaptée. Le principe fondamental pour obtenir une Économie forte est de considérer l’influence de chaque mécanique sur les autres comme une roue qui tourne sous l’impulsion des joueurs et qui peut s’avérer un cercle vertueux et/ou vicieux, conduisant l’histoire et les personnages vers leur accomplissement ou vers leur perte ; avec dans certains jeux un grand dégradé de nuances entre ces deux issues possibles et dans d’autres un seul type de dénouement possible.

Voir l’article Les niveaux d’un système : http://www.limbicsystemsjdr.com/lesniveauxdunsysteme/

8 Pour plus d’explications sur la différence entre partage de Responsabilités serré ou large, écouter le podcast Responsabilités, Positionnement et Machines à saucisse : http://www.lacellule.net/2014/05/podcastjdrresponsabilite.html

ou lire son résumé : http://www.limbicsystemsjdr.com/podcasttoutjeuderolepartagelanarration/

9 Observation de Benoît “Yglirin” dans le fil [On mighty Thews] Narration partagée et prévisions sur le forum Silentdrift : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=19&t=2656#p21629

10 Pour un développement de ce point, lire Partage de narration, exemple : les sages de Prosopopée : http://www.limbicsystemsjdr.com/partagedenarrationexemplelessagesdeprosopopee/

11 Le canon d’une partie de jeu de rôle est le cadre selon lequel les participants définissent ce qui est acceptable dans les propositions des participants : ce qui correspond au genre (au sens large) de la fiction que l’on crée ensemble. Ce cadre n’est jamais parfaitement rigide et l’exploration de ses limites peut participer au plaisir de jeu. Pour plus d’explications, voir l’article Comprendre le simulationnisme à travers Prosopopée : http://www.limbicsystemsjdr.com/comprendrelesimulationnismeatraversprosopopee/

12 Romaric Briand, Le Maelstrom (2014), chapitre Le Maelstrom, p.239 à 289.

J’alimente ce site depuis 2009 en réflexions diverses sur le jeu de rôle et se repérer dans le lot n’est pas forcément facile. Pour vous aider à distinguer les articles les plus importants, je vous ai concocté une petite liste.

Réflexion de fond :

Création de jeux :

Autres

 

Selon le principe de Lumpley1 que je vous rabache souvent, le système (incluant les règles mais ne s’y limitant pas) est l’ensemble des moyens par lesquels le groupe se met d’accord à propos des événements fictifs.

Ok , voyons cela de plus près.

 Faire du jeu de rôle, c’est dire des choses à propos de personnages dans une fiction.

Il ne suffit pas de dire des choses, on a besoin d’établir qui peut dire quoi ; il y a des choses que j’ai le droit de dire et pas toi et vice versa.

Quand je dis quelque chose, c’est dans le but de réagir à ce que quelqu’un a dit et d’obtenir une réaction de quelqu’un d’autre.

Quand ce que je dis s’oppose à ce que tu dis et que chacun campe sur ses positions ou que l’on endure un risque que l’on veut éviter, on parle de résistance.

Quand on décide qui surmonte l’opposition, on parle de résolution.

 Ça, c’est la base d’une partie de jeu de rôle.

C’est quoi le système là-dedans ?

Qui dit quoi ?

Souvent en jeu de rôle, j’ai le droit de dire ce que fait un personnage particulier mais pas les autres. Le MJ décrit le décor et ce que font les personnages, sauf ceux des joueurs…

 Il s’agit du fondement du système : établir qui a le droit de dire quoi.

 Souvent, les groupes ayant une pratique traditionnelle mettent en place des procédures de manière tacite quant à qui a le droit de dire quoi : à certaines tables traditionnelles, les joueurs ont le droit de décrire les lieux qui appartiennent à leurs personnages, mais ce n’est pas toujours le cas ; certaines fois les joueurs doivent questionner le MJ pour savoir si quelque chose existe, d’autre fois, le MJ les laisse décider eux-mêmes ; il arrive que les joueurs enrichissent eux-mêmes le monde du jeu, parfois c’est le MJ qui gère cela seul ; le MJ peut parfois prendre temporairement le contrôle des PJ, parfois il s’en abstient, etc.

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît conditionne fortement qui a le droit de décrire ce qui le compose.

 Dans les jeux à partage d’autorité, souvent ces procédures sont formalisées et l’on voit les joueurs narrer le résultat de leurs jets de dés ; décrire le décor ; jouer les PNJs ; développer l’intrigue au fil de l’histoire etc.

 Décider qui a le droit de dire quoi, c’est répartir les Responsabilités narratives2. C’est la première pierre du système.

 Les Responsabilités narratives permettent l’altérité, autrement dit, le sentiment d’être la volonté d’un personnage3 qui ne peut faire tout ce qu’il veut dans le monde fictif et qui se heurte aux volontés des autres personnages qu’il rencontre sans pouvoir prédire leurs intentions. Un simulacre d’existence humaine en quelque sorte.

Qui est décisionnaire ?

Une fois qu’on a décidé qui peut dire quoi, il faut savoir qu’en jeu de rôle rien ne peut se produire dans la fiction si tous les participants n’y ont pas consenti.

Ce consentement est généralement tacite et l’absence de consentement signifie remettre en cause ce qui a été dit.

 De plus, les Responsabilités sont toujours plus ou moins perméables entre les participants, et pour renforcer le sentiment que certains éléments de la fiction nous appartiennent, on donne le dernier mot ou un droit de véto4 à une ou plusieurs personnes concernant certains éléments de la fiction. Ce qui s’apparente à focaliser l’attention des participants sur certains éléments de la fiction afin de leur demander de juger plus scrupuleusement de ce qui mérite leur consentement. Et leur permettre de rejeter une proposition qui ne leur convient pas.

 Dans un JDR traditionnel, c’est généralement le MJ qui a le dernier mot sur tout : tous les participants acceptent qu’il puisse remettre en cause n’importe quel élément fictionnel ou des règles. Dans un JDR à partage d’autorité, certains participants ont le dernier mot sur certaines choses (par exemple le passé de son personnage, l’intrigue etc.)

 Le fait d’avoir créé un univers riche et complexe que seul le MJ connaît induit fortement qu’il ait le dernier mot sur cet univers.

 Donner le dernier mot à quelqu’un fait partie de la répartition de l’autorité. C’est la deuxième pierre du système.

Réagir et faire réagir

Tout ce qu’on dit dans la fiction s’adresse toujours aux autres participants. La plupart du temps, cela pousse d’autres participants à dire quelque chose en retour. Les narrations fictionnelles qui ne s’inscrivent pas dans cette dynamique sont de la Couleur5 pure.

 Exemple : « le MJ dit aux joueurs que des voitures aux vitres teintées roulent pied au plancher dans leur direction et qu’ils voient les vitres se baisser et des flingues pointer vers eux. »

Cette narration incite les joueurs à réagir en manifestant un danger à l’encontre de leurs personnages.

 Si joueur A dit : « je prends mon flingue et je vise les roues des voitures. »

Il réagit à ce qu’a dit le MJ. Mais il sait peut-être qu’un autre joueur réagira (positivement ou négativement) à ce qu’il vient de dire.

 Joueur B dit à joueur A : « je te fais baisser ton arme et t’entraîne dans une ruelle sombre. Ils sont bien trop nombreux, planquons-nous ! »

Il a réagi à ce qu’ont dit respectivement joueur A et le MJ.

 Mais le MJ n’a pas dit son dernier mot : « vous entendez les voitures freiner en haut de la ruelle et quatre ou cinq personnes en sortir et vous prendre en chasse ».

Le MJ réagit à ce que joueur A et joueur B ont dit et les pousse de nouveau à réagir sous réserve de passer un sale quart d’heure.

 Ça marche aussi avec des obstacles inertes : Le MJ dit : « Soit vous passez par le chemin et vous arriverez en retard au rendez-vous, soit vous tentez d’escalader la falaise escarpée. »

Que fait-il ? Il propose un choix6 aux joueurs.

 C’est ce qu’on fait continuellement en JDR, on propose des choix aux autres. Le MJ dresse une situation → un joueur réagit en premier → un autre joueur réagit à ce que le joueur a dit → le MJ réagit à leurs actes et ainsi de suite.

 Notez que ce n’est pas toujours aussi flagrant : on propose des choix aux autres participants chaque fois qu’on ajoute quelque chose dans la fiction, qu’on décrit les actes de son personnage, etc. parce qu’à chaque fois cela change la situation fictive et donc les possibilités des autres participants.

 Parfois, on obtient une réaction sans l’avoir volontairement provoquée. Par exemple, on pensait qu’un autre joueur nous suivrait et en réalité il s’oppose à notre proposition.

 Tout cela, c’est ce qu’on appelle le Positionnement fictif7, autrement dit, la manière dont chaque participation alimente une situation fictive en créant un ensemble de choix nouveaux aux autres participants.

 Il s’agit là du point de convergence de l’ensemble du système de jeu. Le but de toute procédure, de toute règle et de toute Technique, c’est de produire du Positionnement et d’en renforcer la qualité.

La structure dramaturgique

Dans les pratiques traditionnelles, la structure de l’histoire est prévue à l’avance par l’intermédiaire d’un scénario plus ou moins directif.

Dans d’autres pratiques, ce sont des mécaniques de jeu qui constituent la structure de l’histoire de la partie8.

Parfois, la préparation des personnages est un apport très consistant à la structure de l’histoire9, voire en constitue le principal moteur.

Il arrive enfin que l’on formalise le découpage des scènes10 pour structurer l’histoire.

Il est rare qu’un jeu de rôle n’ait aucune préparation visant à alimenter la structure de l’histoire.

La structure dramaturgique est la colonne vertébrale d’un système et d’une partie de jeu de rôle.

La résistance

Il y a certains faits fictifs que l’on ne peut dépasser que sous certaines conditions. Ils sont généralement associés à l’idée d’obstacle, de conflit, d’épreuve, de danger, de combat…

Le joueur fait de sa volonté celle de son personnage par le principe de synesthésie11. Il y a deux types de faits qui génèrent de la résistance fictive : les autres volontés et les obstacles. Quand mon personnage ne veut pas que le tien obtienne ce qu’il désire ou quand un élément du décor se dresse entre ton personnage et son objectif.

La résistance12 est toujours un moment du jeu où l’on fait appel à des procédures réelles (les mécaniques de jeu) pour faire des éléments fictifs des obstacles à la volonté du personnage.

Il s’agit d’un des fondements du jeu de rôle. Si vous retirez toute résistance d’une partie, tout sera calme, personne ne s’opposera à personne, rien ne sera vivant dans votre histoire. Il n’y aura d’ailleurs pas d’histoire.

Résoudre la résistance

Chaque jeu ou chaque groupe définit différemment ce qui mérite de la résistance. On ne peut dépasser la résistance fictive que si l’on remplit une condition pré-établie, par exemple :

  • obtenir un score supérieur à 3 sur un d6 ;
  • avoir pioché du cœur parmi les cartes ;
  • que le MJ donne son aval ;
  • posséder un score de Caractéristique plus élevé que son adversaire ;
  • avoir misé secrètement plus de jetons que son adversaire ;
  • d’obtenir un score supérieur à celui de l’adversaire sur un d10 ;
  • etc.

Les mécaniques de résolution13 permettent donc de résoudre et donc de dépasser la résistance rencontrée dans la fiction. C’est une manière pour la volonté de prendre le dessus sur le monde ou sur d’autres volontés afin d’atteindre son but.

La résolution et la résistance sont interdépendantes.

La monnaie d’échange

La monnaie d’échange14, ce sont les interactions entre les différentes mécaniques du jeu, notamment celles qui concernent les personnages. L’un des principaux intérêts de la monnaie d’échange, c’est de créer des interactions bénéfiques ou néfastes en fonction des choix du joueur et donc d’encourager certains comportements pendant les parties15.

Voici un bel exemple de monnaie d’échange : dans Dogs in the Vineyard, pendant un Conflit, si l’on change de mode d’action (entre quatre possibilités : non-physique, physique, combat et armes à feu), on peut ajouter à notre main des dés de Caractéristiques supplémentaires. Cela a pour effet d’augmenter nos chances de succès quand il ne nous est pas acquis, mais tend à nous faire causer plus de Retombées et à envenimer la situation (principalement quand on passe d’un mode de Conflit non-violent à un mode violent). Les Retombées apportent des modifications (négatives et/ou positives) aux personnages (dans leurs Traits et leurs Caractéristiques) et mettent éventuellement leur vie en danger.

Pour conclure

Le système, c’est tout cela. Beaucoup de choses que l’on fait par habitude sans y réfléchir et qui sont, au fond, rarement expliquées dans les livres de JDR. Et quand on en prend conscience, cela ouvre un champ de possibilités insoupçonnées.

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1Voir le principe de Lumpley sur le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

2Au sujet des Responsabilités narratives : https://www.limbicsystemsjdr.com/responsabilite-et-propriete/

3Voir La volonté et le monde : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-volonte-et-le-monde/

4Voir JDR traditionnel et JDR à autorité partagée : https://www.limbicsystemsjdr.com/jdr-traditionnel-et-jdr-a-autorite-partagee/

5Couleur : tout détail, illustration ou nuance qui produit une ambiance (Définition de Ron Edwards). http://ptgptb.free.fr/index.php/le-lns-chapitre-1/

6Pour en lire plus sur les choix : https://www.limbicsystemsjdr.com/question-de-choix/

7Lire l’article synthétique de Vincent Baker (en anglais) sur le Positionnement : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=702

8Voir Zombie Cinema de Eero Tuovinen : http://www.arkenstonepublishing.net/zombiecinema/resources

9Par exemple Lady Blackbird : http://ladyblackbird.ecuries-augias.com/

10Voir Bliss Stage : http://swingpad.com/dustyboots/wordpress/?page_id=244

11Synesthésie : la corrélation entre les enjeux fictifs et ludiques, voir https://www.limbicsystemsjdr.com/retour-sur-la-synesthesie/

12Pour en savoir plus, lire la Résistance asymétrique : https://www.limbicsystemsjdr.com/la-resistance-asymetrique/

13Voir les articles À propos des mécaniques de résolution : https://www.limbicsystemsjdr.com/a-propos-des-mecaniques-de-resolution/ et Pourquoi nous lançons des dés : https://www.limbicsystemsjdr.com/pourquoi-nous-lancons-des-des/

14Voir Currency dans le Provisional Glossary : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html

15Voir Les niveaux d’un système : https://www.limbicsystemsjdr.com/les-niveaux-dun-systeme/

J’avais déjà écrit un court sujet pour parler de ce qu’est un JDR traditionnel, cette mystérieuse expression, tantôt péjorative, tantôt méliorative, souvent confuse. Je vous propose d’observer plus en détail ce qu’implique jouer de façon traditionnelle et jouer de façon non-traditionnelle.

Une partie de JDR traditionnelle (ou classique) est une partie pendant laquelle le MJ a le dernier mot sur tout ce qui a un rapport avec le jeu1. Par extension, j’appelle JDR traditionnel un texte de jeu dans lequel, implicitement ou explicitement, le MJ a le dernier mot sur tout ce qui a un rapport avec le jeu.

Si une partie de JDR ne donne pas le dernier mot sur tout au MJ, elle devient une partie de JDR à autorité partagée. Par extension, j’appelle JDR à partage d’autorité un texte de jeu qui répartit l’autorité du MJ entre les participants.

Précisions

Avoir le dernier mot sur tout signifie que le MJ décide ou juge tout ce qui concerne la partie : une règle doit-elle être utilisée, contournée ou jetée à la poubelle ? Ce que dit un joueur est-il acceptable ? Quelle forme doit prendre la préparation de la partie ? Notamment, le MJ peut souvent librement modifier et corriger toute intervention des joueurs et décider des actions des PJ (« Devant la créature qui se dresse devant toi, tu ne peux rien faire d’autre que prendre tes jambes à ton cou… »).

Partager l’autorité du MJ signifie que ce sur quoi le MJ a le dernier mot dans une partie traditionnelle peut être à présent décidé et jugé par d’autres joueurs et plus seulement par le MJ : ce que dit un joueur est-il acceptable ? Ai-je le dernier mot sur tout ou partie de ce qui concerne mon personnage ? Et parfois : qui décrit le décor ? Qui contrôle les PNJ ? Etc.

Avoir le dernier mot est parfois également appelé « avoir un véto », par exemple dans Zombie Cinéma d’Eero Tuovinen ou dans Monostatos de Fabien Hildwein.

Relation entre règles et MJ

JDR traditionnel

Quand le MJ a le dernier mot sur tout, il décide généralement du type de scénario ou autre préparation de l’histoire et du monde qui lui plaît, il décide avant ou pendant la partie quelle règle il utilise et quelle règle il modifie, voire s’il modifie l’intégralité des mécaniques de résolution, de la fiche de personnage etc.

Le MJ est au dessus des règles qui sont elles-mêmes au dessus des joueurs en terme d’autorité.

MJ → Règles → Joueurs

Chaque action, chaque choix induit par un joueur est soumis au jugement du MJ et à son approbation. Les joueurs doivent donc veiller à répondre à ses attentes, qui peuvent être plus ou moins souples ou précises en fonction des MJ et du cadre fictionnel de la partie.

Comme le MJ a le dernier mot sur tout, il peut partager ses espaces de narration et de contrôle de l’histoire avec les joueurs. À la différence des parties à autorité partagée, c’est lui qui décide et qui jugera si ce que les joueurs en font est acceptable. Après tout, il est le seul à connaître le scénario et/ou les secrets de l’univers et ce qui sera important pendant la partie. En revanche, il doit veiller à ne pas offrir aux joueurs des espaces de narration, de créativité ou de contrôle qui mettraient en péril sa préparation de partie, en particulier le déroulement du scénario.

Donc, avoir le dernier mot sur tout ne signifie pas être un despote jaloux et dirigiste qui monopolise le temps de parole de la partie. Ça signifie être en grande partie responsable de la qualité de la partie : de son arbitrage, de l’intrigue, du relationnel, etc. ou du moins en être le garant, car le MJ juge et corrige au besoin chaque aspect de la partie pour tenter de donner le plus de cohérence et de crédibilité possible à l’ensemble. Cela peut aller de pair avec un fort contrôle sur le déroulement de la partie et de son contenu, mais ce n’est pas obligatoire.

JDR à autorité partagée

Quand le MJ n’a pas le dernier mot sur tout, il se plie à un corpus de règles qu’il peut avoir choisi avec les joueurs, créées lui-même ou pris dans un JDR existant. Si les règles lui disent de préparer une situation initiale seulement, plutôt que tout le développement des moments clé de l’histoire de la partie, il s’y pliera. Si les règles lui disent de ne rien préparer, il s’y pliera. Tant que les règles ne posent pas de problème notable et que le jeu convient au goût de tous, il n’y a pas de raison de les modifier. Si modifications il doit y avoir, elles seront faites avec l’assentiment des autres participants.

Les règles étant connues des joueurs, l’assentiment du groupe les fait passer au dessus de l’autorité du MJ qui devient un joueur comme les autres.

Règles → MJ + Joueurs

Les joueurs peuvent avoir autant à dire sur le déroulement de la partie que le MJ et cela d’autant plus qu’un JDR a autorité partagée laisse généralement l’histoire avancer sans être pré-écrite, en fonction des choix des joueurs. Il peut impliquer un partage de narration, et ce jusqu’au point qu’aucun participant n’endosse l’intégralité de l’autorité et des responsabilités du MJ de façon permanente (ce qu’on appelle de manière abusive « JDR sans MJ », par exemple Polaris de Ben Lehman) sans pour autant que cela ne soit absolument nécessaire. Cependant, laisser une grande autorité aux joueurs sans les cadrer peut facilement conduire à parler dans le vide en roue libre et à produire des parasitages entre la créativité des joueurs et la préparation de la partie. Pour éviter cela, il faut un système de règles qui cadre les espaces de créativité de tous (y compris ce qui concerne la préparation de la partie par le MJ s’il y en a) afin de garantir une adéquation entre toutes les interactions qu’offre le système du jeu. De telles règles font autorité pour créer une structure solide pour encadrer et permettre de laisser interagir sans accro la créativité et la préparation de chacun. Modifier le moindre détail d’un tel système de règles est généralement délicat, tant l’équilibre entre les règles est parfois subtil.

Il n’est pas dit qu’un MJ ayant le dernier mot sur tout ne puisse pas arriver à d’intéressants partages de narration avec ses joueurs. Mais nous verrons plus loin en quoi cela peut devenir contreproductif.

Dans un jeu à autorité partagée, les habituelles tâches du MJ peuvent être majoritairement concentrées sur une personne (bien qu’elle contrôle généralement moins le déroulement de l’histoire et de la partie) ou réparties entre plusieurs personnes simultanément ou en alternance.

Implications de ces choix

Dernier mot du MJ sur tout :

  • Quand un MJ a préparé un scénario où rien n’est laissé au hasard, et qu’il cherche à surprendre les joueurs, avoir le dernier mot sur tout lui permettra de ménager au mieux ses effets et manipuler plus facilement les joueurs sans qu’ils s’en rendent nécessairement compte. Avoir le dernier mot sur tout est idéal pour les Techniques de maîtrise de type « illusionniste » ou « participationniste »2. L’illusionnisme consiste à dissimuler les véritables Techniques employées par le MJ, tandis que le participationnisme consiste pour les joueurs d’accepter de jouer une histoire majoritairement contrôlée par le MJ en connaissance de cause.

  • Les règles ne sont qu’un outil pour atteindre ce qu’il souhaite, un jet de dé truqué peut donner de fausses indications (voulues) aux joueurs. C’est le cas des dés lancés pour faire « du bruit derrière le paravent3 ». Conserver un contrôle sur le résultat des jets de dés permet d’éviter les mauvaises surprises au MJ qui risqueraient de faire dérailler son scénario.
  • Les joueurs n’ont pas à se préoccuper des règles, le MJ s’en charge. Du coup, ils peuvent se concentrer pleinement sur l’interprétation de leurs personnages et ne jamais regarder « derrière le voile4 », c’est à dire ne pas avoir à gérer tout ce qui est extérieur à la fiction et ne pas connaître les véritables rouages du jeu et de son système. On considère que cela risquerait de briser le sentiment de vivre un rêve éveillé.
  • Enfin, cela permet de donner le devant de la scène au MJ. Pour qu’il puisse mener la danse, amener les ingrédients de son choix et briller par la qualité et la cohérence de ses choix et de sa préparation, il ne doit pas être entravé par un système et un univers trop rigides.

Si vous jouez de cette manière, un ou plusieurs de ces points vous importent sûrement.

Ici, c’est la qualité et la subjectivité du MJ qui assurent de bonnes parties. Un système trop ficelé et trop rigide risquerait d’empêcher le MJ d’amener la partie où il le souhaite vraiment et donc de produire des intrigues et coups de théâtre forts, mais aussi de permettre aux joueurs d’explorer l’ensemble brique par brique et de reconstituer à la manière d’un puzzle, une fiction où chaque détail participe d’un tout vertigineux de par sa cohérence, sa richesse, son niveau de détail et/ou son esthétique.

Pour des joueurs qui aiment avoir un contrôle sur l’histoire, que les règles soient transparentes et qui aiment savoir que leurs choix ont une véritable importance pour la partie, ce mode de jeu risque de leur donner l’impression d’être dépossédés de tout cela et d’être menés en bateau par le MJ. Les joueurs découvrant ou sachant percevoir les techniques d’illusionnisme peuvent même sortir complètement du jeu de manière irrémédiable.

Autorité partagée :

  • Les joueurs peuvent conduire l’histoire plutôt que de participer à une histoire dont les moments clé sont prévus à l’avance par le MJ (ou par le ou les auteurs du jeu). Le MJ les suit et réagit à leurs impulsions. Il n’a plus le devant de la scène, c’est à présent les joueurs qui l’ont. Cela interdit toute préparation de scénarios prédéterminant le déroulement de l’histoire.

  • Les joueurs peuvent obtenir de grands espaces de créativité. La fiction se nourrira des idées et inspirations de chacun plutôt que du MJ ou du livre seulement.
  • Le système devient transparent, cela signifie que les Techniques utilisées sont celles qui sont annoncées et tout le monde doit participer à la gestion des règles. Cela interdit tout illusionnisme.
  • Il devient plus facile de jouer sans préparation du MJ (scénario ou autre) voire avec un MJ très discret ou tournant.
  • Les joueurs ont vraiment le dernier mot sur certains éléments du jeu et de la fiction. Cela signifie que le MJ n’a pas à trancher certaines décisions, ni à avoir un véto sur les éléments qu’elle concerne, puisque d’autres participants le font.

Si vous jouez de cette manière, un ou plusieurs de ces points vous importent sûrement.

Dès qu’on laisse plus de responsabilité et plus de créativité aux joueurs, l’ensemble du fonctionnement du jeu s’en trouve chamboulé. C’est pourquoi, un système de règles solide doit être utilisé pour éviter qu’improvisation et préparation ne se contredisent. C’est pourquoi le MJ doit accepter de se placer sous l’autorité des règles du jeu.

La qualité de tous les participants est catalysée par la qualité du système de règles.

Pour des MJ qui aiment garder le contrôle, les choix majeurs et le devant de la scène, ce mode de jeu risque d’entrer en conflit avec leurs habitudes et de leur donner le sentiment que les règles du jeu font beaucoup de choses à leur place et leur imposent une façon d’être MJ qui ne leur convient pas.

Implication dans les démarches créatives

Il est possible de jouer ludiste, narrativiste comme simulationniste de manière traditionnelle comme en partageant l’autorité du MJ.

Seulement pour les raisons suivantes, certaines démarches créatives sont facilitées par l’une ou l’autre façon de jouer :

  • Le ludisme est facilité par le partage d’autorité car les règles doivent être au dessus de tous les participants pour que la compétition soit juste. Si quelqu’un manipule les règles en douce, le jeu est truqué. Les victoires et les défaites doivent avoir une incidence sur l’histoire. Il devient ainsi légitime que les joueurs connaissent les règles autant que le MJ et que tout le monde soit sûr d’utiliser les mêmes.
  • Le narrativisme est également facilité par le partage d’autorité car les joueurs doivent sentir que leurs actes conduisent l’histoire. S’ils découvrent que c’est le MJ qui tire les ficelles, leurs actes n’auront plus d’importance. De plus, donner des espaces de créativité plus larges aux joueurs facilite le développement de l’histoire et de sa thématique avant le respect du canon esthétique5.
  • Le simulationnisme est quant à lui facilité par un jeu traditionnel car le MJ pourra assurer la gestion de toutes les mécaniques de jeu et donc empêcher les joueurs de devoir soulever le voile. L’illusionnisme et le participationnisme sont des formes de maîtrises adaptées au simulationnisme. Le canon esthétique6 de la fiction pourra être enrichi par un grand volume de préparation et la personne détenant ces informations pourra garder un contrôle suffisant sur le déroulement de l’histoire pour en garantir une intégrité et une cohérence exceptionnelles.

Autres possibilités :

  • Vous jouez ludiste et le MJ a le dernier mot sur tout : il doit être transparent quant aux Techniques qu’il utilise et s’y tenir. Les joueurs doivent avoir confiance en sa capacité d’arbitrage pour que le jeu fonctionne correctement.

  • Vous jouez narrativiste et le MJ a le dernier mot sur tout : le MJ laisse les choix majeurs aux joueurs concernant l’évolution de l’histoire. Le MJ cède de son autorité, mais juge si les joueurs l’exploitent correctement. Il reste arbitre et garde également le contrôle sur les règles et leur application, mais il doit être transparent quant aux Techniques qu’il utilise et s’y tenir. Les espaces de créativité des joueurs devraient rester limités7.
  • Vous jouez simulationniste et l’autorité du MJ est partagée entre tous les participants : cela signifie que vous jouez selon cette démarche créative sans utiliser de Techniques d’illusionnisme ni de participationnisme. Les joueurs auront une autorité plus importante et éventuellement des espaces de créativité plus larges8.

Où ces deux pratiques entrent en conflit

Là où la pratique traditionnelle et le partage d’autorité se heurtent, c’est sur Le truc impossible avant le petit dèj’9. On entend souvent définir le JDR de cette manière : le MJ a le contrôle sur l’histoire et les joueurs sur les personnages principaux de cette histoire. Sachez que c’est impossible.

Si le MJ a le contrôle sur l’histoire, soit les joueurs contrôlent des personnages secondaires, soit ils ne contrôlent pas vraiment leurs personnages. C’est une manière de jouer fortement soutenue par les JDR traditionnels (mais ce n’est pas la seule).

Si les joueurs contrôlent les personnages principaux de l’histoire, le MJ ne peut pas avoir le contrôle sur l’histoire. Il ne fait qu’accompagner les personnages principaux, réagir à leurs initiatives, leur donner du grain à moudre. C’est une manière de jouer fortement soutenue par les JDR à autorité partagée (mais ce n’est pas la seule manière de faire).

Si le MJ veut véritablement avoir le contrôle sur l’histoire, il doit avoir un système de règles qui se plie à ses envies et il doit éventuellement pouvoir truquer le jeu.

Si les joueurs veulent véritablement conduire l’histoire, le système de règles doit être transparent et le MJ doit accepter de les accompagner plutôt que d’être le chef d’orchestre, on dit qu’il est le bassiste d’un groupe de rock (c’est ainsi que Ron Edwards présente le rôle du MJ dans Sorcerer).

Vos questions sont bienvenues, comme d’habitude.

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1J’emprunte cette définition à Vincent Baker, si vous souhaitez en lire plus, suivez ce lien (en anglais) : http://www.lumpley.com/comment.php?entry=55

2Voir les explications concernant l’illusionnisme et le participationnisme de l’article La résistance asymétrique

3Selon la célèbre formule attribuée à Gary Gygax

6Ibidem

7Voir Vanilla narrativism dans le Provisional glossary

8C’est de cette manière que fonctionne Prosopopée

 

Dans cet article, je vous propose d’analyser les tenants et aboutissants de la démarche créative simulationniste à travers les particularités de Prosopopée.

Pour rappel : une démarche créative est la manière selon laquelle les participants d’une partie de JDR prennent plaisir ensemble et mettent en œuvre une manière de jouer en phase avec le plaisir recherché. Les trois démarches identifiées par Ron Edwards sont appelées le ludisme (ou Gamism), le narrativisme et le simulationnisme.

On dit qu’un jeu « soutient » une démarche créative dans la mesure où ses règles, son univers et sa création de personnages et de situations encouragent à une certaine démarche créative, sans pour autant pouvoir la garantir. Le jeu n’enferme pas les joueurs dans une démarche créative, il les invite à l’explorer.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire Le GNS est un outil ou le chapitre consacré aux démarches créatives dans l’article de Christoph Boeckle.

J’affirme que la démarche créative soutenue par Prosopopée est le simulationnisme et voici pourquoi.

1) Narrativisme et simulationnisme

La principale confusion que l’on fait au sujet de Prosopopée, c’est de considérer qu’il soutient une démarche narrativiste, je vais donc me concentrer sur les différences entre les démarches narrativiste et simulationniste.

La démarche narrativiste consiste à créer ensemble une histoire sur le moment (le sous titre du narrativisme est Story now en anglais : L’histoire maintenant). Le point central de cette démarche, est le sens moral et éthique donné aux actes des personnages. Pour qu’un acte ait du sens, il faut qu’il ait été librement choisi par le joueur (éventuellement, parmi plusieurs choix possibles) à partir d’une situation où aucun choix proposé n’est strictement meilleur que l’autre et que chaque choix implique une perte. De plus, il faut que l’histoire même se développe à partir des conséquences de ces actes. Si les actes des personnages engendrent l’histoire, chaque choix est important.

Les situations jouées sont toujours problématiques dans la mesure où il n’y a pas de « meilleure » solution ou même de « bonne » solution. Elles interrogent les participants (ce que l’on appelle la prémisse : la question que pose une histoire au sens dramaturgique ; et à laquelle les protagonistes de l’histoire répondront par leurs actes.1) et les personnages y répondent par leurs actes. Les actes expriment les valeurs morales de son personnage : la réponse aux questions posées. Les participants seront ainsi amenés à prendre position moralement par rapport aux actes des personnages et à formuler des jugements. C’est là le cœur de la démarche narrativiste. (Plus de précisions dans un article précédent ou dans l’essai de Ron Edwards)

Jouer selon une démarche simulationniste, c’est faire en sorte que le style, la logique et la cohérence de la fiction soient ce qui préoccupe le plus les participants. Cela signifie qu’ils développeront un cadre appelé canon esthétique et qu’ils chercheront à dire des choses qui séduiront leurs partenaires de jeu, en étayant les éléments de ce canon sans jamais le transgresser.

Jouer simulationniste, c’est célébrer le canon de la fiction, c’est-à-dire produire un ensemble d’images et d’événements fictifs conformes aux attentes et aux exigences des participants et y prendre plaisir. Les participants établiront préalablement et au fil de la partie, des limites à leur cadre, en des proportions très variables selon les tables et les jeux.

Le cœur des parties simulationnistes se situe dans les interstices : le cadre défini avant de jouer étant par définition incomplet, les participants le développent généralement dans des directions inattendues de leurs partenaires. À partir du moment où les participants parviennent à développer efficacement la fiction sans devoir être recadré, on peut dire que le canon est solide. Plus ils peuvent ajouter d’éléments inattendus au cadre initial, plus on peut dire que le canon est élastique. Ron Edwards appelle Constructive denial : Le déni constructif.

Enfin, tout cela passe par le soin de ne pas briser l’illusion de la fiction, ne pas rappeler que tout ceci est imaginaire, d’où le besoin d’éviter d’avoir à recadrer les participations des participants (le sous titre du simulationnisme est The right to dream : Le droit au rêve). 2

1.1) Story now et story before

Si l’on crée une histoire pendant qu’on joue et non avant, c’est forcément narrativiste ?

Non. Une partie durant laquelle on crée l’histoire pendant qu’on joue ne soutient pas nécessairement une démarche narrativiste. Certes, une partie narrativiste n’est pas possible si l’histoire et son déroulement sont déterminées à l’avance (si on utilise un scénario par exemple), mais cela ne veut pas dire qu’on fait du narrativisme à chaque fois que l’on crée l’histoire pendant qu’on joue.

Le fait de créer l’histoire avant la partie est une option possible et valable pour une démarche simulationniste, mais ce n’est pas la seule, ainsi, il est tout à fait envisageable que l’histoire soit créée sur l’instant tout en jouant simulationniste. (Voir ce schéma de Vincent Baker)

De plus, il faut garder à l’esprit que Ron Edwards donne au mot « histoire » dans « Story now », l’idée d’explorer une prémisse. Le « now » implique que la prémisse soit explorée collaborativement, il ne peut donc pas être un exposé que le MJ ferait aux joueurs en gardant le fin mot sur le propos de l’histoire.

Pour faire simple :

  • si l’ensemble des participants créent une histoire pendant la partie en explorant une prémisse, que les joueurs y répondent et que c’est ce qui prime, la partie devrait être narrativiste ;
  • si l’ensemble des participants créent une histoire pendant la partie, mais sans explorer de prémisse, la partie peut être ludiste ou simulationniste ;
  • si une prémisse est amenée dans la partie par un seul participant (généralement le MJ) et y répond lui-même – et que les autres la découvrent sans avoir de prise dessus – la partie peut être ludiste ou simulationniste.

L’histoire générée lors des parties de Prosopopée ne vise pas à explorer une problématique morale (autrement dit : les participants ne répondent pas à une question morale par les actes de leurs personnages).

1.2) Histoire dramatique et Rêve éveillé

Dans Prosopopée, l’histoire en tant qu’intrigue et succession d’actions n’est pas au premier plan. On se focalise d’abord sur les images créées verbalement et sur la construction du monde où se déroule l’histoire ; sa beauté, son étrangeté, sa logique, sa mystique… (le monde étant ici absolument tout ce qui est décrit dans la fiction, jusqu’aux personnages des joueurs eux-mêmes, les codes sociaux etc.). Le moment où le jeu est le plus intense, c’est quand le monde créé, sa beauté et ses mystères deviennent le centre de l’attention. Et que tout les participants partagent ce rêve éveillé.

Tout est fait pour pousser à explorer un rêve éveillé zen et poétique. Aucune règle du jeu, aucun élément de l’univers ou de la création de l’histoire ne pousse les joueurs vers autre chose : il n’y a pas de choix moraux ; l’intrigue suit un schéma relativement simple ; les actions des personnages permettent de révéler le décor, les habitants, leurs problèmes et les solutions.

1.3) L’absence de choix moraux

Quand on résout un problème à Prosopopée, on cherche sa cause. Les problèmes s’organisent de manière hiérarchique, impliquant que certains sont plus proches de la cause de tous les maux et d’autres n’en sont que des symptômes. Les problèmes sont liés à la difficulté des humains à vivre avec la nature (et le monde du surnaturel). Les conséquences des actes des personnages se contentent de rendre la tâche plus difficile et de modifier la compréhension qu’ils ont du problème.

Les histoires explorées au cours de parties narrativistes impliquent l’exploration d’une prémisse. Or, dans Prosopopée, pas de « dois-je poursuivre mon idéal si cela met en danger mes proches ? », ni de « puis-je trahir la confiance que les autres ont en moi pour leur propre bien ? » ou encore « puis-je sacrifier quelques uns pour le bien du plus grand nombre ? ». Les Médiums suivent une quête dont l’objectif est clair et ne changera pas : aider les habitants des villages (et les humains en général) à résoudre les Problèmes qu’ils ont créé dans la nature. Ils n’ont pas à résoudre des dilemmes ou des drames déchirants. Ce but n’est pas remis en question car il est dans la nature même des Médiums de résoudre le déséquilibre et tous les problèmes qu’il provoque.

Si des participants créent des problèmes, ces problèmes sont ceux qui devront être résolus à la fin, donc pas de double enjeux, donc, pas de choix moraux, donc, pas de narrativisme.

2) Le canon esthétique

Le canon esthétique est l’unité stylistique et logique de la fiction produite au cours de parties de jeu de rôle. À la manière d’une peinture, la force de l’harmonie de sa composition, la manière dont les éléments et les couleurs s’agencent peuvent justifier à elles seules son intérêt. La démarche simulationniste fonctionne de la même manière. Cette démarche est également idéale pour l’exploration de mystères du monde, des civilisations, de la structure d’un monde etc. Chaque groupe établit le canon de la fiction qu’il génère en respectant un ensemble de critères et d’exigences communes.

N’importe quel groupe de jeu de rôle constitue un canon plus ou moins large et malléable, et ce, quelle que soit la démarche créative à l’œuvre. Il existe un grand nombre de façons de faire respecter le canon lors de parties de jeu de rôle. Une personne peut en être garante (généralement le MJ) ou chaque participant ; et les moyens explicites ou tacites de réguler les écarts sont variés.

La première spécificité de la démarche simulationniste, c’est qu’il est important d’éviter autant que possible d’avoir à rectifier les interventions des participants pendant la partie, car la solidité du canon y est en soi un motif de plaisir (alors que pour les deux autres démarches créatives, le plaisir se focalise sur d’autres approches de la fiction, donc ce n’est pas gênant de faire des parenthèses pour se mettre d’accord afin d’optimiser l’expérience).

Pour ce faire, le contenu de la fiction et l’intrigue peuvent être en grande partie prévues à l’avance. Les mécaniques du jeu peuvent prédéfinir l’ensemble des possibilités des personnages en simulant la faisabilité et les conséquences de chaque action en fonction de paramètres préétablis ; GURPS, Rolemaster et certaines versions de D&D poussent le bouchon particulièrement loin à ce sujet ; pour jouer narrativiste ou ludiste, de tels partis pris pourraient être accessoires, encombrants, voire franchement incompatibles.

Mais le canon ne joue pas ce seul rôle. Il est également le matériau fondamental avec lequel les participants vont jouer. Tester la résilience du canon – sa résistance aux transgressions et sa capacité à endiguer les violations potentielles à l’unité et à la cohérence de la fiction, mais aussi son élasticité – est le point de focalisation de toute partie simulationniste. Ainsi, la façon dont un joueur va interpréter son personnage et le faire agir, résoudre les problèmes, etc. sont des façons, pour lui, d’enrichir, développer et éprouver le canon ; mais que les joueurs puissent continuer de le faire sans que les autres participants (ou le MJ) n’aient à les recadrer, est de première importance.

Les participants exploitent la proposition créative au mieux quand ils parviennent à séduire, voire aller au delà des attentes des autres participants de par l’originalité de leur contribution au canon, sans le transgresser (pour plus d’information concernant le jeu de séduction entre participants, voir l’article La résistance asymétrique ; j’ai également expliqué le processus à l’œuvre au cœur de Sens hexalogie dans l’article Espaces de créativité).

2.1) Dans Prosopopée

Quasiment aucun élément fictif n’est prévu à l’avance, en dehors du fait que le monde du jeu se situe avant l’aire de l’industrie et de la modernité. Et c’est bien utile dans un jeu où le partage de narration est aussi important.

Les mécaniques du jeu balisent la nature des actions que doivent entreprendre les personnages pour résoudre les problèmes.

L’absence de noms propres permet d’éviter que les participants aient à inventer des noms à la volée pour les PNJ et incite à décrire davantage les choses, le décor et les personnages.

Ensuite, certains joueurs appelés Nuances doivent décrire au début de la partie – en s’inspirant librement d’une image, un objet ou quoi que ce soit d’autre – le lieu principal dans lequel se déroulera l’histoire. Le canon commence à être étayé à ce moment-là.

Ensuite, quand l’histoire commence, à chaque fois qu’un participant aime ce qu’un autre narre, il lui donne un dé d’Offrande (un simple dé, pris d’une réserve située au milieu de la table). Ce don de dés permet de mettre en relief, pour tous les participants, ce que chacun apprécie particulièrement, et donc, ce qu’il attend de la partie. Ce sont les fameux « critères et exigences » qui servent à consolider le canon.

Les participants comprennent donc qu’ils doivent faire un effort pour plaire aux autres afin de récolter ces dés d’Offrande qui leur permettront plus tard de résoudre les problèmes fictifs rencontrés par leurs personnages. Les joueurs sont donc vivement incités à étayer le canon dans le but de séduire et surprendre, ou tout simplement coller aux attentes de leurs partenaires de jeu.

C’est de cette manière que les participants créent, consolident et explorent le canon. Et c’est cela qui est au cœur du jeu.

Il reste une règle importante : à tout moment, un participant peut placer un dé de Problème sur une feuille au milieu de la table. Ce dé de Problème permet de rendre central dans l’histoire, quelque chose qui a été introduit dans la fiction par quelqu’un d’autre et donc de le valoriser en le hissant au statut de Problème.

De plus, cela offre une utilité supplémentaire : celui qui pose le dé de Problème peut l’utiliser d’une autre façon, pour modifier un élément de la fiction qui ne lui plaît pas. Cela évite dans certains cas d’avoir à rectifier une contribution en « négociant » hors de la fiction.

Ainsi, l’on peut préserver le canon et l’explorer à fond sans avoir à interrompre le flot de la fiction.

2.2) L’espace de créativité des joueurs

Dans une partie simulationniste traditionnelle, il est courant que la tâche du MJ soit de révéler le contexte, tandis que les joueurs auront pour tâche de développer ce qui concerne leur personnage, en adéquation avec le reste de la fiction. Les joueurs ont besoin de percevoir le monde comme le percevrait leur personnage (j’en expliquerai les raisons plus tard).

Dans Prosopopée, les joueurs jouent des divinités s’incarnant dans les personnages du tableau qu’elles ont créé. Dès lors, leur perception du monde est plus large que celle d’un humain. Ils peuvent donc à la fois définir les actes, les paroles et l’apparence de leur personnage, mais aussi le monde qui les entourent, puisque c’est eux qui le créent. Cela convient à leur statut divin et permet de justifier le partage de narration (ou espace de créativité) dans la fiction, qui n’est plus seulement une technique de jeu, mais une propriété des personnages incarnés par les joueurs.

Plutôt que de découvrir une histoire et un contexte écrits à l’avance par l’un d’entre eux, les participants découvrent progressivement les idées des autres participants et le suspense persiste du fait de ne pas savoir ce qu’un des autres participants va dire et ainsi, orienter l’histoire dans une direction inattendue.

Pendant les parties de Prosopopée, les joueurs mettent le maximum de leur énergie à développer collaborativement le canon de la fiction entière : le contenu (personnages, décor etc.) et pourquoi les choses vont comme elles vont ; par exemple :

3) Ne jamais regarder derrière le voile

Pour que le rêve s’épanouisse, les participants ne doivent jamais regarder derrière le voile ; cela signifie plusieurs choses :

  1. il faut sortir le moins possible de la fiction ;
  2. les techniques d’illusionnisme (la manière dont le MJ s’arrange pour dissimuler certaines pratiques ou choix qu’il fait, notamment pour faire respecter le scénario qu’il a préparé) doivent être aussi discrètes que possible ;
  3. les phénomènes sociaux (interpersonnels) gagnent à être maquillés pour se fondre dans la fiction ;
  4. il vaut mieux éviter les techniques qui ne sont pas justifiées par la fiction, qui n’y trouvent pas leur cause.

Concernant le point 1, considérez que les rectifications, les explications des règles, les mises au point et discussions extérieures à la fictions devraient être réduites à leur pure nécessité, ce qui n’est pas vrai pour les autres démarches créatives : une partie narrativiste, par exemple, gagnera à ce que les participants se posent des questions les uns aux autres, se fassent des suggestions, expriment leur jugements etc.

Concernant le point 2, dans le cas où un MJ veut cacher certaines de ses pratiques aux joueurs, notamment leur faire croire qu’ils ont une prise sur l’histoire, qu’ils sont libres d’agir à leur guise et que leurs actes ont de l’importance, alors que c’est le MJ qui contrôle secrètement tout cela. Ceci ne peut fonctionner que dans le cadre d’une démarche simulationniste (Sens de Romaric Briand en est un bon exemple), mais n’est absolument pas nécessaire aux parties simulationnistes.

Concernant le point 3, les livres et les groupes proposant des parties simulationnistes oublient volontairement l’existence des personnes autour de la table de jeu de rôle. L’oubli devient parfois délétère, car il empêche la démarche créative de s’exprimer. En effet, le jeu de rôle fonctionne sur des interactions entre individus ; les groupes où les participants prennent du plaisir sans le manifester ni le partager aux autres sont les plus fragiles, en particulier lorsque cela est encouragé par le jeu. Quand les joueurs ont appris le jeu de rôle ensemble, se connaissent par cœur et jouent ensemble de longue date, il est possible que la connivence et la communication non-verbale suffisent à harmoniser les attentes de chacun et à faire connaître le plaisir que l’on prend.

Ce point mérite que l’on s’y attarde. L’idéal, c’est d’intégrer dans les règles du jeu des moyens de faire connaître les attentes et les exigences de chacun et de permettre d’exprimer le plaisir que l’on prend. Le don de dés d’Offrande de Prosopopée permet d’exprimer le jugement et le plaisir pris par les participants sans toutefois interrompre la fiction, en glissant un dé vers la personne en train de parler. Je vous renvoie également vers mon article Espaces de créativité pour la description du processus à l’œuvre dans Sens Hexalogie.

Concernant le point 4, le fait de devoir justifier les techniques dans la fiction et d’y trouver leurs causes ne veut nullement dire qu’il ne faut pas lancer de dés ou calculer de scores, mais que le fait de lancer les dés et de manipuler des ressources chiffrées ou autres doit être justifié par la fiction.

Dans Prosopopée, le don de dés d’Offrande est justifié comme une Offrande que se font les divinités qui peignent le Tableau. J’ai créé l’ensemble des mécaniques de résolution et de création de Problèmes en veillant à ne pas enfreindre ce point.

Une idée répandue voudrait que plus une technique ou manière de jouer serait intuitive pour un participant et plus elle paraîtrait adaptée à la démarche simulationniste. Je pense qu’il ne s’agit en réalité que d’une question d’habitude. Quand on s’habitue à une technique, elle se fait oublier plus facilement. Appréhender une technique nouvelle demande fatalement plus d’efforts.

3.1) La difficulté du simulationnisme

Le fait de ne jamais regarder derrière le voile crée une difficulté : les attentes et exigences des participants s’harmonisent difficilement si on n’en parle pas. Le fait d’en parler hors des parties est également difficile dans le cas où le MJ utilise des techniques d’illusionnisme. Et le fait, en tant que joueur, de ne pas exprimer son avis ni son ressenti empêche d’aligner attentes et exigences et ne permet pas de canaliser les frustrations.

C’est pourquoi les groupes constitués de personnes d’horizons différents, avec des habitudes différentes pourront avoir du mal à jouer convenablement ensemble, notamment si les détails du fonctionnement des parties n’est pas expliqué.

Je vous conseille de réfléchir à ce point.

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Cet article était pour moi l’occasion de creuser la démarche simulationniste, très peu approfondie par chez nous et souvent galvaudée, tout en démontrant de quelle manière Prosopopée s’y inscrivait. Si des questions subsistent, n’hésitez pas à les poser en commentaire.

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Discussions antérieures à ce sujet sur Silentdrift :

1Voir premise dans le « Provisional glossary » ainsi que le chapitre consacré aux prémisses dans l’article Narrativism : Story Now de Ron Edwards.

2 Plus de précisions dans l’essai de Ron Edwards

Mélanie m’a demandé après une partie des Cordes Sensibles :

Quel plaisir doit-on retirer à jouer à LCS selon toi ?

Je vous copie ici ma réponse en l’étayant.

1) Le choix

Le premier plaisir que l’on rencontre est celui d’être mis face à des choix moraux. Généralement, la charge émotionnelle tend à être forte à cet endroit.

Par exemple : dois-je protéger ma sœur au risque qu’elle ne m’aime plus ?

2) La résistance asymétrique

Le choix n’est possible que parce qu’au moins un autre participant cadre une scène en y posant un enjeu en lien avec le personnage.

La résistance asymétrique est ici de trois ordres :

  • La Confrontation : plusieurs participants veulent des choses contradictoires ;
  • La Négociation et le Chantage : celui ou ceux qui jouent l’adversité doivent mettre en balance plusieurs choses importantes pour le personnage, sachant que si le joueur choisit d’en sauver un, il perdra l’autre.
  • La Sympathie et l’antipathie : en développant l’histoire du personnage et ses raisons d’agir, un participant cherche à déclencher la sympathie ou l’antipathie pour son personnage auprès des autres participants. Ceux-ci peuvent le manifester par de la reconnaissance (verbale ou non verbale), mais aussi en récompensant d’un don de cartes pendant qu’un Conflit se joue.

Le fait de pouvoir faire éprouver au joueur des émotions est en soi un vecteur de plaisir pour celui ou ceux qui jouent l’adversité.

3) Les conséquences

Un choix moral ne vaut que parce qu’il produit des conséquences.

Le participant qui est en charge de narrer le résultat d’un Conflit entreprend de déclarer les conséquences immédiates.

Celui qui définit les Retombées établit les conséquences psychologiques du Conflit sur les personnages qui l’ont joué ; cela permet également de marquer l’évolution du personnage au fil de l’histoire.

Celui qui cadre une des prochaines scènes concernant ce personnage pourra mettre en scène des conséquences à moyen ou long terme découlant d’un Conflit, ou simplement d’actions précédentes.

Le plaisir d’éprouver les conséquences de ces choix réside dans la possibilité d’obtenir le résultat escompté ou de le voir nous échapper ; être pire ou meilleur que celui escompté. Ceci est un autre vecteur d’émotions essentiel.

4) Le jugement

Chaque participant en vient à confronter les valeurs de chaque personnage aux siennes. Plus particulièrement son propre protagoniste, mais ce n’est pas le seul.

Nous pourrions faire faire à un personnage quelque chose que nous ne ferions jamais. Le décalage entre sa morale et la notre est également un vecteur d’émotions parfois exprimé sous forme d’un jugement de valeur.

Le jugement est important car il est le témoin du bon fonctionnement des autres points.

5) Éprouver sa créativité

En mettant en scène une situation, en prêtant un discours à un personnage, en décrivant le décor, les individus, les actes des personnages, en faisant émerger des enjeux, Les Cordes Sensibles nous invite à éprouver notre créativité. Dans les grandes lignes comme dans les détails.

Les espaces de créativité fournis aux participants leurs permettent d’avoir leur mot à dire sur l’évolution de l’histoire, des personnages et du contexte.

L’ensemble des points développés ci-dessus est contenu dans celui-ci. Une bonne créativité catalyse l’intensité de la partie dans son ensemble.

Je viens de décrire la démarche créative des Cordes Sensibles. Bien sûr, on pourrait jouer le jeu en prenant son plaisir tout à fait autrement, mais dans ce cas, on n’utiliserait pas le jeu pour ce qu’il a été fait.